PUNK anarchism

Éléments de PUNK philosophie
Miettes N°3

Jacques Fradin - paru dans lundimatin#281, le 29 mars 2021

Le pouvoir corrompt. Le pouvoir stable, durable, « parfait », supposé apporter « l’harmonie », ce pouvoir fixé transforme la corruption en architecture, pour un despotisme établi.
« La véritable démocratie » ne peut se suffire de se déployer contre l’État, ne saurait se suffire d’être anarchie.
« La véritable démocratie », non seulement doit déconstruire l’État, mais doit déconstruire tout état, toute position de stabilité ou toute institution installée, se prétend-elle « la plus parfaite ».
La véritable démocratie » est l’an-archie, le combat permanent contre toutes les institutions supposées « les meilleures » et posées irrévocables, le combat permanent contre les utopies merveilleuses et supposées éternelles. Y compris « les institutions anarchistes ».
Le seul chemin, pour éviter la dégradation de tout rêve en cauchemar, est d’empêcher tout « arrêt », toute stabilité établie, toute fantasmagorie d’une harmonie réalisable.
Le militant de l’an-archie ou du PUNK anarchisme est celui qui s’engage, sans effroi, dans le mouvement de la destitution des institutions, mouvement qu’il faudra, sans cesse, recommencer, sans halte ni fin.
NO FUTURE : tout Empire harmonieux de mille ans, que l’on tenterait de réaliser, puis de stabiliser, engage sur un chemin de corruption ; tout Empire sera désastré.

Miettes 3

Les difficultés de la pensée théorique
Dans la structure axiomatique du monisme à dualité.

Les difficultés de la pensée théorique

La grande difficulté d’une construction théorique ou pensée « en dualité » (ou dans le monisme à dualité) est qu’il faudrait partir de DEUX points de vue « en même temps ».
Depuis le Réel, l’analyse apophatique, ET (« en même temps ») depuis la réalité, ce qui est nommé habituellement « ontologie », ontologie ici transformée en science sociale critique (la différence ontologique Être / étants renvoyant à l’analyse systémique de la réalité monde, l’Être correspondant au niveau du système – il y a du système, le système des étants – système pensé en dynamique historiale – l’historialité ou l’an-archie des arrangements ou des compositions historiales).
La difficulté est donc pratique, rédactionnelle (toujours la corruption par la forme).
Seul Derrida, dans Glas, a tenté l’expérience de la pensée en dualité en divisant, verticalement, chaque page en DEUX : une colonne pour l’analyse en Réel et une colonne pour la critique du monde, dite ontologie.
Et il n’est pas innocent que le texte de Derrida, Glas, soit consacré à une lecture critique de Hegel en mobilisant Jean Genet, c’est-à-dire à l’explicitation de la critique de la dialectique classique, pour substituer à cette dialectique l’analyse en dualité.
Mais nous n’avons pas les forces de suivre Derrida ; qui restera notre modèle inatteignable.
Cependant nous devons introduire une alerte : nous devons signaler, en rouge clignotant, que toute demi-analyse, soit en Réel, soit depuis la réalité, implique l’autre demi-analyse.
La pensée en Réel, du dehors de l’ontologie, ou de « l’au-delà de l’Être », doit nécessairement être combinée à la science sociale critique.
Même si cette combinaison (ou liaison nécessaire) ne peut être exposée explicitement (pour les raisons indiquées plus haut).
L’ensemble combiné, le monisme, s’articule en deux demi-analyses, en dualité, et peut se nommer « science critique unifiée » (mais à dualité non dialectique : le deux ne se recompose jamais en un).
Nous suivrons, donc, une voie, plus pratique d’un point de vue rédactionnel, qui a été celle de Lacan (mais nous inversons le sens de la voie de Lacan).
Après de longues analyses critiques du symbolique (l’Être), de 1950 à 1966, Lacan inverse la direction pour partir de l’analyse en Réel, après 1966 et jusqu’à sa mort (notons que la dualité Réel / réalité est introduite par Lacan).
Comme nous avons été les étudiants attentifs et studieux des leçons de Lacan, justement à partir de 1966 et de l’inversion, nous avons été obligés de reprendre les leçons antérieures (sur le symbolique, le structuralisme et l’analyse systémique), MAIS en étant avertis, dès le début, 1966, de « l’incomplétude » d’une simple analyse systémique (même critique, manière école de Francfort ou Foucault) ; nous avons été avertis des implications d’une science critique en termes « d’ouverture Réelle ».
Jusque vers 1990, nous avons suivi la voie du premier Lacan : l’analyse déconstructive du symbolique ou des systèmes sociaux ou du monde réalité, TOUT en sachant que cette méthode était « incomplète » : elle exigeait d’ajouter un niveau critique, « au-delà de l’Être », à toutes les critiques habituelles (encore une fois, celles, par exemple, de la sociologie critique de Francfort, qui sont absolument indispensables).
Explicitons un peu : posons que le monde, l’être ontologique (avec sa différence ontologique), se nomme Éco-Nomie, ce terme Éco-Nomie étant un terme résumé pour pointer le caractère « nomothétique » ou construit du monde ou de l’être – ce pourquoi l’ontologie devrait toujours se dire onto-nomie.
L’analyse critique du monde peut se faire à la manière d’une réduction phénoménologique, en suivant les étapes :
Apprentissage de l’économique, considérée comme dogmatique religieuse (le style, nouveau, de cette dogmatique important autant que son contenu – déconstruire, par exemple, la question de « la convexité ») ;
Généralisation de cette économique, pour mettre en lumière toutes les hypothèses implicites ou cachées ;
Construction d’une anti-économique, une sorte de jeu pour mettre en lumière la structure discursive de la dogmatique – au moyen d’une comparaison entre économique (orthodoxe) et anti-économique (hétérodoxe) – le développement de l’anti-économique pouvant être considéré comme une méthode de déconstruction de l’économique.
Puis, introduction d’une non économique (« non » au sens des géométries « non » euclidiennes) ; introduction permettant de « renverser » les analyses critiques de l’économique (au moyen de l’anti-économique), pour partir « en dualité » du Réel oublié ou dénié. Le Réel des guerres de colonisation. Ou de l’accumulation primitive permanente.
Ce Réel correspondant à la dernière strate de la réduction : l’accès à la pratique « originaire ».
Mais cette pratique en question se révélant être celle de « la guerre civile », ce « socle originaire » doit être lui-même critiqué (par une construction phénoménologique hérétique) ; où il n’est plus question ni de « socle » ni « d’originaire ». Le « socle » de la guerre civile se révélant être impensable pour la phénoménologie orthodoxe (husserlienne) à prétention scientifique.

Donc, reprenons, grossièrement, de 1966 à 1990, nous avons pratiqué une déconstruction de l’Éco-Nomie ou du symbolique, tout en sachant, depuis le début, et grâce à Lacan, que ce symbolique n’était qu’un simulacre (c’est aussi la leçon de Baudrillard à la même époque).
Et qu’il était nécessaire de comprendre ce simulacre ; au-delà de sa fonction évidente de masquer la guerre « souterraine » (ce pourquoi les sciences sont toujours « éthiques » ; l’éthique se tenant dans leur méthodologie, morale conservatrice pour l’empirisme ou le positivisme, éthique politique subversive pour les sciences généralisées auto-critiques ou auto-réflexives).
Maintenant, et d’une manière générale, il est impossible d’introduire le monisme à dualité sans passer par le chemin d’une déconstruction complète des sciences sociales ou des analyses (sociologiques) empiristes.
À partir de 1990, nous avons tenté de suivre la seconde voie de Lacan : la reprise inversée de l’analyse critique, depuis le Réel.
Comment penser (ou repenser) le symbolique, les simulacres, l’Éco-Nomie, l’être onto-logique, DEPUIS, ce qui n’est ni un socle ni un fondement, depuis « la pratique » de la guerre.
Comment penser que le symbolique n’est qu’un masque, un simulacre, pour CACHER la guerre civile souterraine (pour conserver le vocabulaire marxiste : l’infrastructure n’est pas l’économie, mais ce que refoule l’économie, la colonisation ; et cette colonisation est une pratique interminable, à reprendre sans cesse – toujours pour conserver le vocabulaire marxiste : l’accumulation primitive n’a pas de fin et ne connaît pas d’arrêt).
Ou, pour le dire autrement, le symbolique, le monde, est « la réalisation » nomothétique de la guerre, la tentative d’arrêter la guerre.
La réalité se nourrit de la guerre (de colonisation), le Réel, et tente d’empêcher cette « pratique » de tout détruire.
Ici, c’est la vision de Foucault qui est reprise : la réalité est réalisée, constituée, par des processus de guerre ; le pouvoir est constructif, autant qu’il peut maintenir (ou tenir sous contrôle) la guerre, et l’utiliser (transformer la puissance destructrice en force constructive) ; cette réalité des institutions maintient (tient) la guerre : les institutions ne sont que des armistices.

 

Ce qui suit peut donc se lire comme une sorte de résumé des thèses de l’analyse en dualité, DEPUIS le Réel (la seconde période de Lacan).
Mais, il y a un gros problème, que tous les étudiants de Lacan ont rencontré, cette seconde direction, du Réel vers la réalité, exige TOUJOURS d’avoir face à soi l’analyse critique, de la réalité vers le Réel (penser en dualité exige un dédoublement).
Il faut d’abord traverser « critiquement » le monde, l’analyser, par exemple, comme DESPOTISME, pour en arriver au Réel de la guerre, pour ensuite retourner au monde, analysé en dualité depuis le Réel, comme « zone de guerre ».
 
La présentation unilatérale ou unidirectionnelle du « processus » de réalisation, de réduction du Réel en réalité, réduction dont l’analyse exige le développement d’une science critique complète (comme la critique de « la démocratie »), cette présentation implique TOUJOURS une contre-présentation (aussi) unilatérale du processus, disons en termes de destitution (Agamben).
Il ne peut y avoir de réalisation sans destitution ; pas de construction sans désastre.
Ce que signifie « monisme à dualité » (qui sera présenté en détail plus loin).
Pour penser le monde, il faut un « hors monde, l’événement de Badiou.
Ce « hors monde », « l’en dehors » de la pensée française depuis Blanchot, est pensé comme « déterminant » et non pas « fondamental », dynamique et non pas statique ; le Réel n’est pas un fond, une stabilité de paix, mais une dynamique de guerre, avec son instabilité, son erratisme, son imprévisibilité, et le chaos.
La métaphysique, avec ses notions de fondement ou d’archaïsme ou de primitivité, avec l’idée du fond harmonieux, stable (le communisme primitif des bons sauvages), est un discours fort et dogmatique ; c’est la dogmatique du DESPOTISME (qui veut cacher qu’il fait, sans cesse, la guerre).
Pour penser « la détermination Réelle » (contre le fondement métaphysique), Althusser a introduit la notion de « détermination en dernière instance » (DDI).
C’est cette DDI qui permet de caractériser la théorie en termes de « monisme » : le Réel est déterminant ; mais « monisme à dualité », puisque la DDI se combine à « l’autonomie relative » de la réalité (auto-poïétique ou auto-organisatrice, le pouvoir est constructif, mais avec un apport permanent d’énergie Réelle).
Pour reprendre le vocabulaire de Deleuze, on pourrait dire : l’immanence est non pas absolue, mais radicale.
La poussée Réelle, le flux de la puissance Réelle, est toujours « informe » : c’est l’anté-forme qui permet les formations.
La réalisation est le devenir forme.
Et ce devenir forme se nomme guerre de colonisation.
La capture, thétique ou nomique, de la puissance, est la tentative, toujours en échec ou en vain, de « convertir » en énergie utile (agenouillée).
La réalisation est toujours « vaine » ; la capture de réalisation ne constitue qu’un demi-mouvement. Cette capture ne peut JAMAIS constituer un « arrêt », un terminus, car la poussée Réelle (qu’il faut coloniser) est « interminable », illimitée ; et propagera le désastre de son transformation affirmative.
Penser en dualité veut dire :
Toute réalisation sera destituée ;
Toute forme sera désastrée ;
Il est autant impossible d’arrêter l’histoire que de rendre conscient l’inconscient ;
La poussée Réelle est incontrôlable.
Du point de vue de la réalité, ou des institutions ou de l’ordre, le Réel déterminant (qui alimente en énergie) est désastreux : la détermination Réelle est négative.
Le Réel est nécessaire (c’est le générateur de puissance) ET désastreux ou déconstructif.
Le Réel est, de ce point de vue désastreux, NÉGATIF ; c’est une nécessité négative.
Il faut donc produire une analyse apophatique du Réel, « négation active de la réalité ».

 

On comprend donc la très grave question (permanente) des pouvoirs : celui du contrôle, étant entendu que ce dont on a un absolu besoin (nommons le « création illimitée ») est « en même temps » ce qui met en cause l’ordre. La réponse est simple : le contrôle « définitif » (la paix éternelle) est impossible ; le pouvoir naviguera, toujours à vue, de crise en crise ou de guerre en guerre.
Mais cela doit se lire en dualité : il est impossible d’imaginer des « utopies réalisées » (utopies qui se caractérisent toutes par l’hallucination de la fin de l’histoire).
Comme nous le répétons sans cesse, la grande difficulté est celle de la demi-analyse incomplète, par exemple celle de la critique sociale qui ne se penserait pas (réflexivement) comme devant être auto-critiquée ; et qui imaginerait que « sa critique » devrait déboucher sur un programme, un projet, une utopie de société (enfin, en fin) stable et harmonieuse.
Ni l’harmonie, ni le calme, ni la paix ne sont ni de ce monde ni de son au-delà.

 
De même, pour penser en dualité, on ne peut se contenter de l’analyse apophatique du désastre Réel ; il faut TOUJOURS ajouter que le pouvoir est constructif (et seul constructif, toute construction ou constitution étant de l’ordre de la répression).
À l’analyse apophatique du désastre, il manquera toujours le complément (en dualité) de l’étude de cette nécessité de la capture énergétique, de la colonisation (toujours en échec) de la puissance Réelle ; contre analyse qui est l’objet des sciences sociales critiques.
Toute réalisation, par capture énergétique voire énergique, doit se penser non pas seulement du point de vue de « l’apparition » d’une réalité possible et réalisée, MAIS AUSSI du point de vue de son auto-destitution.
L’autonomie relative de la réalité, son auto-organisation, est toujours liée, par la capture énergétique nécessaire à sa formation, à la destitution de sa réalité, à sa ruine.
À l’auto-détermination des institutions réalisées doit TOUJOURS s’adjoindre l’auto-destitution de ces institutions.
Et vice versa.
Le Réel est la puissance de conformation, indirectement à travers le processus de réalisation, qui est aussi, toujours, la puissance de déconstruction.
Il y aura toujours de la construction.
Il y aura toujours des volontés affirmatives.
MAIS, il y aura, aussi, TOUJOURS de la déconstruction et des vents négatifs.

Il n’est plus question de forger des utopies ou des projets miraculeux.
Ce qui importe est de devenir le militant de la déconstruction (ou de la justice), l’Officier de l’Abyme.
Nous en avons assez des constructeurs ou des gestionnaires d’utopies.

 Le thème de « l’amour », qu’adore Badiou (Badiou aime l’amour, comme établissement métaphysique – se caser), est particulièrement éclairant ; et, en particulier, pour pointer les limites de Badiou, son unilatéralité, si commune, le positivisme de la positivation, du il faut être affirmatif et volontaire.
Le Réel de « l’amour » est, bien sûr, celui de la puissance proliférante. La sexualité.
Cette puissance se réalise en forme, « le grand amour », « l’amour courtois », « l’amour platonique » (Badiou ?), etc., tout un discours d’opéra.
Par cette réalisation « l’amour » se dégrade en énergie capturable (par la religion), contrôlable (par la loi). Jusqu’à épuisement (la pile est vidée).
Le thème de « l’amour » exige d’en passer par la psychanalyse comme étude critique spécifique du pouvoir (lié à « l’amour »). Exige, en particulier, de comprendre le thème lacanien du : il n’y a pas de relation sexuelle !
La puissance (disons sexuelle – libidinale plus généralement) n’est, finalement, pas contrôlable. Malgré les tentatives plus que millénaires des religions, tentatives pour « mettre de l’ordre dans le bordel » (dans le « clandé » social-symbolique, dans le tripot monde).
La puissance volatilisera toujours « le grand amour », bien peu durable – sauf à l’opéra, mais il vaut mieux mourir avant, comme Tristan et Iseult.
Une pensée, à la Badiou, de « l’amour éternel », comme de tout ordre éternel, sent toujours le curé (pédophile !). La manipulation de « l’amour » est la source de tout pouvoir.

Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l'évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.
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