Le dossier Adlène Hicheur jugé trop « complexe », le conseil d’État demande une nouvelle audience

"Le dossier d’Adlène Hicheur n’est pas « complexe ». Il est vide. "

paru dans lundimatin#75, le 6 octobre 2016

Le 26 septembre, un juge du conseil d’État a dû se pencher sur le « dossier » Adlène Hicheur : est-il justifié de maintenir cette mesure exceptionnelle qu’est l’assignation à résidence ? Constatant le vide qu’il qualifiait de « complexité » le juge a préféré requérir une nouvelle audience menée cette fois par trois magistrats. Elle se tiendra mercredi 5 octobre, au matin.
Pendant ce temps, la quasi totalité des médias nationaux ne juge pas opportun d’écrire sur cette si emblématique affaire.
Une juriste de lundimatin nous explique.

Dès fin août, Adlène Hicheur nous relatait dans quelles conditions il avait été expulsé (il s’agit d’un terme juridiquement impropre pour qualifier sa situation, qui correspond en réalité à une reconduite à la frontière illicite ou « déportation », mais que nous utiliserons par commodité de langage) de Rio vers Paris où lui était aussitôt notifiée une assignation à résidence.

Dans notre édition du 27 septembre, nous reproduisions, traduit de l’anglais, l’éditorial de la revue scientifique « Nature » soutenant le scientifique.

Cette émission revient également sur l’affaire qui a conduit à sa condamnation, puis sa situation actuelle.

Le 27 juillet dernier, le Juge des référés du Tribunal administratif de Grenoble rejetait la requête d’Adlène Hicheur aux fins de suspension de son assignation en résidence.

L’audience devant le Juge des référés devant statuer sur son recours contre cette décision s’est déroulée le 22 septembre devant le Conseil d’Etat. Un article de Libération datant de la veille résumait la situation et les enjeux de cette audience.

Nous n’avons pu assister à cette audience, qui a néanmoins fait l’objet de comptes rendus dans certains (peu, nous y reviendrons) media et surtout, au-delà de la dépêche AFP, ce compte rendu d’audience par un journaliste de France Inter sur twitter (« à dérouler » comme on dit).

La décision était attendue le 26 septembre. Hormis ce tweet du même journaliste qui avait suivi l’audience, la presse ne s’en est pas faite écho.

Pourtant cette décision mérite bien d’être interrogée, de même qu’aurait pu être utilement relayée la première décision rendue par le juge des référés.

Le gardien des libertés

Lundimatin a pu joindre Adlène Hicheur qui a confirmé le renvoi de son affaire à un examen collégial statuant en référé, et a également pu avoir accès à la première décision du 27 juillet dernier rejetant la demande de suspension de l’assignation à résidence.

Concernant la décision du 26, de quoi s’agit-il ?

Le juge des référés statue en principe en la matière comme juge unique (un seul juge, donc). Néanmoins le juge des référés a la possibilité, « lorsque la nature de l’affaire le justifie », de renvoyer l’examen de l’affaire devant une formation collégiale de trois juges statuant toujours en référé. Il le fait en général dans un cas qu’il estime complexe à trancher, la collégialité étant considérée comme une garantie supplémentaire pour le justiciable, permettant de fait un débat interne entre les juges. Ce renvoi vers un examen collégial peut être décidé aussi bien en première instance (cela n’a donc pas été le cas ici) qu’au stade du recours contre la décision de première instance.

C’est ce qui s’était passé par exemple s’agissant de l’arrêté anti-burkini de Villeneuve-Loubet, qui avait été examiné en référé par une formation collégiale en première instance, laquelle avait refusé de suspendre cet arrêté avant que le Conseil d’État ne vienne siffler la fin de la récré.

Pour autant, à notre connaissance, dans l’ensemble des demandes de suspension d’une mesure d’assignation à résidence (comme d’interdiction de séjour d’ailleurs), le juge des référés a statué à juge unique, n’identifiant alors aucune situation suffisamment complexe pour mériter que trois juges ne se penchent dessus. Il est donc déjà remarquable que pour Adlène Hicheur, le juge des référés, en deuxième instance, retienne une complexité particulière. Qu’est-ce qui est complexe, ici ?

Rappelons les dispositions relatives à l’assignation à résidence en la matière : « Le ministre de l’intérieur peut prononcer l’assignation à résidence, dans le lieu qu’il fixe, de toute personne [...] à l’égard de laquelle il existe des raisons sérieuses de penser que son comportement constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics [...] ».

Adlène Hicheur a été condamné courant 2012 pour des faits commis 2009. En détention provisoire de son interpellation en octobre 2009 jusqu’à sa condamnation, il est sorti libre après avoir purgé la totalité de sa peine quelques jours après sa condamnation, laquelle couvrait juste la durée de sa détention provisoire. Il est parti vivre au Brésil courant 2013, et a donc vécu libre sur le territoire français durant quelques mois. A cette époque, nul état d’urgence ne permettait d’ailleurs d’assigner quiconque à résidence.

Pour autant, à sa sortie de détention, a-t-il fait l’objet d’une surveillance par les services de renseignement ? Nous n’en savons rien, mais c’est du domaine du possible. Quoiqu’il en soit, d’après la décision de première instance et le compte rendu d’audience, le Ministère de l’Intérieur n’allègue même pas disposer d’éléments laissant supposer qu’il aurait alors conservé des contacts (étant précisé que les seuls contacts qui lui ont valu sa condamnation étaient des contacts virtuels uniquement) avec des personnes impliquées dans des réseaux terroristes ou eu des agissements pouvant laisser suspecter une certaine dangerosité.

Expulsé du Brésil, son assignation à résidence lui est notifiée sitôt un orteil posé sur le sol français. Là encore, il n’est même pas allégué que les autorités brésiliennes aient transmis de quelconques éléments révélant une menace ; c’était un peu sous-entendu dans la décision de première instance du 27 juillet, mais il apparaît désormais que les autorités brésiliennes se sont simplement subitement « souvenues » de la condamnation antérieure d’Adlène Hicheur (qui n’avait pourtant pas été cachée), seul motif avancé de son expulsion.

A quel moment est-il question du comportement d’Adlène Hicheur ? Il est simplement question de son comportement en 2009, comportement pour lequel il a été jugé et condamné. Nous sommes en 2016. Presque 7 ans après.

Le juge de première instance qui a rendu la décision du 27 juillet n’avait donc quant à lui identifié aucune complexité particulière justifiant un examen collégial, pour décider du rejet de la demande de suspension de l’assignation à résidence, selon une motivation qui mérite d’être analysée un peu.

Ce qui retient l’attention en premier lieu, c’est que le juge fonde son argumentation factuelle sur le comportement d’Hicheur en 2009 sur une « fiche de renseignement », soumise aux débats ; une fiche de renseignement, et non pas la décision de condamnation de 2012 ; une vérité judiciaire est dite, mais ce sont encore les services de renseignement qui peuvent relater à leur façon les agissements prêtés à Adlène Hicheur en 2009.

Ensuite et surtout, nous pouvons lire dans l’ordonnance de référé qu’Hicheur ne rapporte « aucun commencement de preuve de ce qu’il aurait renié ses convictions djihadistes »  ; dès lors, la gravité des faits pour lesquels il a été condamné (tels que relatés par la fiche de renseignement, donc), en dépit de leur caractère ancien, qui signerait « un profil extrêmement inquiétant et sa maîtrise de techniques de dissimulation des données informatiques », conduit à ne pas considérer l’assignation à résidence comme une atteinte grave et manifestement illégale à sa liberté d’aller et venir. Fermez le ban.

On peut ajouter à cela pour l’anecdote (mais qui n’en est peut-être pas une si l’on considère que les autorités françaises, contrairement à ce qu’elles prétendent, ont souhaité récupérer Hicheur sur le sol français) qu’il est indiqué dans l’ordonnance que le Ministère de l’Intérieur a prétendu dans son mémoire qu’Adlène Hicheur a été expulsé de leur territoire par les autorités algériennes en 2009, élément qui n’est jamais apparu auparavant lors de son affaire, et qui semble douteux puisqu’à partir d’octobre Hicheur était incarcéré en France et que, disposant de la nationalité algérienne, il ne serait probablement pas expulsable. Adlène Hicheur nous assure d’ailleurs qu’il s’agit d’une affabulation pure et simple. Mais le Ministère de l’intérieur n’est sans doute pas à cet arrangement près avec la vérité.

Le dossier d’Adlène Hicheur n’est pas « complexe ». Il est vide.

La seule question qui se pose est la suivante : peut-on considérer qu’un comportement vieux de 7 ans est de nature à justifier à lui seul la mise en œuvre par un représentant de l’État d’une mesure de restriction de liberté aussi extrême qu’est l’assignation à résidence ?

Autrement dit : pendant combien d’années après une condamnation allons-nous laisser, au prétexte de l’état d’urgence, carte blanche au Ministère de l’Intérieur pour décider de la mort sociale d’un individu (allez trouver un emploi en physique des quarks lourds à Vienne, ou tout autre emploi ou activité sociale d’ailleurs lorsque vous devez pointer 3 fois par jour) ?

Pour le juge des référés ayant statué en première instance, puis pour celui qui a décidé de renvoyer cette question « complexe » en formation collégiale, 7 ans n’est pas manifestement déraisonnable ; ou du moins, s’agissant de ce dernier, il n’assume pas de le dire, seul, au Ministère de l’Intérieur.

Un autre élément mérite d’être souligné dans la position du Ministère de l’Intérieur telle que rapportée par le compte rendu d’audience du journaliste de France Inter. Le Ministère de l’Intérieur laisse en effet entendre que, mise devant une situation de fait qu’il subit (le retour d’Adlène Hicheur sur le sol français), il était en quelque sorte contrainte de réagir, et n’avait finalement pas d’autre choix possible que cette assignation à résidence. Comme l’a rappelé l’avocat d’Hicheur, encore doit-il démontrer que cette mesure attentatoire à la liberté est proportionnée à la « menace » que représenterait Hicheur ; en d’autres termes qu’il n’existe pas d’autre moyen, moins attentatoire à sa liberté d’aller et venir, suffisamment efficace pour faire à cette situation. Ce raisonnement a d’ailleurs été validé en première instance, le juge des référés n’estimant pas utile ne serait-ce que d’alléger le pointage triquotidien.

Rien n’est moins vrai. Il existait en effet à sa disposition de nombreuses autres solutions, et notamment se contenter de le surveiller, effectivement, par différents moyens déployés classiquement par les services de renseignement (la fameuse fiche S est l’un de ces moyens, mais encore surveillance physique, de ses communications, ou même soyons fous, une perquisition administrative avec désormais la possibilité « d’aspirer » ses données informatiques pour les contrôler), afin de vérifier qu’en effet il ne semble plus en lien avec de quelconques réseaux djihadistes. Une mesure d’assignation à résidence beaucoup moins restrictive était également possible (pointage allégé, couvre feu et limites territoriales moins drastiques) le temps de s’assurer par exemple que Monsieur Hicheur, comme il l’affirme, n’a pas l’intention de rester sur le territoire et organise un nouveau départ vers l’étranger (par exemple l’Algérie, comme il a dit le souhaiter ; à cet égard le petit mensonge supplémentaire glissé par le Ministère de l’Intérieur devant le Juge des référés relativement à l’expulsion d’Algérie d’Hicheur en 2009 peut prendre tout son sens), l’assignation pouvant être alors levée afin de lui permettre de quitter le territoire, ce qui aurait eu le mérite d’arranger tout le monde...

La juriste Vanessa Codaccioni quenous interviewions la semaine passée , pointait récemment dans un échange avec le journal Les Jours une tendance nouvelle de l’État en matière d’antiterrorisme à asseoir une emprise de plus en plus forte sur les individus en amont d’un éventuel passage à l’acte ou postérieurement à une condamnation au nom d’une certaine conception de la dangerosité, mais également à vouloir rendre visible dans l’espace publique son action (par le biais notamment de l’assignation à résidence). Ajoutons qu’une assignation à résidence est bien moins coûteuse en terme de déploiement de moyens humains qu’une réelle surveillance par les services de renseignement.

Peu importe finalement qu’une mesure soit efficace et justifiée, il s’agit d’afficher que quelque chose est fait. Et au passage de « tester », en quelque sorte, la latitude que laisse le juge administratif. Au pire, comme il l’a déjà fait par le passé, si les débats devant le juge administratif prenaient mauvaise tournure, l’État pourrait encore abroger son assignation, et éviter ainsi une jurisprudence un peu gênante.

Hicheur est à la croisée de ces impératifs politiques et sécuritaires. Il en fait les frais, sans que ça ne semble émouvoir grand monde.

Car s’il reçoit le soutien de toute une partie de la communauté scientifique internationale, sa situation devrait également mobiliser les citoyens d’ores et déjà engagés contre l’état d’urgence ou même simplement soucieux de ne pas voir les pouvoirs exorbitants donnés à l’État par ce régime d’état d’urgence laissés sans contrôle effectif et sans un minimum de garde fous. Le peu d’écho médiatique qu’a reçue cette nouvelle affaire Hicheur interpelle, alors même que certains média avaient couvert pendant plusieurs mois de façon assidue la mise en œuvre de l’état d’urgence, certains allant même jusqu’à créer des espaces dédiés sensés jouer le rôle d’« observatoire » de cet état d’urgence, en bons chiens de garde de la démocratie.

Pour résumer, nous avons une personne condamnée en 2012 pour des faits commis en 2009, contre lequel il n’existe aucun élément de nature à laisser penser qu’il a un comportement menaçant la sécurité et l’ordre publics français depuis 2009 et qui a même fait choix de reconstruire sa vie à l’autre bout du globe, un premier juge qui considère qu’il n’est pas manifestement illégal de l’assigner à résidence dans ces conditions, un deuxième juge que cela mérite d’y réfléchir à trois, et ce dans une espèce de torpeur et d’accoutumance généralisées après près d’un an de régime d’état d’urgence.

La nouvelle audience devant la formation collégiale aura lieu le mercredi 5 octobre devant le Conseil d’Etat. Espérons qu’à trois, les juges parviendront à se souvenir que le principe reste la liberté, et qu’il n’appartient pas à un individu de prouver qu’il ne constitue pas une menace.

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