Il y aura du monde pour la bagarre

Premier Round
Bulletin de liaison entre foyers de lutte

paru dans lundimatin#369, le 6 février 2023

Pour qu’un mouvement de luttes puisse être dangereux, c’est-à-dire autonome et indépendant du théâtre des représentants et des représentations, il lui faut, entre autres choses, se doter de ses propres moyens de communication. Pour se faire, rien de tel que des bulletins de liaisons, comme ce Premier Round que l’on nous a transmis et dont nous republions le premier article.

Pour télécharger Premier Round - Bulletin de liaison entre foyers de lutte en intégralité, c’est ici.

Parce que la télé le dit. Parce que c’est l’occasion de ne pas se laisser marcher sur la gueule une fois de plus, à cause d’un énième passage en force : « loi travail » en 2016, réformes successives de l’assurance chômage, « loi sécurité globale », loi pour cadenasser un peu plus la France, inoculer la treizième dose de vaccin, pour faire trimer les allocataires, libérer le profit, enfermer les sans-papiers…

Il y aura du monde surtout parce que les gens (nos voisins, nos collègues, ma mère) ne veulent pas de cette réforme qui nous condamnerait à travailler deux, trois, quatre ans de plus. On a déjà la mort quand on nous sucre des RTT, ou pour toutes ces putains d’années où le premier mai tombe un dimanche.

On ne veut pas travailler plus, mais gagner plus. Et ça semble prenable : après le covid les trimard·e·s de la restauration ont quitté le navire fantôme de l’industrie touristique… obligeant les petits et grands patrons du secteur à payer leurs heures (impensable deux ans avant), offrir des logements décents, des horaires pas trop dégueulasses, etc. Puissance de la désertion et sentiment grisant que la peur change (un peu) de camp.

Travailler moins et gagner plus, c’est bien le minimum ; et le slogan d’une inversion de tendance, ou du cours de l’histoire. À l’échelle individuelle, sans doute qu’il faut batailler pour « nos retraites » : l’espoir partagé qu’une vie de labeur mérite une fin avant l’EPHAD ou le cimetière. Mais ça, c’est encore quand on voit les choses en petit. En plus grand ça donne quoi ? Déjà les grands élans révolutionnaires, tramés de pratiques syndicales offensives. Les foules de gilets jaunes, sortis de l’arrière-pays, traversant les nuages de lacrymogène place de l’Étoile ou sur les Champs-Elysées, forçant les barrages de police pour aller « chercher Macron ». Plus généralement, quand de partout ça bloque vraiment, quand ça tape, quand on déserte les « lieux de travail » ou que les machines sont arrêtées en force, pour arracher une augmentation ou après l’annonce d’un « plan social de sauvegarde de l’emploi »...

Il y a déjà eu des tentatives plus ou moins lointaines dans l’histoire : les vagues de grèves sauvages de juin 1936 sous le Front populaire, quand le patronat saisi à la gorge implorait le gouvernement socialiste d’accepter les revendications populaires ; mai 68 et la France à l’arrêt pendant plusieurs semaines.

Plus proche de nous, il y a le mouvement contre la vie chère et la « pwofitasyon » de 2009 : quarante-quatre jours de grève générale et de paralysie économique en Guadeloupe et en Martinique. « Bloquer complètement » la circulation des marchandises sur l’île voulait dire : fermer les grandes surfaces, bloquer les raffineries, installer des barrages sur les grands axes, s’assurer que tout le monde puisse manger à sa faim, aller directement voir les producteurs et s’arranger avec eux, collectiviser les récoltes, etc.
De tous ces instants d’arrêt, jamais complètement victorieux mais jamais totalement défaits, il reste l’idée qu’un basculement radical et collectif est toujours à portée. Que la vie ne ressemble pas nécessairement à cette course de hamster en cage.

Sur un piquet ou un point de blocage, dans une usine occupée ou autour d’une cabane gilet jaune sur un rond-point, prend forme un horizon. Un horizon commun où grévistes, auto-entrepreneurs fatigués de s’auto-exploiter, inutiles au monde et galérien·ne·s organisent la subsistance et discutent des prochaines cibles.

Comment se donner les moyens de tout ça ? Face à un gouvernement qui ne comprend que le rapport de force et qui n’écoute la rue que lorsqu’elle s’embrase, un « mouvement social » classique à la française a-t-il la moindre chance de l’emporter ?

Le fameux « ça va péter » des fins de cortège, quand est-ce que ça été autre chose qu’une mauvaise rengaine arrosée de bière et parfumée à la merguez ? Mettre à bas Macron et son monde, on en a rêvé des bribes sur les ronds points occupés, avec leurs châteaux-barricades en pneus et palettes ; dans les lacrymogènes, près d’une préfecture en train d’être prise d’assaut, ou sur le pavé parisien pendant le début de la fronde giletjaunesque ; à côté du péage Vinci qui crame, d’un chantier de bassines retourné ; sur ces piquets ou les collègues deviennent des pirates prêts à dépouiller cette putain d’usine jusqu’à ce que les mauvais jours finissent. Bref c’est pas la mémoire ou les méthodes qui manquent.

Alors juste l’occasion ?

Il y aura du monde dans les semaines qui viennent pour la bagarre.

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