GRAND JEU LITTÉRAIRE DE L’ÉTÉ : LE PALMARÈS (suite)

Suite de notre liste de poèmes gagnants

paru dans lundimatin#207, le 9 septembre 2019

Au début de l’été nous invitions nos lecteurs et poétesses à imaginer une suite à de fameux vers d’Aragon. Profitant de la rentrée, nous publiions la semaine dernière une sélection de 4 poèmes, si ce n’est gagnants au moins palpitants et pétants. Nous n’avons pas résisté à l’envie de partager à nouveau quelques-unes des autres contributions que nous avons reçues.

Ainsi que nous le disions déjà la semaine précédente :
Avouons-le, le nombre de challenger a dépassé toutes nos attentes, sans doute, aussi, parce que ces onze vers sont d’une actualité troublante (n’était datée que la mention de Lénine et d’autres personnages morts depuis longtemps).

Une lectrice nous reproche de vouloir « customiser » en quelque sorte Aragon. Les grands poètes ne sont grands que lorsqu’on a, pour nous, pour nos vies, pour aujourd’hui, l’usage de leurs textes ; à cette condition, ils sont vivants — tout autant du moins que dans une thèse, une édition scolaire, ou la vénération de leurs lecteurs.

Enfin, l’idée d’un jeu littéraire peut paraître désinvolte ou intempestif. Dada, le Surréalisme, mouvements auxquels Aragon a contribué, ont passé leur temps à inventer des « jeux » (dont l’une des premières dérives dans Paris, l’excursion à Saint-Julien-le-Pauvre, en 1921). Des « jeux », entre guillemets, parce qu’il s’agissait moins de se distraire que de changer de fond en comble la poésie et la vie — ça va ensemble depuis Rimbaud au moins.

Et puis, bien sûr, voilà une bonne occasion de publier l’intégralité de Front rouge (c’est le titre du poème d’Aragon) en donnant de brèves indications sur les circonstances de cette parution ; c’est ainsi que nous conclurons…"

Rebooter Aragon (suite)

Pliez les réverbères comme des fétus de pailles
Faites valser les kiosques les bancs les fontaines Wallace
Descendez les flics
Camarades
descendez les flics
Plus loin plus loin vers l’ouest où dorment
les enfants riches et les putains de première classe
Dépasse la Madeleine Prolétariat
Que ta fureur balaye l’Élysée
Tu as bien droit au Bois de Boulogne en semaine

...

Un jour tu feras sauter l’Arc de triomphe
Émeute et joie détonante
Unissez-vous, déchaînez-vous
Quand viendra l’heure de sortir
Les canons par centaines, les fusils par milliers
L’élan qui prend la chaussée, du périphérique remonte les Champs-Elysées 
Quand toutes les portes des ministères
crèveront sous le poids de la foule 
Que d’audacieux engins de chantier viendront les perforer
Alors les boucliers auront beau inonder les rues
Les uniformes brillants détaleront des salles de commandement
Et sur les écrans de surveillance apparaîtra l’euphorie
de l’explosion à la révolution
Et que chante le plastic
Feu aux étendards
Feu aux prisons
Feu à Notre-Dame
On voit la mort venir se briser sur Decaux
Des poubelles remplies de bureaucrates
Coule le sang noir
Pourquoi attendre avant de faire
Feu
La joie de la gâchette vaudra bien
L’éclat du pavé

Paul D.


Même le coffre-fort de Benalla ne te résistera pas
Ils t’éborgnent et te mutilent
Pour continuer à s’engraisser
Mais bientôt viendra l’heure de la saignée
Ils n’auront qu’à bien se tenir
Quand tu défonceras au Fenwick
Les portes de leurs hôtels particuliers
Ils n’ont pas encore compris
Que le capitalisme était fini
Il faudra bien leur expliquer
Ce que c’est que la vraie vie
La vie dans une vraie démocratie
Prolétariat ne baisse plus la tête
Déjà sur les ronds-points tu les as éblouis
Ils ont d’abord été surpris
Puis ils ont eu peur
Parce qu’un gilet jaune ça réfléchit
Ils ont voulu éteindre la lumière
Ils croyaient encore pouvoir revenir en arrière
Mais ceux qui sont sortis de la caverne
n’y retournent jamais
Prolétariat rassemble tes forces
Leur ordre n’est pas le tien
Sois uni ou tu ne seras rien


Front rouge et or

Pliez les réverbères comme des fétus de pailles
Faites valser les kiosques les bancs les fontaines Wallace Descendez les flics
Camarades
descendez les flics
Plus loin plus loin vers l’ouest où dorment
les enfants riches et les putains de première classe Dépasse la Madeleine Prolétariat
Que ta fureur balaye l’Élysée
Tu as bien droit au Bois de Boulogne en semaine
Un jour tu feras sauter l’Arc de triomphe
Pour y mettre un beau rond poing
Et des cabanes dans le huitième
Tu iras danser porte Dauphine
Débarrassé des rois et des Jupiter en carton pâte
Et demain les abribus tituberont place Victor Hugo
Ivres de tes pas sur le pavé
Gilets jaunes
Descendez les flics et les grands boulevards
Gilets jaunes
Faîtes frémir les vitres des banques et les brasseries de second tour Qu’enfin les condés tremblent
Au milieu des décombres
Et contre les violents tournez la violence
Après le dimanche à Bouvine
Passons le samedi à Beauvau
Feu sur son sinistre intérieur
Feu sur les beaux quartiers
Et tous leurs propriétaires
D’ailleurs pas de quartiers
Pour les noyeurs et les gangsters
En cols blancs couverts de sang
Feu sur le beau quartier général
Des souteneurs du libre marché
Et les singes savants du grand capital
Ce matin les fossoyeurs flippent comme Édouard
Et font pleuvoir les gnons sur les Champs
Mais la flamme que tu allumes Peuple
Calcine les canons à eau, consume les visières
Et nous promet à coup sûr
La conquête de l’Ouest


Jocelyn

Un jour tu feras sauter l’Arc de triomphe...

Occupera les Champs Élysées et immeubles cossus
Les flics chargeront accompagnés d’autres gens d’armes
Quand dans une colère rouge et une brume incendie
Tu ne lâcheras point le verbe de ta détermination
Avec une rage révolutionnaire tu te souviendras de Louise
Derrière chaque frontière inculquée, des camarades dans la mouise
Et, loin des champs de bataille labellisés par l’oligarque,
Camarade albigeois ou collectif de Commercy
Camarade migrant et camarade indigène
Camarade chantant pour les camarades au sofa
N’embrasse que le flic qui se déshabille et déchire son contrat

Ami entends-tu par delà l’éditocratie
La parole constituante qui s’écrie sur nos murs ?
De Nantes Révoltée à Paris sous les bombes
La mise en scène, en actes, de ta harangue et de ta révolte
À chaque extrémité du pavé une illusion à dé-gommer
Sors, prolétaire, prends les terres et les usines
Embrase, danse et jouis sur les actes notariés
Mène la danse, camarade,
Tout ceci est à toi,
Jusqu’à la lie,
À 99 %.


Des flammes des gaz des fumées satureront l’air
Que brûlent enfin les grandes avenues
Champs-Elysées puis Foch Keller et Grande Armée
Brisez les vitrines Brisez ce décors de malheur
Brisez ces chaines qui retiennent toute vie
Et quand revient le jour
Otez vos masques Camarades
Otez vos masques amis et complices
Car du vieux monde il ne restera que ses carcasses
Calcinées sur le goudron
Les barricades brûlées les feux de joie
Enfin
Il n’y aura plus ouest ni est ni Prince
Enfin
Le monde la ville la terre et les campagnes seront
Enfin


Pliez les réverbères comme des fétus de paille
Faites valser les kiosques les bancs les fontaines Wallace
Descendez les flics
Camarades
Descendez les flics
Plus loin plus loin vers l’ouest où dorment
Les enfants riches et les putains de première classe
Dépasse la Madeleine Prolétariat
Que ta fureur balaye l’Elysée
Tu as bien droit au Bois de Boulogne en semaine
Un jour tu feras sauter l’Arc de triomphe.

Déferle pour les morts et les blessés, amputés
Au cœur de Paris les palaces brûlés
Telle une déchirure révèle la fragilité de leur domination
Inoculée par la consommation
Libérale sédative
Les affres de la répression
Nue

La Loire, la Loire est ivre où les flics se mirent
Œil pour œil, main pour main
Descendez les flics
Camarades
Et dans les rues que vous prendrez
Dansez Sylvains dorés
Comme autant de Saturnales
Signant le glas de l’ordre ancien.

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