Grand jeu littéraire de l’été : le palmarès

paru dans lundimatin#206, le 9 septembre 2019

Voici enfin le palmarès de notre grand jeu littéraire de l’été !

Avouons-le, le nombre de challenger a dépassé toutes nos attentes, sans doute, aussi, parce que ces onze vers sont d’une actualité troublante (n’était datée que la mention de Lénine et d’autres personnages morts depuis longtemps).
Une lectrice nous reproche de vouloir « customiser » en quelque sorte Aragon. Les grands poètes ne sont grands que lorsqu’on a, pour nous, pour nos vies, pour aujourd’hui, l’usage de leurs textes ; à cette condition, ils sont vivants — tout autant du moins que dans une thèse, une édition scolaire, ou la vénération de leurs lecteurs.
Enfin, l’idée d’un jeu littéraire peut paraître désinvolte ou intempestif. Dada, le Surréalisme, mouvements auxquels Aragon a contribué, ont passé leur temps à inventer des « jeux » (dont l’une des premières dérives dans Paris, l’excursion à Saint-Julien-le-Pauvre, en 1921). Des « jeux », entre guillemets, parce qu’il s’agissait moins de se distraire que de changer de fond en comble la poésie et la vie — ça va ensemble depuis Rimbaud au moins.
Et puis, bien sûr, voilà une bonne occasion de publier l’intégralité de Front rouge (c’est le titre du poème d’Aragon) en donnant de brèves indications sur les circonstances de cette parution ; c’est ainsi que nous conclurons…

Nous publions aujourd’hui 4 poèmes, palpitants et pétants (le quatrième
explose même complètement le cadre, ce qui n’est pas pour nous
déplaire). La connexion Aragon/Gilets Jaunes s’est révélée poétiquement
logique. Les prochains gagnants seront publiés la semaine prochaine afin de ne pas embouteiller votre lecture.

Rebooter Aragon

Les réverbères pourquoi, pourquoi les kiosques
L’Arc de triomphe, on s’en fout
Symbole évidé
(par contre le Fouquet’s, frisson jubilatoire)
Ce ne sont pas ses pierres qui nous écrasent
Ce sont les puissants grotesques
Costumes cravates derrière une herse policière
Dénudez les flics
Camarades
dénudez les flics
Sous leur armure ce ne sont que des types
Qui n’ont rien compris ou qui se croient piégés.
Qui bossent pour payer leurs traites !
Retirez leur coquille et s’ils ne vous tombent pas dans les bras
Mettez-vous à quelques uns sur chaque
Pour séquestrer rééduquer
Expliquer à quel point leur vie est misérable.
Plus loin plus loin vers l’ouest où dorment
les enfants riches et les putains de première classe
Va, marche, prend ce qui est à toi
Casse la première hypnose
Celle qui dit que tout leur appartient
Ils ont assez gardé, maintenant on partage.
Que ta fureur balaye l’Élysée
Verrouille l’Assemblée
Nos chers représentants se seront déjà enfuis
Dans leurs hélicoptères !
Et sur les lieux désertés décide, toi,
À quoi tu veux que ressemble la vie
Gens de rien connaissez votre force
connaissez-la déchaînez-la
La domination tient à ce que vous avez cru
Que tout était préférable au désordre
Osez le désordre
Osez tout remettre à plat
Osez les foudres de l’Europe
Des agences de notation
Arrachez les tiques collés à votre peau
Banques néo-management contrôle des coûts
Le corps mou couché sur vous qui vous étouffe
Exsangue expirera
Compostez ses restes.
Cherchez ce qui est nécessaire
Vie, pas survie
Du corps, de l’esprit
Du pain mais aussi des roses.
Décidons comment nous voulons vivre
Et vivons.

juliette bouchery

***

... Ensevelissant les porcs épiques
Venus se rouler dans la fange nationaliste
Pétant au son du clairon
Sonnerie aux morts qui réveille le soldat inconnu
Eh merde ! Si c’est pour se farcir
Les illustres descendants des assassins
Qui nous ont envoyés nous faire gazer, flinguer, exploser
Rien que pour leur pognon
Pas la peine de venir m’emmerder
Moi, ce qui me fout les os en joie
C’est de voir les Gilets Jaunes niquer
Le petit prétentieux, son glaireux acolyte et ses sbires masqués
Descendez-les tous que je puisse enfin me tirer de ce trou 
Et retrouver ma belle au fond du trou
Qu’est à l’autre bout du pays.

***

Pliez les réverbères comme des fétus de pailles
Faites valser les kiosques les bancs les fontaines Wallace
Faites valser les flics
Camarades
Enlacez les flics
Plus loin plus loin vers l’ouest où dorment
les enfants riches et les putains de première classe
Dépasse la Madeleine
Prolétariat
Que ta vigueur balaye l’Élysée
Tu as bien droit au Bois de Boulogne en semaine
Un jour tu feras valser l’Arc de triomphe
Prolétariat connais ta force
connais ta force et déchaîne-la
II prépare son jour il attend son heure sa minute la seconde
où le coup porté sera mortel et la victoire à ce point sûre
que tous les experts social-fascistes
Penchés sur le corps de la victime
Auront beau promener leur doigts chercheurs sous la chemise de dentelle
ausculter avec les appareils de la désinformation son cœur déjà pourrissant
ils ne trouveront pas le remède habituel
et tomberont aux mains des émeutiers qui les condamneront à leur néant
Feu seront
Feu seront
Feu aussi les ours savants de la social-démocratie
Feu feu j’entends passer
la vie enfin qui se jette et recouvre toute cette comédie
Feu vous dis-je
Tout a disparu sous la conduite de gens
hier de si peu
En gilets de belles couleurs sous le soleil des lendemains
Vous attendiez ces feux du fond des rêves
Que plus personne ne crie pour vous
Feu feu et feu
Mais le vent
Le vent qui vous porte à ce juste moment

Jean-Patrick Abelsohn

***

Pliez les réverbères comme des fétus de paille
Faites valser les kiosques les bancs les fontaines Wallace
Descendez les flics
Camarades
Descendez les flics
Plus loin plus loin vers l’ouest où dorment
Les enfants riches et les putains de première classe
Dépasse la Madeleine Prolétariat
Que ta fureur balaye l’Elysée
Tu as bien droit au Bois de Boulogne en semaine
Un jour tu feras sauter l’Arc de triomphe

Blaa bla bla blaaa
Bla bla blaaa
Bla blaaa
Bla blaaa
Blaaa bla blaaa
Bla bla blaaa
Blabla le
Blablaa le blabrador glabre équeuté tondu
Blanchit à RIC-ovaire sauce grand vénère, ça
C’est un jeu de mot je le hais je hais les jeux de mots.
En vérité je promène ce chien à poils frais sac plastique en maïs chaud maïs chaud à la main
En cas de caca du chien sur le soleil :& : sous le sol de la République –
Entre sol et soleil :- : un sac plastic
Posé devant Picard-boutique Carré Frais Pik&Croq’ et pis
Picon-bière-et-olives aussi
Je préfère l’apéritif à faire le supermarché
Promener le chien aussi je préfère
Le super poète Aragon, pareil,
Quand je fais un poème super je pense toujours à lui enfin pas toujours mais souvent
Enfin ça arrive
Super bon poète
Vraiment souvent super
Mais
Mais. Mais.
Il est mort
Le con
Chèh !
Le Lénine du juste moment ! La honte …
Parfois il soûle hein mais c’est normal hein
Tout le monde soûle
A terme
Les moins soûlants d’entre nous soûlent d’un coup sûr
Parce que surprise ! c’est la surprise
Rien de soûlant
Et ça ça soûle
Et rien de soûlant c’est déjà suspect c’est déjà
Trop tard
Aragon Louis je ne l’ai point connu, oui, trop jeune, et oui
Les gens passent et la caravane passe, oui,
Les j’en parle et franchement je m’y reconnais.
C’était mal emmanché depuis le début cette histoire
D’enfouissement des déchets de chiens dont l’Humanité dit
Que le lundi 24 septembre 2012
Il y eut trente ans
Que le samedi 24 décembre 82
Cinq mots d’Humanité dirent en
« trois mots à la une » qu’
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« Aragon est mort. »
1 2 3

Ça jette littéralement un froid loin du corps en Août quand on sue, maintenant qu’on sait qu’on sut
Qu’on s’en fout. La vérité je travaille dans une piscine pour rafraîchir les gens je sue
Les gens suent en amont et avant la piscine
En aval après la piscine et dans l’Août d’aujourd’hui,
Eh, c’est mon jour de congé à moi, l’Humanité, pour qui
« L’Equipe de recherche interdisciplinaire sur Elsa Triolet et Aragon (…),
Met en ligne un dossier [qui]
(-qui chatbite) comporte un bilan de la recherche aragonienne,
[…] des contributions de chercheurs [bla],
Ecrivains [bla-]
Blartistes ainsi qu’un hommage à
Michel Apel-Muller, l’un des fondateurs de (…)
Qui vient de disparaître. »
Voilà.
« La mort qui se jette sur Michel Apel-Muller vous dis-je. Le remède habituel. »
D’hommages en hommages d’hommages, Blum, bim, gommé, Jaurès, pim, dégommé, je suis
Juste assez malin pour suggérer que je le suis
Au Panthéon dans un
Courant ascendant
Kia devancé l’appel d’air qui
Entre
Ici Viens
On est bien
Dans un courant d’air chaud hélas
Qui ne fait pas hélas claquer les portes hélas,
C’est-à-dire grand-chose, pas grand-chose. Mais Bon.
Prolétariat connais ta farce
Range-la
Dans la glacière électrique par un temps pareil
Non mais, ça va tourner,
Un temps pareil regardez ça, des chaleurs…
Des grêlons… gros
Comme le poing, gros
Comme le do-mac-du-rond-point
Mais le mac-rond-n’est-point-do-du
Il s’entretient, lui
Au feu ça
Luit,
Foutez-y-moi ça, Mais Bien.
Le feu en Août en juillet
Et puis juin tiens, mais, et le joli mai
Qui embaumait
Les bons beaumes Bastille les
Beaumettes pastilles
Les beaux goûts bons de Tagadaragon
Quand les pommettes sont des bourgeons
Que des gens mangent mangeables, mais bon,
« Toute vie vient de ce tendre, de ce fin
Bourgeon d’avril,
Et de cette sève qui pleure en mai » oui « mais
La rude écorce n’est rien,
Que du bourgeon durcit.
Et c’est pour cela que le tendre bourgeois
Perce toujours dessous la rude écorce.
Le bourgeois ne résiste point. C’est aussi qu’il n’est point fait pour la résistance ;
Car il est plus facile, dit Dieu, de ruiner que de fonder, 
Mais le tendre bourgeois n’est chargé que de faire naître.
(Et de faire durer.)
(Et de se faire aimer.)
Or je vous le dis, dit Dieu,
Sans ce bourgeoisement de fin avril, sans ces milliers, sans cet unique
Petit bourgeoisement de l’espérance, qu’évidemment tout le monde peut casser,
Sans ce tendre bourgeois cotonneux,
Que le premier venu peut faire sauter de l’ongle,
Toute ma création ne serait que du bois mort.
Et le bois mort sera jeté au feu », et alors Fin.
Et alors c’est déjà la paix, c’est déjà là là,
La fin,
C’est la fin là c’est
La paix partout. Ya de la poésie en paix partout
Qui bourgeonne
Alors les gens des Baumettes sortent prendre l’air dedans pour
Prendre l’air dedans pour
Je sais pas pour
La Fin 2
De ce bourgeonnement de fin avril sur BFM Papier :
« Depuis l’ouverture en mai 2017 de l’aile pour femmes
A la prison des Baumettes
Les riverains subissent des bruits permanents,
Les riverains réclament des patrouilles de police
En permanence. Les voisins des Baumettes protestent contre les nuisances, sonores, subies :
Cris, discussions d’une cellule à l’autre, parloirs sauvages, interpellations des passants...
Ces nuisances sonores quotidiennes devraient disparaître sous peu
Grâce à la pose d’un dispositif anti-bruit : 
"Il s’agit de châssis placés sur les deux tiers de la fenêtre et d’un système
De piège à son
Sur la dernière partie de la fenêtre",
Explique Lionel Royer-Poireau », maire d’arrondissement, LR Poireau, l’asperge du pauvre :
« Une espèce de plante herbacée
Vivace
Cultivée comme légume ». Et oui,
Le poireau est un légume
« Qui empoigne la terre
Comme un fouillis énorme,
(Un fouillis qui est un ordre)
Quand vous voyez tant de force
Et tant de rudesse
Le bourgeois tendre ne paraît plus rien du tout.
C’est lui qui a l’air de
Parasiter l’arbre, de manger à la table de l’arbre,
De ne pas pouvoir exister sans
L’arbre arable, sans
L’ar.bre
(Et le paysan les appelle des gourmands.) » 
Et pourtant
« C’est de lui que tout vient au contraire, lui sans qui l’ar.bre
Ne serait pas, rien
Sans lui qui durerait. »
C’est donc au fin commencement d’avril le mois
Que je faisais ce texte
Pour clarifier
Mais ça disait déjà l’avenir parce qu’on clarifie son vin
Quand y ya pas assez de clarté et
Qu’on a du trouble en trop
Et du trop trouble
Alors qu’on clarifie tout court quand y ya trop
tropdeclarté
Et que le trouble reste clair
Et que tout le reste reste et qu’on est
Emmerdé Ainsi
Que l’existence existe ainsi
Et aussi oscille aussi
En tant et tant de détails
Qu’on rafraîchit sa coupe pour rafraîchir
Et pour se rafraîchir au front
Avant d’être dans la chaleur
A l’avance d’avance
A l’avenir pour finir
Le mois d’Août. 
Prophétie :
Propriétaires de chiens :
Vous seriez tué.es.
Propriétaires d’actions à réactions à rédactions,
Propriétaires tout court : 
Vous vous pendriez
Propre et net sous un TER
Pour nous imiter propriétaires
Dans la fin des fins de mois et 
Dans les seins des seins des Gonesses
Seras-tu sauras te pendre haut et court et tout
Dans ta hauteur de
Plafonds de
:Propriétaires : prendrez-tu
Les cachets irez-tu te
Cacher irez-tu te
Coucher dans le Fun Finistère
http://www.finisteretourisme.com/
https://www.indeed.fr/Bretagne-Emplois-Funéraire
https://avis-de-deces.ouest-france.fr/obseques/services-funeraires/annuaire-des-professionnels/annuaire/29-finistere/ 

Aragon Louis, « Front rouge »
Mathieu Farizier Figolu, « Grand jeu littéraire de l’été »
https://www.humanite.fr/trois-mots-la-une-aragon-est-mortl
Charles Péguy, Le Mystère des Saints innocents
https://www.bfmtv.com/societe/prison-des-baumettes-un-systeme-anti-bruit-installe-face-a-l-exasperation-des-riverains-1670126.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Poireau

En travaillant à la piscine, à la pause,
Je fais des nages
Dans l’aquarium 
J’apprends 
Que la langue est rotonde – et molle
D’une belle rotondité – de moule
À révolution ronde – qui tourne
Avec diamètre qui grandit.‘,\ kkrkrkrrkr
On l’attendait
Le soir du grand lendemain mais bon
https://www.lemonde.fr/idees/article/2011/12/15/triste-fin-pour-france-soir-version-papier_1619147_3232.html
Le mac-rond-n’est-point-carré
https://www.20minutes.fr/nantes/1784711-20160211-nantes-nouveau-mcdonald-carre-feydeau-fin-avril
Némo t’es pas dans l’eau s’t’y vas gagné
https://fetedelamusique.culture.gouv.fr/actualites/A-vous-de-chanter-le-21-juin-dans-les-salons-du-ministere-de-la-Culture

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