D’entre les brasiers, donc apercevez la lumière

De retour du Rojava...

paru dans lundimatin#343, le 13 juin 2022

« C’est l’heure des brasiers, et il ne faut voir que la lumière. »
José Marti

De retour du Rojava [1], l’on redécouvre avec peine le spectacle. Le spectacle de cette civilisation qui se meurt et qui nous entraîne avec elle tout au fond de l’on ne sait quoi si ce n’est une sorte d’abîme. Obscur, froid, et blême. Pour l’empire, cette abîme n’est ni plus ni moins qu’une fin, qu’un objectif. La totale désintégration de tout ce qui constitue la vie libre. Il peut arriver au spectateur, de prendre conscience de cette entraînement, de cette chute en avant-ce. Dans l’aperçu de cette direction abîme-ante le spectateur rencontre parfois la mélancolie. Le spectacle est larmoyant.

Mais le pleur ne servira pas tant que ses larmes n’abreuveront pas nos rêves. Une larme n’est alors pas un simple liquide corporel salé, non, la larme, c’est le reflet des mondes que nous imaginons que nous souhaitons ou espérerons comme alternative à l’abîme. Nos mondes libres, magiques, dont les cœurs ne font qu’un et où seul l’amitié règne. Ici, le vide est en train d’être reconquis, nous donnons l’assaut. Ces mondes sont des maquis, des bases arrières où l’on vit, où l’on résiste et d’où l’attaque sur les places fortes de l’ennemi est organisé. C’est d’ici que l’on regardera brûler l’empire, incendie de notre étincelle.

« Créer deux, trois… de nombreux Vietnam » [2], créer deux, trois de nombreux Rojava, créons deux, trois, de nombreux mondes.

Longtemps, comme un Giovanni Drogo venant de la plume de Buzzati [3] et qui ne serait pas un officier de l’armée italienne mais un ami comme nous, l’on cherche le fort Bastiani, place défensive et stratégique située à la frontière entre une de ces plaines et le désert des Tartares. Décidons, et ce parce que nous aimons détourner beaucoup de choses, y compris la littérature, que ce fort Bastiani est l’un de ces mondes dont il est question. On entend parler de ce fort, la brume se dissipant on l’aperçoit puis on le regarde de loin, on l’espère, on l’imagine, on y cherche la route et on s’y rend. Un de nos mondes est situé au nord et à l’est de la Syrie, le Rojava est une terre de révolution. On y fait ce qu’il est question de faire de\en\pour nos mondes. Collectivement et en pratique on répond à la question : « comment vivre ? ».

Seulement voilà, les territoires de l’administration autonome du nord et de l’est de la Syrie [4] (AANES) sont un espace situé au centre d’un des champs d’action les plus importants du complexe politico-militaire de l’impérialisme. Le désert des tartares n’est pas loin. L’empire veut le voir progresser. Ravageant notre fort Bastiani. Il existe autant de menaces que de pouvoirs impériaux. Aujourd’hui, la plus importante de ces menaces se trouve être le fascisme turque, l’impérialisme néo-ottoman. Dans sa politique, continuation de sa guerre, la terreur du gouvernement impérial turque se maintient en vie, alors, l’armée de cette hydre, qui a sa place dans ce que l’on appel l’OTAN, mène un projet de destruction des forces révolutionnaires et du peuple kurde sur son territoire ainsi qu’à ses abords. Les débris de ce que certains jouissent à considérer comme héritiers démocratiques de la Révolution syrienne, sous-vivres djihadistes de l’empire turque, serviront de pantins à kalash appuyés par l’OTAN et attaquerons aux côtés de l’armée turque les territoires libres du nord et de l’est de la Syrie. Les pantins islamistes en question, ont déjà été utilisé par l’OTAN en 2016-17 dans une première offensive contre les territoires de l’AANES, puis en 2018 lors de la bataille d’Afrin ainsi qu’en 2019 avec les prises de Girê Spî et de Serekaniyê, remplaçant le confédéralisme démocratique [5] des zones conquise par la sharia et la terreur féodale. En outre, certains d’entre eux ont également participé à la seconde guerre au Haut-Karabach ainsi qu’ à la deuxième guerre civile libyenne. Partout où Erdogan souhaite guerroyer et étendre son influence ou conquérir, on retrouve la trace de ce mercenariat.

L’heure est à la distinction entre l’ami et l’ennemi, chère à Carl Shmitt et qui écrivait alors que « la distinction spécifique du politique, à laquelle peuvent se ramener les actes et les mobiles politiques, c’est la discrimination de l’ami et de l’ennemi » [6]. Ici, donc, en toute objectivité l’OTAN, l’hydre étatique turque et ses mercenaires, l’empire et les empereurs, est discriminé des amis car nous affirmons que ce sont nos ennemis, que ce bloc au service de l’hégémonie est contre nous et que nous sommes contre eux. Les actes et les mobiles politiques se rapportant à la discrimination ou à la distinction entre notre parti d’amis et entre nos ennemis sont la construction des mondes et leurs défense, indissociablement liés dans notre combat.

Au cours du jeu diplomatique des dernières semaines, l’OTAN se gargarise de renforcer sa puissance afin d’être à la hauteur des enjeux de son camp [7]. Dans le même temps ce jeu a donné un peu plus favorable Erdogan dans sa volonté de passer de nouveau à l’action contre les territoires libres du nord et de l’est de la Syrie. Tout n’est pas encore prêt. Une offensive se profile : militairement et stratégiquement on se prépare en attendant le feu verre de la circulation diplomatique mondiale. Les supplétifs islamistes sont comme des chiens qui aboient, et qui salivent prêt, au moment venu, à être démuselés et envoyés au combat par l’empereur Erdogan. Le calibre 5.56 otan est prêt à cracher, les drones, les hélicoptères et avions de combats ne demandent qu’à décoller et frapper, les artilleurs s’impatientent. Tel-Rifat, Minbic, et Kobanî sont en ligne de mire, dans les prochains jours il est possible qu’une nouvelle bataille commence et que le déluge de feu de nos ennemis s’abatte à nouveau sur l’AANES. Ce dernier ne peut nous éblouir. Nous avons choisi la vie libre, l’amitié et la vérité de nos mondes, et en réalité : l’ennemi en tremble.

Là-bas les amis sont prêt à résister, soyons-le ici. Partout, soyez prêt à la contre-attaque.

Gorki, faisant parler la mère écrivait qu’ « Il est né déjà beaucoup de ces gens il en naît toujours plus, et tous jusqu’à leur mort, ils lutteront pour la liberté, pour la vérité… […] C’est une œuvre commune a toute la terre, dans toutes les villes, les braves gens sont une force qui n’a ni mesuré ni compté, elle grandit toujours et elle grandira jusqu’à l’heure de notre victoire… » [8]

D’entre les brasiers,
donc,
apercevez la lumière.

Berxwedan jiyan e. [9]

[1Littéralement en kurde rojava signifie ouest. Géographiquement cela signifie donc partie ouest du Kurdistan.

[2Créer deux, trois… de nombreux Vietnam, voilà le mot d’ordre - Ernesto Che Guevara 1967.

[3Le Désert des Tartares - Dino Buzzati 1940.

[4Nom officiel des territoires de la Révolution Rojavi.

[5Le confédéralisme démocratique est le système de démocratie directe théorisé par Abdullah Öccalan et mis en pratique notamment dans les territoires de l’administration automne du nord et de l’est de la Syrie. Pour lire une brochure d’Abdullah Öccalan sur le sujet : https://freeocalan.org/books/#/book/confederalisme-democratique

[6La notion de politique, Carl Schmitt – 1932

[8La mère, Maxime Gorki 1907

[9En kurde : la résistance c’est la vie

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