Rennes : un policier sort son arme et braque des manifestants

6 perquisitions, 7 arrestations. Notre enquête.

paru dans lundimatin#107, le 5 juin 2017

Rennes, mardi 30 mai, 6h00 du matin heure locale, – cagoules, béliers, portes défoncées et fusils d’assauts –, des dizaines de policiers mènent 6 perquisitions simultanées aux quatre coins de la ville.
7 personnes sont interpelées dont 2 mineurs.

Un mois plus tôt, le 27 avril, en plein entre-deux tours, plus de 2000 personnes avaient manifesté à Rennes pour s’opposer tant à Le Pen qu’à Macron. Répondant à l’appel « On vaut mieux que ça » des dizaines d’autres rassemblements s’étaient tenues ce jour-là dans les grandes villes de France.
À Rennes, un incident avait pourtant émaillé la manifestation : un motard de la police nationale était descendu de sa moto, avait sorti son arme de poing et l’avait braquée sur les manifestants. La scène, captée par des journalistes sur place était devenue virale sur les réseaux sociaux :


Rennes. Agressé, un policier met en joue des... by Letelegramme

Le jour même, la préfecture réagissait, n’hésitant pas à qualifier le geste du policier de "modéré et tempéré", saluant son "sang froid".

Un mois plus tard, l’histoire du policier-qui-braque-la-manifestation est désormais qualifiée de « violence avec arme ». Mais attention, il ne s’agit plus du policier qui menace la foule avec son arme de service mais bien de manifestants qui l’auraient attaqué avec... un pommeau de douche. C’est cet incroyable renversement qui a justifié les 6 perquisitions du 30 mai dernier. Afin de comprendre comment une opération aussi habile a pu être menée par magistrats et policiers, et puisque rien dans la presse ne permet d’expliquer un tel tour de passe-passe, lundimatin a décidé d’enquêter.

Le contexte, la manifestation

Dans un communiqué, des salariés de La Poste du syndicat Sud PTT évoquent un dispositif policier hors du commun et une ambiance pour le moins « tendue ». À propos de ce 27 avril ils relatent :

« La manifestation est marquée par une organisation militaire du dispositif policier, regroupant à nouveau la BAC, la BST, la SIR (la Brigade d’Intervention), un hélico et une escouade de gendarmes mobiles. 

Dès le début de la manifestation, les interventions se sont multipliées :
— Rue de l’Alma à 13h45 le 27 avril 2017, 3 cars de la SIR ont foncé dans le cortège et traversé la manifestation pour prendre position boulevard Beaumont.
— Plus tard, une charge violente a eu lieu à proximité du pont de Nantes faisant plusieurs blessés dont un passant.
— Plusieurs nasses (notamment à la fin de la manifestation à Croix Saint Hélier) ont eu lieu, ponctuées de fouilles et de provocations diverses.
— Plusieurs interpellations ont eu lieu au cours des charges de la part des CRS présents au Pont de Nantes. »

Une étudiante présente ce jour-là nous raconte ce qu’elle a vu :

« Il y avait des mouvements incompréhensibles de la police. De notre côté on était dans la crainte permanente de se faire nasser, parce que toutes les dernières manifestations à Rennes ont fini comme ça, et la dernière fois, le soir du premier tour c’était très violent. Donc à partir de ce moment-là, c’est normal qu’on se mette parfois à courir pour ne pas se faire encercler. L’histoire avec le motard, c’est ça qu’il s’est passé. On voulait pouvoir accéder aux voies ferrées. Le blocage de la gare c’est quasi rituel à Rennes, depuis qu’on nous interdit le centre ville. Je pensais que les motards allaient de toutes façons s’éloigner, comme ils le font à chaque fois. Courir vers eux, ça nous laissait une chance de passer. Sauf qu’un des motards est resté, par fierté peut-être. Il est descendu de sa moto, les gens lui ont dit de partir. Il est remonté sur sa moto, mais elle n’a pas démarré. Là il en est redescendu et il a braqué les gens. Après qu’il ait rangé son arme, il est remonté tranquillement sur sa moto. C’était la première fois que je voyais une arme à feu braquée comme ça sur nous, ça m’a saisi d’effroi. J’ai vraiment eu peur. J’ai vu la scène de loin mais j’ai été impressionné par ceux qui restaient face au motard et qui lui disait de se calmer et de baisser son arme. »

33 jours plus tard – Dommages psychologiques et arrestations musclées

C’est bien connu, chacun voit midi à sa porte, surtout lorsque l’on a le pouvoir de venir défoncer celles des autres. Depuis quelques temps, les excès des magistrats rennais à l’encontre des militants politiques sont régulièrement dénoncés par la presse [1]. Commençons par le motard ou plutôt les motards. Étonnamment, aucune enquête interne ou saisie de l’IGPN à l’encontre de celui qui a dégainé son arme. Ce dernier ayant déclaré s’être fait agressé à l’aide d’un pommeau de douche, il a obtenu une journée d’Interruption Temporaire de Travail. Sa collègue, celle qui l’accompagnait avant de s’éloigner au moment du « braquage », en a quant à elle obtenu le double, soit deux jours d’ITT et cela bien qu’elle ait vécu la scène à distance. C’est que leurs dommages sont d’ordre psychologique. Ils ont déposé plainte.

Ces traumatismes matérialisés par un et deux jours d’ITT et conditionnés par un dépôt de plainte, ne peuvent dès lors plus rester impunis. Il s’agira de mener une grande opération de police un mois plus tard en espérant retrouver les « agresseurs » qui manquent.

Nous avons pu joindre des proches des personnes arrêtées dont certains étaient présents lors des perquisitions. Ils témoignent :

« Ils ont mis une demi heure à ouvrir la porte blindée. En fait, ils l’ont défoncée avec leur bélier de telle manière qu’il n’était plus possible de l’ouvrir de l’intérieur. On a été réveillé par le bruit mais on ne pouvait même pas les aider à ouvrir la porte par qu’elle menaçait vraiment de nous tomber dessus. Donc on a plus bougé. Quand ils sont enfin parvenus à entrer, on s’est tous couchés par terre. Ils nous ont dit qu’on avait bien fait de le faire car dans le cas contraire ils nous auraient « défoncés ». Ils sont entrés avec un bouclier et tous étaient cagoulés. Le premier truc qu’ils ont fait, c’est d’enlever leur cagoule pour se prendre en selfie devant la porte détruite. »

Au même moment dans une autre habitation, la police, après avoir là-aussi détruit la porte, commence par la chambre d’enfant où se trouve un bébé de 10 mois, les parents racontent :

« On a été réveillé en entendant des grosses voix dans le babyphone de la chambre de la petite. Ça m’a donné le « privilège » d’avoir le temps d’enfiler un pantalon avant de me faire braquer, mettre au sol et menotter puis d’attendre presque une heure dans le jardin avec mon autre coloc, qui lui était en caleçon. Ma compagne a pu rejoindre notre fille au bout d’un quart d’heure, mais a dû lui donner son biberon entourée d’une dizaine de flics cagoulés. Il n’y avait qu’une seule femme flic parmi eux, et c’était la seule à ne pas avoir de cagoule. C’est donc elle qui s’occupait de ma fille en attendant que ses collègues laissent enfin ma compagne la reprendre. Les autres flics l’appelaient « maman « : ils avaient anticipé la présence de l’enfant, et ils sont allées le chercher avant de nous réveiller. Quand on gueulait contre cette intervention de tarés en présence d’un bébé, ils nous répondaient « on ne fait pas n’importe quoi, nous aussi on est pères de familles ». Moi je sais pas si à leur yeux je suis « un bon père de famille », mais ça me viendrait pas à l’idée de réveiller un bébé avec un flingue et une cagoule…
Ils faisaient partie de la BAC, ils portaient l’uniforme mais sur leur écusson on pouvait lire « Surveiller et punir, BAC Roazhon  », avec un personnage de faucheuse... »

Ailleurs, c’est un voisin qui aura l’honneur d’avoir sa porte fracassée à cause d’une erreur d’adresse. Quant aux deux mineurs arrêtés, le domicile de leurs parents connaîtra le même traitement.

Du contre-feu à la prison (passez par la case Comparution Immédiate)

Quelques heures la presse locale achèvera et consignera le retournement. Les faits, rien que les faits : « Motard agressé lors de la manifestation ni Lepen ni Macron, 7 arrestations ». La titraille vient recouvrir et effacer les images ; plus de motard qui avance arme au poing vers de jeunes manifestants mais un motard agressé et des agresseurs arrêtés. N’en parlons plus.

Pas de conférence de presse du préfet devant un parterre de journalistes, pas de bandeaux sur BFMTV pour congratuler les forces de l’ordre, rien. Le silence de la presse semble proportionnel à la démesure des moyens policiers employés. Des proches des personnes arrêtées ont leur petite idée quant aux raisons de cette étonnante absence de communication médiatique :

« Le préfet et le procureur n’ont aucun intérêt à médiatiser ces arrestations car cela impliquerait de reparler du motard qui braque la foule, de faire ressortir la vidéo et de prendre le risque qu’elle redevienne virale. Et cela très clairement, ça ne jouerait pas en leur faveur, bien au contraire, ça mettrait à nu le contre-feu qu’ils ont allumé, ça rendrait ces arrestations scandaleuses et aberrantes. »

Parmi les sept personnes arrêtées, l’un des mineurs sera relâché durant sa garde-à-vue après avoir pu démontrer qu’il n’était pas présent à cette manifestation et pour cause, il était en formation. Le deuxième mineur sera quant à lui présenté à un juge pour enfants et placé sous contrôle judiciaire.

Quant aux cinq autres, ils seront renvoyés en comparution immédiate pour le chef de violence sur agent assorti de trois circonstances aggravantes : « en réunion », « avec arme » et « avec dissimulation de visage », ainsi que de « groupement en vue de commettre des dégradations ou des violences sur personnes dépositaires de l’autorité publique ». Ayant refusé la comparution immédiate afin d’avoir le temps de préparer leur défense, ils ont tous été écroués dans l’attente de leur procès.

Du côté de la procédure, des proches s’étonnent de sa rapidité. « En fin de journée on savait déjà qu’ils passeraient en comparution immédiate le lendemain. On était étonné que pour ce genre d’affaire, avec des chefs d’inculpations aussi lourds, et autant de dossiers, ça puisse aller aussi vite et que cela passe en comparution immédiate. » L’amie de l’un commente : « Ceci n’est pas du tout anodin, là on sent que tout est fait pour qu’ils soient jugés vite et qu’on en parle plus. Depuis la prison et avec si peu de temps, ils savent que c’est très compliqué de pouvoir bien se défendre. »

Lors de l’audience de comparution immédiate, la salle est pleine à craquer, les soutiens sont venus en masse. Au cœur des débats, aussi expéditifs soient-ils, c’est la fonction même de cette instance, un grand intérêt est porté au profil « politique » des 5 accusés. En effet, certains d’entre eux sont connus de la justice pour leur participation au mouvement contre la loi travail ou pour la défense de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.
La juge annonce le registre du dossier : la manifestation serait organisée par "l’ultragauche" et le cortège aurait réuni seulement "900" personnes.
La procureure, qui a travaillé au pôle antiterroriste de Paris, se lancera dans une étonnante plaidoirie contre le droit de la défense à garder le silence et à refuser d’être jugée en comparution immédiate. Tout en concédant qu’il s’agit bien là d’un droit inscrit dans dans le code de procédure pénal, elle veut d’abord y voir la preuve d’une culpabilité. Que les accusés désirent se défendre dans les meilleurs conditions dénote de toute évidence d’un « rejet de l’État ».
« Quand on est innocent, dit-elle, on est dans la survie, et on cherche à prouver son innocence dès qu’on le peut ». Ou quand l’état de Droit démontre la haine de l’État ; le raisonnement étonne.

L’avocat de la défense lui rappellera cependant, que s’il s’agissait d’une affaire d’ordrepolitique comme sa plaidoirie cherche à le démontrer, l’instance de comparution immédiate serait alors incompétente pour la juger. Cela en tous cas, est inscrit noir sur blanc dans la loi.

L’affaire est finalement renvoyée au 21 juin. Sans hésitations, les juges ont décidé de placer les cinq prévenus en détention provisoire.

L’opération est impeccable : à partir de la vidéo d’un policier qui frôle la bavure contre des manifestants avec son arme de service on parvient à arrêter 7 personnes et incarcérer cinq opposants pour avoir attaqué au pommeau de douche ledit motard. Aux fracas des portes enfoncées par des hordes de policiers cagoulés répond le silence taoiste de la préfecture, du parquet et de la presse, la méthode est inédite, l’indifférence générale. Notre rédaction sera évidemment présente le 21 juin pour assister au procès et suivre les évolutions judiciaires de cette affaire.

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