Cauchemars et facéties #55

Errance sur l’internet. Les résultats : des préfets contre des requins, des préfets contre des lycéens, des policiers, des fichiers, des esclaves, des espions, plus de papillons.

Cauchemardos - paru dans lundimatin#95, le 1er mars 2017

INCITATION À L’ÉMEUTE

Dans la litanie des appels au calme ayant suivi les exactions commises par la police d’Aulnay ces dernières semaines, notons celui, bien particulier de Bruno Le Roux. Ce dernier est, selon Europe 1, ministre de l’Intérieur :

Lors d’une rencontre avec des jeunes du quartier Saint-Jacques, classé en zone de sécurité prioritaire (ZSP), après une visite rapide du commissariat de quartier, il a lancé : "Respectez la police autant qu’elle vous respecte ».

REQUINS

Un surfeur a été tué par un requin, mardi 20 février à la Réunion. La « procédure post-attaque telle que prévue dans le dispositif réunionnais de gestion du risque requins » (c’est son nom) a été activée par la préfecture. Le site linfo.re indique ainsi que

C’est dans ce contexte que les pêcheurs embarqués à bord du navire « L’Empereur » ont sorti de l’eau un squale. Pour plus de précision, ce requin bouledogue a été pêché vers 23 heures au large de Saint-André : il mesure environ 2 mètres.



Pour certains, ce dispositif de « prélèvements » ciblés est pourtant insuffisant. Ainsi, la « légende du surf », Kelly Slater a une proposition alternative, comme le relaie Europe1 :

Je ne vais pas être populaire en disant cela, mais il y a besoin d’un abattage massif à la Réunion, et ça devrait se produire tous les jours.

Car selon lui,

Si les plages du monde entier subissaient le même taux d’attaque, plus personne n’utiliserait les plages et des millions de personnes pourraient mourir comme ça.

VICTIMES

Rappelons que, quelques semaines seulement avant que soient rendues publiques les exactions policières d’Aulnay, les syndicats des forces de l’ordre cherchaient encore à étouffer les violences commises lors du mouvement du printemps dernier (contre la loi travail).

Ainsi, fin janvier, alors que deux policiers d’Ille-et-Vilaine étaient entendus par la police des police, soupçonnés d’être à l’origine du tir qui éborgna le 28 avril un étudiant rennais, leurs collègues manifestaient devant l’IGPN. Un représentant syndical d’Alliance, se plaignait ainsi que « les membres de la police soient "sans cesse entendus par l’IGPN" ».

Le délégué syndical cite l’exemple du responsable de la compagnie départementale d’intervention d’Ille-et-Vilaine, qui aurait selon lui été « entendu 18 fois » par la police des polices depuis le début des manifestations. Le syndicaliste déplore le « stress » engendré par ces interrogatoires. « Certains de nos collègues refusent désormais d’être habilités pour le port des armes », regrette-t-il. Et de s’interroger : « Comment va-t-on continuer à contribuer au maintien de l’ordre ? »

L’hebdomadaire l’Express rappelait alors que :

A l’issue des manifestations contre la loi Travail, l’IGPN a été saisie de 48 affaires de violences policières. Un policier, filmé en train de frapper un lycéen au visage, le 24 mars, en marge de manifestations à Paris, a été condamné en novembre dernier à de la prison avec sursis. Un autre fonctionnaire de police, également mis en cause dans des violences contre des lycéens, sera lui jugé le 16 juin.

Pour conclure (provisoirement) sur ce sujet, relisons ce court extrait d’une encyclopédie morale, datant de 1840 :


DEUX POIDS…

Un policier ayant frappé au visage un lycéen en mars dernier a donc été condamné à de la prison avec sursis. On entend déjà hurler au laxisme ! Mais qu’on se rassure, l’abattage judiciaire a toujours cours en France, comme le montre cette décision du tribunal correctionnel de Toulouse, datant du mois de novembre : 22 ans, casier vierge, vol d’une buchette de chèvre, 3 mois de prison ferme avec mandat de dépôt.

[L’accusé] avait dérobé le fromage mercredi dernier, dans un magasin Aldi, avenue de Lardenne. Intercepté par le vigile, il a indiqué par la suite au juge que c’était la première fois qu’il volait, et qu’il avait agit de la sorte parce qu’il avait le ventre vide depuis trois jours.
Le procureur de la république a requis une peine allant de 5 à 8 mois de prison ferme pour cet homme dont le casier judiciaire était vierge. Le tribunal l’a finalement condamné à 3 mois de prison avec placement immédiat en détention.

INTERDITS DE MANIF

Alors qu’une manifestation, notamment en soutien à Théo, était appelée par des lycéens à Paris, plusieurs personnes, désignées par la préfecture (via les services de renseignement) comme étant membres du Mili, ont été interdits de manifester.

Voici un extrait de l’arrêté administratif :

Un graphologue nous a confirmé : « M. Cadot était très déçu d’avoir du annuler ses vacances au ski à cause de ces blocages lycéens. »

Par ailleurs, la préfecture de Police avait menacé l’ensemble des lycéens tentés de se rendre à cette même manifestation. Il s’agissait d’un coup de bluff :

RAPPEL

Ces blocages de lycées ne sont pas les premiers de cette année scolaire 16/17. Outre les tentatives de reprendre le mouvement contre la loi travail au moment de la rentrée scolaire (une manifestation était prévue le 15 septembre), des blocages avaient eu lieu au mois de novembre en banlieue parisienne (dans les Hauts-de-Seine). En cause : la dégradation des conditions d’études.

Le Parisien notait alors :

lambée de violence ce mardi matin devant quatre lycées du nord des Hauts-de-Seine. Des feux de poubelles et des violences ont émaillé plusieurs rassemblements de lycéens qui n’avaient, pourtant, a priori aucun lien les uns avec les autres. Certains blocages étaient motivés par les conditions de travail ou de restauration scolaire, les autres par le soutien aux enseignants de ZEP…

Ainsi,

Vers 8 h 30, des poubelles ont aussi pris feu à Clichy, devant le lycée René-Auffray, où les élèves avaient déjà fait blocus lundi matin pour une toute autre raison : le départ du cuisinier, muté par la région dans un autre établissement, et la livraison, depuis deux semaines, de plats froids à la cantine.

DANS LE TES COMME DANS UN SAUNA

Peu importe qui sera désigné en mai prochain président de la République, il héritera de l’état d’urgence et du système TES (Titres éléctroniques sécurisés) aussi appelé « Mégafichier ».

Comme le rappelle Libération :

Le système TES (Titres électroniques sécurisés), qui concerne aujourd’hui les quelque 15 millions de titulaires d’un passeport, a été étendu par décret, le 28 octobre, aux cartes nationales d’identité. Il doit ainsi regrouper à terme les données personnelles de 60 millions de Français : état civil, noms et prénoms des parents, adresse, couleur des yeux, taille – mais aussi des données biométriques, photo du visage et empreintes digitales.

Or, ce TES sera déployé du 21 février au 28 mars, département par département, selon un calendrier révélé par Nextinpact. C’est-à-dire qu’il va devenir peu à peu impossible de faire une demande de Carte d’Identité sans que ses informations personnelles (dont les empreintes digitales) soient consignées dans le fameux Mégafichier.

Pourtant Bernard Cazeneuve avait promis que « le recueil et le versement des empreintes digitales du demandeur du titre seraient soumis à son consentement express et éclairé ». Mais, selon Nextinpact :

L’article 10 du décret TES est [pour l’instant] resté intact : il prévoit que « le demandeur du titre est informé, au moment de la demande (…) du nombre et de la nature des empreintes digitales enregistrées dans le traitement ». Non qu’il puisse refuser un tel versement.

De plus le ministère de l’Intérieur avait indiqué que le système ne serait déployé qu’après homologation par l’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Information (ANSSI). Or, l’ANSSI a « souligné qu’outre des bugs d’importances variables, l’actuel dispositif permettait de renverser la vapeur : basculer d’un système d’authentification à un système d’identification biométrique ».

Pour faire simple : les partisans du système TES prétendent que celui-ci ne servira qu’à vérifier l’identité d’une personne (notamment lorsqu’elle renouvelle sa Carte d’Identité) - « je m’appelle Machin Chose » ; « en effet vos empreintes correspondent bien à l’identité que vous déclarez ». C’est ce qu’on appelle l’authentification. Sauf qu’aucun moyen technique n’a été mis en oeuvre pour empêcher un changement de fonction du TES (à savoir, retrouver l’identité d’une personne à partir de sa photo, ou de ses empreintes ; ce qu’on appelle l’identification). Et on apprend donc que c’est le futur gouvernement qui décidera (ou non) de limiter techniquement et définitivement l’usage possible du Mégafichier.

Interrogé sur la mise en œuvre de ces préconisations par le sénateur Philippe Bas, président de la commission des lois, « Bruno Le Roux a fait part des réserves du ministère de l’Intérieur et renvoyé cette réflexion à son successeur ». On en déduit que la patate chaude a été renvoyée dans les bras du futur locataire de la Place Beauvau. Alors que le fichier TES aura été déployé dans toute la France.

RETOUR VERS LE FUTUR

Bastamag publie un article intéressant concernant les conditions de travail des chauffeurs Uber.

Ali se branche sur l’appli UberX pour commencer une journée de travail… à perte. Cet ancien serveur en restauration a beau travailler de 5h à 21h, il ne s’en sort plus depuis la baisse des tarifs pratiqués par Uber. Mais Ali n’a pas le choix. Il doit amortir sa Ford Mondéo qu’il a achetée à crédit plus de 30 000 euros pour se conformer aux modèles imposés par les plateformes.

Youssef vient de Villejuif. En dix heures de travail, il lui arrive de réaliser une quinzaine de courses sur lesquelles Uber prélèvera 25% de commission (35% pour le service de partage Uberpool). « Avant je faisais 1500 euros par semaine, maintenant je ne dépasse pas les 800 euros ». Soit 3200 euros de chiffres d’affaires par mois auxquels Youssef doit enlever les frais d’essence (500 euros) et la location de sa Mazda 6 (1600 euros). À la fin du mois, il touche autour de 1100 euros net. À cela, il faudra encore ôter la couverture du régime social des indépendants (RSI). Il en arrive presque au salaire qu’il percevait dans l’aéronautique, mais en travaillant cette fois le double. Et sans l’assurance chômage, les congés payés ni la retraite.

Robert a monté sa boîte. Il emploie désormais treize chauffeurs. Il montre fièrement le chiffre d’un de ses employés qu’il suit en direct sur son smartphone : 1673 euros net la semaine. Le montant détonne avec celui des autres. L’homme a roulé 64 heures en sept jours. « Ceux qui s’en sortent passent 17 heures au volant puis dorment dans leur voiture, j’en ai vus à l’aéroport », rétorque une manifestante. « Uber nous a vendu du rêve. Mais ensuite, on ne peut plus faire machine arrière », critique-t-elle. « Personnellement, si je n’avais pas de crédit, j’arrêterais. Mais je suis bloquée. Je vis avec moins de 600 euros par mois. »

Le site n’oublie pas de rappeler que :

Ce que vivent aujourd’hui ces chauffeurs prend son origine en 2009 avec l’ouverture du marché des taxis au VTC. La création du régime simplifié des « indépendants » – les fameux auto-entrepreneurs (Lire notre enquête ici) – a également facilité l’embauche des Uber. Deux mesures mises en place par le gouvernement de François Fillon suites aux préconisations de la commission dite de « libération de la croissance » dirigée par Jacques Attali, dont le rapporteur était un certain… Emmanuel Macron.

ANTI-PUB

On apprenait au mois de novembre dernier comment les publicitaires nous espionnent à l’aide d’ultrasons :

Votre chien a-t-il parfois un comportement étrange quand vous surfez sur des sites web ou quand vous regardez certaines émissions télévisuelles ? Peut-être faites vous partie des quelques millions d’internautes victimes des trackers publicitaires aux ultrasons. Quand il s’activent, ces mouchards d’un genre nouveau émettent un bref signal à haute fréquence, comprise généralement entre 18 et 20 kHz. C’est inaudible pour nous, mais pas forcément pour nos amis à quatre pattes.

Le récepteur du signal n’est autre que votre smartphone, votre tablette ou votre second ordinateur sur lequel vous aurez préalablement installé, sans vraiment le savoir, une application qui va enregistrer la petite onde ultrasonore - également appelé « uBeacon » - et l’interpréter. Le but de la manoeuvre est simple : il s’agit de pister le consommateur à travers tous ses terminaux. Dans le jargon marketing, on appelle cela le « cross-device tracking ». Exemple : un internaute visionne une pub sur la TV. Celle-ci émet un petit son qui sera enregistré par le smartphone. La prochaine fois qu’il ouvrira le navigateur du smartphone, surprise, il verra la même pub. Celle-ci, du coup, prendra plus de poids et sera donc facturée plus cher. Evidemment, les possibilités d’analyse statistique et de ciblage publicitaire sont immenses.

On sait désormais, depuis le CCC de décembre dernier, que ces mêmes ultrasons peuvent servir à révéler l’identité d’un utilisateur de Tor (système qui garantie normalement l’anonymat de l’internaute utilisateur).

Les moyens de désanonymiser les utilisateurs du réseau Tor se multiplient, comme le montre « la faille publiquement inconnue » trouvée par le FBI. La dernière en date a été présentée par six chercheurs lors du Chaos Communication Congress (CCC) à Hambourg à la fin décembre 2016. Et la méthode est pour le moins originale, car elle repose sur le traçage des ultrasons.

Plus exactement, elle se sert de la technologie nommée uXDT. Les annonceurs cachent dans leurs publicités des ultrasons. Quand la publicité est diffusée sur une télévision, sur une radio ou en ligne, elle émet des ultrasons pouvant être captés à proximité par les micros des ordinateurs ou des smartphones. Ces terminaux peuvent ensuite interpréter les instructions cachées des ultrasons via une application. En général, elles demandent d’effectuer un ping vers le serveur de l’annonceur. Objectif de ce dernier avec l’uXDT : connaître les liens d’une personne avec l’ensemble de ses terminaux et proposer de la publicité ciblée.

Mais cette technologie peut-être un piège redoutable pour les utilisateurs de Tor.[…]
Et les tests réalisés par l’équipe de Vasilios Mavroudis sont concluants. En analysant le trafic émis par les ultrasons vers le smartphone, elle a pu découvrir l’adresse IP réelle de l’utilisateur, les coordonnées de géolocalisation, le numéro de téléphone, l’ID d’Android, le code IMEI et l’adresse MAC du PC.

La solution ? Attendre que l’extension pour navigateurs SilverDog (qui, en filtrant les fonctions audio HTML5 supprime les ultrasons) soit étendue à Firefox (elle n’existe que sous Tor).

DOCTRINE

Le président de l’Assemblée Nationale, Claude Bartolone a annoncé avoir saisi le défenseur des droits, Jacques Toubon, sur la question de la « doctrine du maintien de l’ordre et sa pratique en France ».

Comme le rappelle le journal le Monde :

Cette proposition fait suite à une première saisie, l’année dernière, du Défenseur des droits par MM. Amirshahi et Mamère su sujet de l’usage de Flash-Ball et de lanceurs de balles de défense. « A cette occasion, vous aviez fait part de la nécessité d’une analyse plus globale à partir de faits avérés sur le comportement des forces de l’ordre lors de leurs interventions, au regard des règles de déontologie qui s’imposent à elle. »

Le président de l’Assemblée nationale propose donc à M. Toubon de mener une étude sur « les conséquences de la doctrine et de la pratique du maintien de l’ordre en France par les forces de l’ordre ». Il lui demande de remettre ses conclusions avant la fin de la législature en cours.

Gageons qu’il sera question dans son rapport de l’usage des flashballs et lbd, des tirs tendus de grenades lacrymogènes, des lancers de grenades de désencerclement à auteur de tête, et pourquoi pas de l’usage de la nasse, voire de la bac infiltrée dans les cortèges.

A noter que le président de l’Assemblée Nationale demande une comparaison avec les techniques en cours dans les pays étrangers.

En France, notamment depuis l’assassinat de Malik Oussekine par des policiers-voltigeurs en 1986 durant le mouvement social contre la loi Devaquet, la doctrine française du maintien de l’ordre visait à éviter au maximum le contact entre les manifestants et les CRS (d’où un usage massif des gazs lacrymogènes). La donne a commencé à changer après les violents affrontements entre marins-pêcheurs et CRS à Rennes en 1994. Depuis, les équipements des unités de maintien de l’ordre n’ont cessé de s’améliorer (tenues robocop, flashball, lbd, fusil 6 coups) ce qui a finalement contribué à « faciliter » l’usage de la violence envers les manifestants (notamment, par exemple, via les tirs de balles de défense ou de grenades offensives/de désencerclement).

D’autre part, et c’est ce qui s’est expérimenté massivement lors du mouvement contre le CPE en 2006, les unités de maintien de l’ordre ont été incitées à beaucoup plus intervenir, pour interpeller. Et ce, alors qu’au même moment on a vu une multiplication des unités de police (pas forcément spécialisées dans le maintien de l’ordre) amenées à avoir un rôle actif (notamment d’interpellation) dans le cadre de manifestations (BAC, GSP, BIVP en « civils » et bien entendu les CDI/CSI/CI en armure).

Le mouvement du printemps 2016 a offert à la police d’user, sans limite, de l’ensemble de ces effectifs et de leur armement (usage massif du flashball, principalement à Nantes et Rennes, usage massif des grenades de désencerclement, dans un but « offensif », notamment à Paris, intimidations, voire interpellations par des policiers en civils, parfois porteurs d’armes de poing, etc.). Mais le printemps a vu aussi l’expérimentation de techniques de maintien de l’ordre auxquelles les policiers français étaient peu habitués jusque là : encerclement « au contact » des défilés, nasses, fan zones, notamment. La conjonction entre d’une part la généralisation des techniques en vogue depuis 10 ans (encore une fois les tirs de flashball, mais on pourrait parler aussi des tabassages de lycéens par la BAC lors des blocus), et d’autre part l’expérimentation de nouveaux procédés coercitifs (proximité du cortège avec une foule de policiers jugés provocants ou agressifs, encerclement et immobilisation des cortèges pendant plusieurs heures, fouilles ou prises d’identités massives) ont provoqué de nombreuses polémiques (et de nombreux affrontements), durant les 3 mois et demi de manifestations.

Il y a donc de quoi être curieux concernant les futures conclusions du défenseur des droits. Mais surtout on attend de savoir (et de voir) si des changements vont effectivement être opérés dans la doctrine française actuelle du maintien de l’ordre. D’autant que les troupes en charge du MO n’ont pas toujours semblé particulièrement convaincues par le « système » en oeuvre au printemps.

Rappelons qu’une commission d’enquête parlementaire avait été créée à la suite de la mort de Rémi Fraisse, pour étudier "les missions et modalités du maintien de l’ordre républicain, dans un contexte de respect des libertés publiques et du droit de manifestation". Loin de préconiser un encadrement plus stricte de l’action des forces de l’ordre, le rapport de cette commission avait réussi le tour de force de placer la responsabilité de la violence policière sur le dos des "casseurs". Parmi les pistes évoquées par les parlementaire il y avait l’idée de pratiquer des interdiction préventives de manifestation, pour les personnes suspectées d’agir violemment dans de tels contextes (en prenant pour modèle la lutte contre le hooliganisme). Si aucune loi allant en ce sens n’avait finalement été votée, c’est l’état d’urgence qui a permis la mise en oeuvre de telles mesures coercitives.

On peut donc suspecter que les ajustements des stratégies de maintien de l’ordre iront vers toujours plus d’action policière "préventive". Voici par exemple ce que préconisait le chercheur Fabien Jobard dans une interview au JDD, notamment à partir de ses observations en Allemagne ou en Angleterre :

Désormais, la doctrine en circulation (Angleterre, Suède, Allemagne, Danemark, etc.) s’appuie sur le principe de « dés-escalade ». C’est-à-dire où la police essaie de privilégier des solutions où la force intervient en dernier recours. Elle fait en sorte d’isoler les gens radicaux, les perturbateurs, les fauteurs de trouble, et de les séparer du reste des manifestants pour que leur état d’esprit ne contamine pas la foule. Cela se fait par des mesures extrêmement ciblées d’interpellations en cours de manifestation. Les CRS et les gendarmes travaillent d’ailleurs à des solutions en binôme depuis le milieu des années 90. Vous avez, par exemple, deux CRS en protection et deux gendarmes qui fondent dans la foule pour aller chercher un individu ciblé. Pendant ce temps, et c’est précisément ce qu’il n’est pas fait en France, des policiers sont déployés pour informer et rassurer les manifestants des opérations en cours.

Par ailleurs, il faut souligner qu’il existe également des mesures préventives qui ne sont pas assez utilisées en France. La police peut désarmer [sic] des personnes à leur arrivée dans les gares à proximité d’une manifestation, elle peut ouvrir les coffres de voiture, elle peut confisquer du matériel. Elle peut même embarquer des personnes pour vérifications approfondies d’identité. Bref, elle peut faire en sorte que la force soit utilisée en dernier recours et qu’il n’y ait pas de « solidarisation » entre la foule et les manifestants.

En somme, plutôt que de soumettre tout une manifestation à un même dispositif coercitif voire violent, il s’agirait d’agir en amont (fouilles, contrôles), puis intervenir de manière ciblé en veillant à empêcher les gestes de solidarité. C’est-à-dire exactement ce qu’a essayé de mettre en place la police, à plusieurs moments et sans succès durant le mouvement du printemps. Car M. Jobard semble oublier une chose : c’est que ceux qu’il appelle les « casseurs » ne sont pas les seuls à détester la police - a fortiori quand ses exactions sont rendues publiques comme à Bergson, ou plus récemment à Aulnay, et que ses membres affirment de plus en plus leur proximité avec l’extrême-droite.

ORAISON FUNÈBRE

Pierre Bitoun et Yves Dupont, auteurs du Sacrifice des paysans aux éditions L’Echappée publient une tribune dans Libération contre l’industrialisation de l’agriculture. Ils rappellent notamment le rôle que continuent de jouer les syndicats dans ce désastre :

C’est pourtant sous l’égide du couple FNSEA-JA, que se poursuivent la liquidation des paysans et le formatage de l’agriculteur productiviste. Depuis l’après-guerre, c’est lui qui a piloté le tri entre les paysans qui devaient rester ou partir, lui qui a poussé les agriculteurs à s’endetter, à se spécialiser, à recourir aux intrants chimiques, lui encore qui, avec l’Etat, l’UE et les firmes privées d’amont et d’aval, a cogéré une politique agricole de concentration de la production autour d’une minorité d’agriculteurs. Et malgré l’échec de cette politique à tous niveaux (écologique, sanitaire, social, spatial, économique et financier, etc.), la FNSEA, présidée jusqu’à son récent décès par l’agrobusinessman Xavier Beulin qui dirigeait aussi la multinationale Avril, continue à promouvoir l’industrialisation autour des fermes-usines tout en tenant un discours lénifiant sur la nécessaire diversité des formes d’agriculture.

DECLIN

Selon le journal le Monde, qui relaie les conclusions « des chercheurs de l’université de Reading, au Royaume-Uni, qui ont contribué à un rapport publié lundi 28 novembre dans la revue Nature », nous assistons actuellement à un déclin des animaux pollinisateurs :

La plupart des pollinisateurs sont des insectes (abeilles, papillons…), mais ce groupe inclut aussi certains oiseaux, chauves-souris et lézards. Or parmi ces vertébrés, près d’un sur cinq est menacé d’extinction, ce qui, par conséquent, menace également les cultures. Quelque 9 % des abeilles (20 000 espèces, chargées de polliniser plus de 90 % des grandes cultures mondiales) sont dans la même situation. Idem pour les papillons.

Or, cela pourrait engendrer bien des tracas à l’espèce à l’origine de leur disparition progressive (l’Homme) :

Le déclin des pollinisateurs affecterait directement plusieurs cultures, comme la plupart des arbres fruitiers, des semences, des fruits à coque et des productions à forte valeur ajoutée (café, cacao, etc.). Ces cultures sont essentielles pour l’équilibre alimentaire humain, apportant vitamines A, C, calcium et acide folique, rappellent les scientifiques :

« La perte de pollinisateurs pourrait susciter une recrudescence substantielle de maladies. »
Cette augmentation du nombre de maladies pourrait générer environ 1,4 million de décès supplémentaires chaque année, ajoutent les chercheurs.

Visiblement, une partie de cette espèce animale pense que le salut se trouve, une fois de plus, dans la technologie. Ainsi, toujours selon le Monde, « à Villeurbanne, la première ferme urbaine de France expérimente une agriculture citadine, à grand renfort de technologies, en lieu confiné et aseptisée. »

On peut y voir un moyen de nourrir les agglomérations de plus en plus peuplées, une façon de réduire les transports des lieux de culture à ceux de consommation et de compléter l’offre des campagnes, où les sols agricoles s’épuisent.

Pas de terre ni de soleil, pas de campagne ni de pesticides non plus : les salades et les poivrons de la Ferme urbaine lyonnaise (FUL) se développent en pleine ville, dans une atmosphère confinée et aseptisée.

Les précurseurs lyonnais promettent des légumes « plus proches, plus propres, plus frais, plus sains », que des associations d’insertion pourraient, un jour, se charger de faire distribuer à vélo.

Nous finissons donc cette revue de presse en vous laissant dans cet univers sans terre, sans soleil, sans microbe, sans tracas. Bonne semaine !

Dans une des deux pièces aux parois obscurcies, surmontée de puissantes rampes de LED, a lieu un drôle de ballet de plants de batavia, de choux rouges, de sauge, d’aneth, d’aubergines, de piments, de thym ou de basilic, tous alignés sur un tapis roulant qui les transporte sur trois étages.

Au niveau inférieur, des fraises des bois en fleur s’avancent vers la station d’arrosage. Pour elles, c’est la belle saison : la température ambiante est maintenue à 24 °C. L’eau dans laquelle trempent brièvement les godets est ensuite filtrée, traitée par une lampe UV et réutilisée. A l’arrière, de nouveaux végétaux plantés dans un substrat composé de fibres de coco se réveillent dans la pouponnière. Lorsqu’ils arboreront quatre ou cinq feuilles, un robot les déposera sur le tapis roulant et le cycle reprendra. Le système de climatisation, l’ordinateur qui mesure chaque paramètre, les réservoirs d’eau enrichie de sels minéraux occupent la moitié restante de la serre.

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