Bargny, ici commence l’émergence

Immersion à 35 km de Dakar où l’on construit le désastre à venir

paru dans lundimatin#212, le 14 octobre 2019

Sorti en 2018, le webdocumentaire intitulé « Bargny, ici commence l’émergence » propose une immersion dans une commune sénégalaise, Bargny. Celui-ci interroge les impacts environnementaux et sociaux de l’industrialisation et du réaménagement du territoire, promesse de développement et d’émergence. Ce portfolio est une invitation à découvrir ce projet vidéos, textes et photos.

Langage politique, l’émergence n’est autre qu’une simplification lexicale destinée « à rendre vraisemblables les mensonges, respectables les meurtres, et à donner l’apparence de la solidité à ce qui n’est que vent » (Orwell- 1946).

Teaser "Bargny, ici commence l'émergence" from Nuit Noire production on Vimeo.

À 35 kilomètres de Dakar, la ville sénégalaise de Bargny est en passe de devenir la nouvelle grande banlieue industrielle de la capitale. Prise en étau entre les conséquences de la montée des eaux liée au changement climatique et son basculement forcé vers le secteur industriel, elle semble être devenue le vaste chantier de mondes qui se meurent.

Communauté de pêcheurs, propriétaires de leurs concessions familiales héritées de génération en génération, les populations sont peu à peu dépossédées de toutes ressources et rendues dépendantes des industries installées dans la région. Face à la spéculation immobilière, aux expropriations, à la pollution et à l’appauvrissement des ressources, les habitants de Bargny s’interrogent sur ce Sénégal en devenir inadapté aux enjeux environnementaux, économiques et sociaux.

Ici, se confondent les voix d’hommes et de femmes noyés dans le brouillard de leurs incertitudes passées et futures. Comme assis au bord du monde, Bargny questionne notre société et ses choix, écho des désastres en cours, témoin d’une marche forcée pour « l’émergence ».

Fortement décrié, il fallait réhabiliter le développement. C’est ainsi qu’est né « l’émergence ». Elle s’est alors hissée comme nouveau principe, s’imposant dans le langage et évinçant avec elle toute possibilité de critique : qui oserait s’opposer à l’émergence de « son pays » ? Idéologie du progrès et du productivisme, elle est une justification de la désappropriation, de l’expropriation et de la destruction quotidienne du vivant. Il faut polluer pour se développer. La pollution n’est donc plus à récuser, c’est sa nécessité : « l’industrie et la pollution, ou le chômage » [1]

Si dans ce webdocumentaire, il est question d’une cimenterie, d’une centrale électrique à charbon, d’un port minéralier et vraquier ou encore d’une nouvelle ville et de son Train Express Régional, d’autres projets ailleurs dans le monde font écho à ces politiques. Usines agro-industrielle, pétrochimique, autoroute, parking, prison, aéroport, centre commercial ou « EuropaCity », à coup de Buldozer et de béton, les politiques altèrent les territoires et les façonnent à leur image, avec toujours pour justification : l’intérêt national, la compétition de marché et la création des emplois. De leur installation à leur fermeture ou délocalisation en passant par leur reconduction s’impose la gestion des catastrophes de l’ordinaire, des risques industrielles et des erreurs techniques.

« Nous ne sommes pas entrés dans l’industrialisation les yeux fermés (...) Nos sensibilités sont aussi façonnées par ces histoires-là.. » Extrait de l’entretien avec Alexis Zimmer – La vie Manifeste
















[1Entretien avec Alexis Zimmer, à propos du Livre Brouillards Toxiques. Vallée de la Meuse, 1930, contre-enquête. De Emmanuel Moreira, La Vie Manifeste.

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