Assigné à résidence depuis 14 ans, Kamel Daoudi le restera pour ses « liens avec l’ultragauche »

paru dans lundimatin#354, le 11 octobre 2022

Les lectrices et lecteurs de lundimatin connaissent bien la situation de Kamel Daoudi, plus vieil assigné à résidence de France. Le ministère de l’Intérieur qui met tout en œuvre pour que M. Daoudi ne puisse pas vivre librement auprès de sa famille vient de passer une nouvelle étape dans l’ubuesque et le kafkaïen : ce serait désormais sa « radicalisation d’ultragauche » qui justifierait son enfermement à ciel ouvert. En l’occurence, la signature d’une pétition en faveur de la libération de « Libre Flo », militant rojaviste incarcéré, un tweet de soutien à Nantes Révoltée après les menaces de dissolution agitées par M. Darmanin et une interview dans lundimatin (À voir ici "Je suis libre dans le périmètre que l’on m’assigne).

Petit récapitulatif technique mais nécessaire. Il y a quelques mois, la cour de cassation statuait en faveur de M. Daoudi : l’interdiction de territoire français émise contre lui il y a 15 ans méritait d’être réexaminée au vu du temps écoulé et de sa situation familiale. Le 21 juin, une cour examinait donc cette requête en relèvement de peine. La veille de l’audience, le parquet national antiterroriste communiquait aux parties de nouveaux éléments attestant de la dangerosité de M. Daoudi. C’est à la lecture de ce rapport que ce dernier a pu découvrir qu’il était toujours « radicalisé » mais d’« ultragauche ». Que le ministère de l’Intérieur soit capable de la plus grande des mauvaises fois dans cette affaire n’a rien de surprenant, sans « éléments nouveaux », la peine n’aurait pu qu’être relevée et M. Daoudi libéré, ce qui est plus inquiétant c’est que des magistrats fassent leurs des raisonnements aussi absurdes qu’infondés. C’est en tout cas ce que démontre l’arrêt rendu par la cour. Nous publions ici les explications détaillées de M. Daoudi, ainsi qu’un échange avec sa femme dans lequel le couple revient sur ce quotidien fait d’attente et de rejet.


Après une attente inhabituelle de la décision de la Cour d’Appel de Paris, j’ai reçu de manière inattendue les motivations de l’arrêt de cette dernière. C’est en effet par le biais du Tribunal Administratif que j’ai pu comprendre les raisons invoquées pour le rejet de ma demande de relèvement de l’interdiction du territoire qui pèse sur moi depuis près de 15 ans.

Lorsque je prends connaissance des motivations de l’arrêt de la cour d’appel de Paris, je suis abasourdi. La décision est totalement inique et se base sur des éléments inexacts. La charge de la preuve est inversée. Je me retrouve donc sommé de démontrer la fausseté des allégations du Ministère public qui prennent pour argent comptant le rapport du PNAT (Parquet national Antiterroriste) et enfin la Cour évacue complètement l’intérêt supérieur de mes enfants qui est pourtant l’un des points importants que la cour aurait dû évaluer.

Enfin dans un bouquet final digne des brèves de comptoir des plateaux de chaînes de télévision d’actualité en continu, les magistrats de la deuxième chambre du pôle deux me reprochent de me présenter comme une « victime du système », de refuser de me plier aux décisions des institutions « sous couvert d’une victimisation affichée », de faire la promotion de mon livre auprès « de librairies anarchistes », d’avoir donné des interviews au média lundimatin, d’« user en intensité » de mes « libertés d’opinion et d’expression » notamment à travers mes comptes Twitter et Twitch. Enfin, bref d’exister et d’oser dénoncer ma situation à la fois kafkaïenne (dans la façon dont je la vis) et ubuesque (dans le traitement que m’infligent les institutions administratives et judiciaires de ce pays).

Voici un petit pot-pourri de ces saillies brillantes et inattendues de la décision collégiale de trois magistrats libres et indépendants de la cour d’appel de Paris.



Flash back… Pendant les vacances de la Toussaint de l’année dernière, les services de la Place Beauvau avaient refusé de m’accorder un sauf-conduit pour me rendre au domicile familial afin d’effectuer des travaux urgents d’isolation du toit de la maison familiale. S’en était suivi un recours devant le tribunal administratif pour en comprendre les ressorts.

Et c’est dans les pièces jointes de ce courrier du ministère qu’apparaît la décision de la cour d’appel tant attendue mais pour justifier a posteriori un refus qui date d’il y un an.

La décision de la cour d’appel de Paris est intervenue le 21 septembre 2022. le courrier du Ministère de l’Intérieur contenant le mémoire en défense est daté du 30 septembre 2022 et j’ai reçu le courrier du Tribunal Administratif le 3 octobre 2022, jour anniversaire de mon incarcération à la prison de Fresnes en 2001.

Il n’y a pas besoin d’être mentaliste pour deviner la supercherie.

La cour d’appel de Paris s’est empressée de transmettre la décision de rejet de ma demande de relèvement en IDTF (Interdiction Définitive du Territoire Français) au services du Ministère de l’Intérieur auquel il était enjoint de répondre sur la procédure administrative.

Quant à moi, je ne mérite visiblement pas les mêmes égards puisque à ce jour ni mes avocats, ni moi-même avons reçu officiellement, la décision tant attendue.

Et ce n’est pas faute d’avoir essayé puisque aussitôt la décision de rejet connue à l’audience du 21 septembre à la cour d’appel de Paris, mes avocats de demander la communication de l’arrêt. Il leur a été rétorqué que l3 document arriverait à leur toque — la désignation, en jargon juridique, du casier de chaque avocat inscrit au barreau — qui reste désespérément vide jusqu’à ce jour.

Le déroulement des évènements démontre à merveille, la porosité entre le pouvoir exécutif, l’autorité administrative et l’autorité judiciaire. Pourquoi s’embarrasser avec un étranger de surcroît expulsable, de protocoles et de règlements alors qu’il suffit pour ces hauts-fonctionnaires de se repasser les plats envers et contre tout respect des principes minimaux du droit.

Voir des juges judiciaires prendre pour argent comptant les notes blanches et autres rapports des services de police et du renseignement pour rendre une décision d’une aussi grande malhonnêteté intellectuelle en utilisant les mêmes biais que ceux de la justice administrative est effarant.

Les juges administratifs traitant des contentieux en matière de droit des étrangers ont à la rigueur quelques circonstances atténuantes.

En effet traiter les contentieux du droit des étrangers n’est pas une promotion pour les juges administratifs . C’est le moins que l’on puisse dire au regard des affectations après chaque concours annuel des magistrats administratifs.

Pour ce qui est de l’inversion de la charge de la preuve, un esprit chafouin pourra toujours arguer que le code de justice administrative (CJA) ne prévoit aucune règle d’attribution de la charge de la preuve en droit administratif.

Et enfin, traiter un contentieux dans lequel l’une des parties n’est ni plus ni moins que le Ministère de l’Intérieur peut s’avérer périlleux si l’on souhaite soigner son plan de carrière qui peut d’ailleurs mener vers l’un des postes juridiques prestigieux de la Place Beauvau. Pourquoi donc faire du zèle en faveur d’un étranger déchu de sa nationalité française et menacé à tout moment d’expulsion.

Mais pour des juges judiciaires se targuant d’être indépendants et autonomes — pour paraphraser un illustre justiciable, lui aussi habitué des prétoires — quelle indignité !

En discutant avec ma compagne, elle me rappela une citation de Véronique Nahoum-Grappe, ingénieur en anthropologie des mondes contemporains à l’EHESS qui lui trottait encore dans la tête lorsqu’elle avait préparé son mémoire de spécialisation en CAPA-SH, plus de 10 ans auparavant.

L’anthropologue y parlait du célèbre écrivain italien Alberto Moravia qui écrivait que « le fascisme produit l’ennui. ». Elle y analysait cette phrase un peu énigmatique en écrivant que « dans un espace totalitaire ; règne une langue de bois que chacun reconnaît comme fausse : elle suinte l’ennui. Les formes de vie sans perspectives ni possibilités d’action, de pensée, de création, de paroles un temps soit peu libres distillent, en plus et à côté de la terreur, un ennui terrible, comme dans tout lieu clos où plus rien ne peut se passer, où le temps ne passe plus. ».

Dans une phase avancée de gouvernement illibéral convergeant vers une forme de gouvernance crypto-fasciste, il est intéressant de constater le changement de paradigme du pouvoir tel qu’il s’exerce depuis plus d’un quinquennat.

Non-content de réaliser une holding sur le pouvoir législatif (qui lui était acquis de fait, grâce à une majorité absolue), le pouvoir exécutif monarchique en place a jeté son dévolu sur une autorité judiciaire prise en tenaille par une police et une administration qui revêt tout l’accoutrement d’une milice au service d’une classe et non plus d’un peuple. Cette emphase pourrait choquer pourtant force est de constater que le droit des Étrangers et l’état d’urgence législatif ont infusé dans le droit commun à la faveur de circonstances géopolitiques puis sanitaires, favorisant un pouvoir biopolitique suintant l’ennui que même sa propre novlangue ne suffirait pas à camoufler



Le rejet et l’attente

Que représente la justice si ce n’est, une vengeance institutionnalisée, encadrée par une morale établie et décidée par des érudits sûrs de leurs conclusions ? Au final la fin justifiera les moyens. La cohérence et les principes ne seront jamais les fils directeurs orientant les arguments pertinents pour l’émergence de leurs motivations préalables à la décision finale. La justice n’est tout simplement qu’une vengeance.

Aujourd’hui mercredi 28 septembre 2022, une semaine après la décision de refus, de la cour d’appel de Paris chargé de juger le relèvement d’IDTF (Interdiction Définitive du Territoire Français) de Kamel, aucune motivation n’a été transmise par le greffe.

La partie lésée qui réclame des représailles serait en tout état de cause le ministère de l’intérieur. Que justice soit donc faite par les juges compétents !

Est-ce obligatoire de donner les attendus concomitamment à la décision quand c’est le ministère de l’intérieur qui réclame la vindicte ?

– Apparemment, non.

La cour d’appel suit habituellement les orientations de la cour de cassation lorsque celle-dernière juge que la juridiction de recours n’a pas tout à fait respecté les principes de la Loi.

Et le plus naturellement possible sans que cela ne choque personne, le greffe de la cour d’appel – même s’il croule certainement sous une surcharge de travail – ne semble pas pressé d’adresser l’arrêt motivant le rejet.

Quinze ans d’attente, quinze ans d’humiliation vécue chaque instant méritent-elles d’attendre encore ? Il semblerait que oui pour la Justice du pays des Lumières.

Je ne comprendrai jamais ce qu’est un état de droit, où le seul droit qui ait sa place est celui de garder le silence.

En effet Kamel a toujours nié son implication dans un quelconque attentat terroriste.

Depuis vingt ans les services de police n’ont rien à lui reprocher.

Il a construit sa vie en France depuis toujours et vit comme tout quidam bien intégré grâce aux lois de la République.

Et le droit qu’on lui donne depuis 2009, c’est de s’exprimer devant les tribunaux et cours de justice qu’elles soient pénales ou administratives ; évidement sans jamais être entendu puisque les requêtes sont toujours et inlassablement rejetées pour les motifs les plus improbables.

Les avocats travaillent sans relâche avec fougue et conviction sans jamais bénéficier des fruits de leur dur labeur. S’exprimer, argumenter, prouver, démontrer sont les maîtres mots de la défense de Kamel dans cet état de droit. Mais les décisions finales qui sonnent à chaque fois comme le glas, avec des attendus qui n’ont que la légitimité de leurs décideurs, naissent sans prendre appui sur de réelles motivations. Quelles motifs sensés pourraient justifier une telle assignation ?

Conclure ces quinze années de procédures consisterait-il à décider de garder le silence ?

Que trouve t-on au delà de paroles vaines ? – Le silence.

Contemplons dès lors, l’immobilisme de la justice, celle-là même qui arrête ses décisions sans véritablement les étayer par des mobiles rationnels, en leur refusant volontairement des explications et des justifications.

Comprendre, c’est chercher une vérité en tenant compte de tous les points de vue avec isonomie.

Juger, c’est prendre en considération toutes les dimensions de la réflexion pour faire éclater la Vérité : une Vérité extérieure qui ne coule ni de source ni de l’intime conviction des juges ; une Vérité qui ne se satisfait pas du mensonge ni des notes blanches du ministère de l’intérieur déversant dans ses mémoires son mépris, son fiel et son arrogance.

Nier, comprendre et juger à l’emporte-pièce c’est une affaire d’État ;Un Etat voulant satisfaire sa vendett a.

Boycotter la défense – et donc sa propre parole – c’est aider les juges à vouloir comprendre, à poser les bonnes questions et à écouter ce que les demandeurs répondent.

* * *

Quoi te répondre, ma chère compagne ?

Je sais ta déception. Je sais ton angoisse de l’avenir. Je sais ton humiliation de voir le père de tes enfants autant méprisé comme s’il était un ectoplasme que les magistrats chassent à coup d’arrêts et d’ordonnances.

Moi-même, je nourrissais un secret et infime espoir que les juges jugent en leur âme et conscience au mépris de la Raison d’État. Mais il faut croire qu’ils n’ont ni âme ni conscience. Ce sont eux et elles les fantomatique évanescents qui se camouflent derrière la sévérité de la Loi comme si comprendre, c’était déjà expliquer et expliquer, c’était déjà trahir la République qu’ils sont censés incarner.

Et que dire de toute cette indifférence ?

« Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui le regardent sans rien faire. » disait Albert Einstein.

Je sais bien que chacune , chacun voit minuit à sa porte et s’empresse de se préserver face à ses propres adversités. Toi-même tu luttes comme deux pour six pour que personne ne sombre.

Sombre est l’avenir quand la justice d’un pays consiste dans le meilleur des cas à consoler les victimes et dans le pire à laisser les injustices s’amonceller jusqu’à emporter tout sur leurs passage.

Je sais que je ne suis pas citoyen de ce pays puisque tout du point de vue de mes droits politiques est tout simplement raboté, phagocité, nié.

Nous attendons les motivations de la décision de rejet de la Cour d’appel comme Vladimir et Estragon attendent toujours Godot.

Ma vie est absurde et par contamination la tienne aussi et celle de nos enfants. Déjà notre fils ne croit plus à mon retour au foyer. Il s’est fait une raison sur la raison d’État, lui si jeune pourtant : huit ans.

Lorsque des décideurs et des décideuses n’ont aucune empathie au point de doucher à l’écossaise les plus petites aspirations d’enfants innocents, il n’y a plus de préjugé favorable à placer en la Justice et encore moins en l’État au nom duquel elle juge en faisant mine d’être une métamorphose du peuple.

Alors « Allons-y »

Ils ne bougent pas.

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