Annkrist : « Qui chante combat ! »

Depuis 50 ans, une artiste majeure de la chanson française nous reste à découvrir !

paru dans lundimatin#325, le 7 février 2022

Qui chante combat, ce texte d’Annkrist est issu originellement d’un ouvrage regroupant des chansons de femmes, En portées, publié aux éditions Syros en 1979, lundimatin vous en propose ici la lecture. En sus de quelques chansons, Annkrist avait donné ce plaidoyer pour cet art sans équivalent, puisqu’elle le dit très clairement à qui veut bien l’entendre : « la chanson est le poème du peuple ».

« QUI CHANTE COMBAT

‘‘Qui dort dîne.’’ vient spontanément à l’esprit de tout un chacun, peu connaissent le proverbe dans son intégralité : « Qui dort dîne, qui chante combat. »

Proverbe de sagesse populaire, pas toujours aussi stupide qu’on ne le dit.

Et c’est vrai !

Si on laissait s’écrire l’histoire sans faire de chansons, on n’entendrait aucune voix humaine : juste un immense râle de troupeau.

Mais, chanson populaire et chansons éternelles, il en est qui en feront encore et en feront toujours… pour leur propre ardeur et le songe des autres…

Maisons en colère, enfants bouleversés, éternels mal barrés, il fait bon quand on chante, c’est vrai. On ne meurt plus, on chante.

Peut-être que la voix, c’est l’âme ? Je n’en sais rien – mais ce que je sais, c’est qu’il y a un charme dans la chanson, un sortilège unique.

C’est celui d’enchanter, justement.

Et aussi de sauver l’épopée de ceux que l’histoire, la grande, n’aurait jamais retenue. Voire qu’elle effacerait volontiers.

Chansons qui glissent dans les rues des corps et les artères des villes, chansons tragiques qui rappellent la pluie du monde et l’appel de la mer.

Chansons douloureuses qui vont vers la lumière comme l’eau du fleuve, chansons qui passent de cœur en cœur le secret de chacun pour tous, chansons qui descendent la montagne quand la journée est finie, chansons limpides et vaillantes comme l’éternité du temps, chanson du bonheur menacé – c’est pas vrai que nous sommes en temps de paix, non, c’est pas vrai – et chansons des races liquidées qui font mal. Il manque des couleurs, maintenant dans le chant du monde. Chanson inachevée du monde…

Ce doit être atroce de mourir quand on a une chanson à finir.

N’empêche que ce siècle-ci a sur l’âme le plus noir des meurtres, celui de Victor Jara et de tous ceux qui lui ressemblent. Ils ont mis dans la poche de son ventre une chanson à finir.

Une chanson qui dit que mourir tué, mourir usé, n’est pas mourir : c’est pire !

Chanson qui fait rêver le monde, et qui est sortie de son rêve aussi.

Chanson pour des rêves

et chanson d’amour…

Il y a dans certaines chansons, c’est vrai, un cristal qui sommeille et qui décalque là, noire le long du cœur, une tache effilée qui veille et qui se plaint.

C’est l’impatience d’une vie vivable pour tous ! »

Annkrist

Un livre depuis peu en librairie lui est consacré, la réédition de ses disques ne va pas tarder.

Imaginez une femme qui chantait dès la fin des années soixante, elle n’avait pas vingt ans et une écriture incroyablement mature et personnelle. En 1975, elle a déjà roulé sa bosse en diverses provinces et en Afrique ; elle produit un disque, vendu par correspondance, qui laissent pantois les critiques de Libération (« Un disque si beau qu’il devrait reposer auprès de chaque matelas, des couvertures indiennes, des nuits qui s’étirent… »), de Télérama (« en un seul disque, Annkrist se hisse au premier rang »), les trotskystes de Rouge (« Écorchée vive, elle nous écorche aussi et il faut se pincer pour émerger, pour rompre le charme dans lequel son univers, sa voix nous plonge. ») et un public médusé. Elle chante dans les cafés, les salles et les festivals de Bretagne, s’en va soutenir les grévistes de l’usine Lipp. Les années suivantes elle publie deux albums, auto-produits eux aussi, qui confirment un talent d’écriture hors normes, une personnalité à part. À part, elle l’est sûrement, et le restera. Est-ce cela qui gêne ? Le commerce ne la rattrape jamais. En 1978, elle est lauréate du « Contre Hit Parade » de la FNAC, mais rien n’y peut suffire. Car il y a là d’abord le goût de vivre, de regarder, de découvrir, d’écouter. Il y a le monde. Derrière le voile grave et luminescent dont elle fait un sien langage, Annkrist trimballe un amour de la vie qui force les épreuves. En 1986, elle produit deux nouveaux disques, Ange de nuit et Bleu Cobalt qui récolteront un prix exceptionnel de l’académie Charles Cros. Une reconnaissance, certes ; pour autant la gloire n’est pas son métier. Exigence et générosité paraissent contrecarrer les besoins de la reconnaissance la plus large. Les années passent, quelques concerts fleurissent dans les années 2000, aussi un long temps de silence, des aléas coûteux. Est-ce de sa patience ou de la nôtre qu’il faut se plaindre ?

Quelques titres anciens et inusables apparaissent ça et là sur la toile, postés par tel ou tel amateur. Exemples, ces deux titres du premier album :

Dans l’attente d’une réédition de ses disques promise pour très bientôt, et pourquoi pas d’un nouvel opus, un livre regroupe un ensemble de textes, témoignages, articles de presse et, bien sûr, les textes des chansons et une iconographie : ANNKRIST, éditions Goater, 2021.

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