À nos parents

Lettre ouverte pour rompre l’incompréhension.

paru dans lundimatin#225, le 17 janvier 2020

On a coutume de dire que les repas de famille en France sont des moments importants (si ce n’est intéressants) de discussion politique - particulièrement en fin d’année lorsque la plupart des familles sont contraintes ou heureuses de se retrouver. Si c’est le cas, alors les deux derniers Noël ont dû être particulièrement agités dans les chaumières de France, entre débats sur les retraites et le prix de l’essence, les gilets jaunes et les violences policières, Macron et la grève des transports. De jeunes lecteurs et contributrices de lundimatin ont voulu partager ce qu’ils ont pu dire, ou auraient aimé dire, cette année à leurs aînés.

La période des fêtes a été, comme chaque année, l’occasion pour beaucoup d’entre nous de retourner vous voir, vous, nos familles, et surtout nos parents.
« Nous », ce sont les milliers de « jeunes », lycéen.e.s, étudiant.e.s, travailleur.euse.s, précaires, qui n’en peuvent plus de ce monde de contraintes, d’obligations, de dettes, de travail.
Et forcément, lorsque nos aspirations se heurtent à vos attentes, les idées divergent, les étincelles jaillissent, et nous en souffrons.

Difficile exercice que de vous expliquer, à vous qui nous avez nourri, abrité, élevé, vu grandir, et qui espérez maintenant pour nous le meilleur, c’est-à-dire, dans vos esprits, des diplômes, un salaire élevé, une vie de famille bien rangée, que ce que vous croyez bon pour nous ne l’est pas, et que l’on n’a plus envie de suivre vos conseils.
Comment vous faire comprendre que l’ascension sociale dont vous rêvez tant pour nous, ne nous intéresse pas, que pour nous, le mot « études » est synonyme d’épuisement, de lassitude, de colère et de dépression, que le travail n’en est que le prolongement en plus abject et aliénant ?
Comment vous expliquer l’injustice qui nous crève les yeux tous les jours, comment vous exprimer notre haine du capitalisme, notre rage face aux dominants qui nous oppressent, notre détermination, et vous faire prendre conscience de la force de notre engagement ?
Comment vous montrer, à vous qui vivez une autre existence que la nôtre, que nous surnageons au quotidien dans une précarité diversifiée, car pécuniaire, affective et existentielle, symptomatique d’une génération qui prend conscience que rien ne va et qui refuse la survie qu’on lui propose comme seule voie possible ?

Nous voulons vivre. Pleinement.
Et suivre le chemin que vous cherchez à nous faire suivre ne le permet pas.
Nous en avons assez de vos injonctions à la rationalité, de vos appels au bon sens, de vos discours démotivants, de votre hypocrisie consistant à nous blâmer « pour nôtre bien », de vos chantages affectifs révoltants.
Nous en avons assez d’être perçu.e.s comme coupables de la situation : nos échecs scolaires, notre flemme, nos excès, sont légitimes, et plus encore, ils sont l’expression de notre vitalité. Nous ne voulons surtout pas de votre pitié, mais plutôt que pour une fois, la remise en question se fassent de votre coté, et pas du nôtre.
Nous voulons lutter, et ce n’est pas parce que vous avez renoncé pour votre part que ce renoncement pathétique doit nous servir d’exemple.
Honte à vous qui subissez depuis trente ou quarante ans la domination du patron et qui osez nous pousser vers un destin similaire.
Honte à vous qui ne percevez pas l’urgence de la situation que vous avez en partie contribué à créer de par vos années d’inaction.
Honte à vous qui ne comprenez pas que l’accueil des réfugiés, le combat féministe et l’anéantissement du capitalisme nous préoccupent plus que notre avenir professionnel.
Honte à vous qui ne comprenez pas que l’on prenne des risques pour faire chuter cet État policier.
Honte à vous qui nous forcez sans cesse à changer d’attitude sans jamais questionner votre position et vos privilèges.
Honte à vous.

Ne pouvez-vous donc pas entendre que notre bonheur ne réside pas dans l’ambition d’être reconnu.e.s socialement dans une société que nous haïssons ? N’êtes-vous pas capables d’imaginer que ce qui nous rend heureux.ses, c’est de s’opposer coûte que coûte à ce monde de dominations, et d’affirmer notre envie de jouir ici et maintenant des rares plaisirs restants ?

Oui, très chers parents – car nous vous aimons malgré tout, et nous souffrons que vous plus que tous les autres ne nous entendiez pas – le plus beau cadeaux que vous puissiez nous faire, ce n’est ni de nous gâter à Noël, ni de chercher à tout prix à nous protéger, ni de nous aider dans la « réussite » de nos études, c’est bien d’être dans la rue avec nous, c’est de vous mettre en grève et de participer aux actions, c’est de nous rejoindre dans la lutte, c’est de nous laisser faire nos choix et de les soutenir quels qu’ils soient et tels qu’ils sont.

Soyez moins bêtes merde.
Laissez revivre le ou la jeune rebelle qui est en vous, ça vous fera du bien vous verrez.

On vous embrasse,
A bientôt sur les barricades,

Vos gamin.e.s

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