PUNK anarchism

Éléments de PUNK philosophie
Miettes N°4

Jacques Fradin - paru dans lundimatin#283, le 12 avril 2021

Le pouvoir corrompt. Le pouvoir stable, durable, « parfait », supposé apporter « l’harmonie », ce pouvoir fixé transforme la corruption en architecture, pour un despotisme établi.
« La véritable démocratie » ne peut se suffire de se déployer contre l’État, ne saurait se suffire d’être anarchie.
« La véritable démocratie », non seulement doit déconstruire l’État, mais doit déconstruire tout état, toute position de stabilité ou toute institution installée, se prétend-elle « la plus parfaite ».
La véritable démocratie » est l’an-archie, le combat permanent contre toutes les institutions supposées « les meilleures » et posées irrévocables, le combat permanent contre les utopies merveilleuses et supposées éternelles. Y compris « les institutions anarchistes ».
Le seul chemin, pour éviter la dégradation de tout rêve en cauchemar, est d’empêcher tout « arrêt », toute stabilité établie, toute fantasmagorie d’une harmonie réalisable.
Le militant de l’an-archie ou du PUNK anarchisme est celui qui s’engage, sans effroi, dans le mouvement de la destitution des institutions, mouvement qu’il faudra, sans cesse, recommencer, sans halte ni fin.
NO FUTURE : tout Empire harmonieux de mille ans, que l’on tenterait de réaliser, puis de stabiliser, engage sur un chemin de corruption ; tout Empire sera désastré.

Miettes 4

Schéma restreint du monisme à dualité
Ou de la philosophie non standard
En exploitant le matériau Agamben.

Cadrons ces Miettes 4 en introduisant le système axiomatique de l’immanence radicale à dualité (système qui sera développé plus complétement dans les Miettes 6).
Le cadre théorique est un système axiomatique déployant la dualité Réel / réalité.
Le Réel déterminant (mais non fondamental) se caractérise par la détermination en dernière instance (DDI) : le Réel détermine DDI la réalité sans réciprocité (mouvement dynamique d’irréversibilité).
La forme logique de cette DDI est la non-commutativité ou l’absence de réciprocité (dialectique tronquée) qui définit la dynamique historiale, l’irréversibilité historiale (le passé n’est pas récupérable, tout renvoi au passé, tout « retour » est un mouvement en Futur – ce Futur pouvant être un nom pour le Réel).
La dualité peut s’introduire par la caractérisation de la réalité comme « autonome » : la réalité est autonome, mais en autonomie relative, relatif voulant dire sous condition de la détermination Réelle ou de la poussée Réelle.
Ce point (foucaldien) est important : la réalité est « auto-poïétique », elle constitue un système « auto-régulateur », mais à régulation chaotique ou par des crises.
Le Réel puissance est la source d’énergie qui alimente et permet la réalité.
La réalité est constituée par la capture énergétique (accumulation primitive continue, colonisation, exploitation, extraction, etc.) ou par la transformation « conversion » de la puissance (inutile) en force (utile) ; et le terme de « conversion » est essentiel à comprendre puisqu’il indique un processus « spirituel » (ou religieux), comme celui de la mobilisation de « l’amour » – cette mobilisation étant, sans doute, un modèle principal (la mise en esclavage des femmes – l’En Femme (Infâme) pouvant être un autre nom pour le Réel).
Mais cette capture ne peut-être complète : elle est : « pas toute », le système est « presque » total, le « pas tout » ou le « presque » désignant l’aspect négatif, apophatique, destituant de la puissance Réelle.
On peut alors dire : le caractère historial, erratique, au chaos, de la réalité dérive du caractère négatif, apophatique, du Réel.
La réalité puise sa force en Réel, dans « l’amour », dans La Femme (l’affame), dans les révoltes sans cesse reprises (modèle à la Negri), mais cette capture « pas toute » est toujours soumise à la destitution.
La source d’énergie (comme la puissance dynamique d’une révolution), qui alimente la structuration, par capture « réalisation », et qui est sans cesse à reprendre, cette puissance est également ce qui produit la déconstruction du système.
Dualité, ambivalence, ambiguïté sont des termes essentiels.
Le processus de réalisation, capture / destitution, n’est pas « dialectique » (au sens classique) mais définit une dynamique illimitée, irréversible (sans synthèse ou sans sursomption), l’historial (la forme en termes d’immanence radicale de la grande histoire hégélienne).
Aucun « retour » n’est concevable, aucune « récupération » non fantasmée n’est possible : aucune synthèse ou sursomption.
Le principe est celui de « la fuite sans fin », une variante du principe d’an-archie.
La puissance Réelle se transforme en force réalisée, le pouvoir qui est constructif, mais est constitué en force toujours déconstructible et qui sera déconstruite ; le pouvoir attend ses ruines.
La dialectique classique est transformée en un schéma dynamique plus complexe et à deux niveaux.
Nous l’avons dit (il faut sans cesse le répéter) : toute analyse doit être double.
Depuis le Réel, source d’énergie captable ET destructive.
Depuis la réalité, les tentatives vaines MAIS sans cesse recommencées de construire un ordre éternel.
C’est la puissance négative du Réel qui déstructure la captation préhension et la rend toujours incomplète et faillible.
Le Réel désastreux, déconstructif, détermine toute réalité comme un chaos ou un système au chaos (traversé de crises).
Le système peut, alors, se définir (apophatiquement) comme « lutte contre le chaos », ou lutte contre l’entropie, mais cette lutte est vaine et impuissante (la réalité sera toujours désastrée, et le militant est celui qui se place du côté du désastre ou de la destitution).
Les choses sont principalement regardées depuis la réalité (réalisme, empirisme, positivisme).
Mais comme la réalité est l’ensemble des tentatives vaines de régulariser le chaos (de manière plus ou moins violente, et donc ajoutant du chaos à du chaos), l’ensemble des actions impuissantes à arrêter l’historial désastreux, l’ensemble impotent des tentatives de constituer un « état » (sans majuscule, un état statique), il est tout à fait présomptueux (et plein de vanité) de se présenter comme « réaliste » ou « affirmatif ».
Les cimetières sont pleins de projets affirmatifs.
L’état statique, impossible, est néanmoins ce qui s’oppose à la dynamique désastreuse de destitution.
La dialectique reconfigurée se nomme, alors, guerre éternelle.
La dynamique de la dualité peut se caractériser comme « l’antagonisme ».
L’antagonisme est le nom « véritable » de la contradiction non dialectique.
Contrairement à la dialectique des fins heureuses (ou harmonieuses) ou des états stationnaires « définitifs », l’antagonisme est insursumable.
Tant qu’il y aura des humains.
Tout projet de paix perpétuelle ou de « communauté harmonieuse » (finale) sera frappé par la destruction antagoniste.

Sitôt que l’on voit bien que l’on a : absence de dialectique = absence de téléologie = absence de salut (ou de sotériologie) = absence de fin, pas de fin de l’histoire (et, donc, pas d’utopie réalisable), la question n’est plus celle de la fin, de l’harmonie (qui est un fantasme ou un imaginaire qui bétonne le symbolique), mais celle de la persévérance dans la lutte illimitée.
Le militant révolutionnaire n’est plus celui qui cherche « à constituer un nouvel ordre harmonieux » (l’ordre nouveau, toujours déjà ancien), mais celui qui cherche à maintenir le combat, à maintenir une position critique (surtout lorsque peut poindre une nouvelle communauté « libérée »).
Et, du reste, à l’envers, une communauté ne peut être dite « libérée » que lorsqu’elle maintient la puissance Réelle d’auto-déconstruction (une communauté an-archiste PUNK doit être « construite » comme une communauté auto-déconstructrice : l’important n’est pas le programme révolutionnaire des « premiers jours », mais le maintien de l’énergie destructrice, pour tous les jours suivants).

Maintenant, de manière plus théorique, si la réalité peut, localement, temporairement, être un système réalisé (que l’on peut donc empiriquement analyser en statique), il est TOUJOURS nécessaire d’ajouter que ce système est principalement un CHAOS qui, finalement, ne sera jamais stabilisé.

On connaît bien cette position « morale » qui consiste à se contenter de la stabilité locale (pourvu que cela dure), position collaboratrice ou opportuniste. Cette position « morale » ne peut être acceptée par les militants révolutionnaires ; le militant de la subversion est celui qui « voit déjà » DANS l’ordre présent la ruine inévitable ; et qui agit en fonction de cette ruine : ce serait un « accélérationniste » dans le domaine politique (et non plus dans le domaine technique).
Comme le Réel n’est pas une « entité », ni une substance, ni une divinité, comme le Réel n’est qu’un nœud énergétique « inhabitable » (terme de l’apophatique) qui se définit (négativement) par son ambiguïté, la dualité, comme le Réel se définit comme source de tout désastre (ou de toute réalisation), l’agir en Réel ne peut être que mouvement illimité.
Le Réel est un flux dynamique. Le Réel n’est pas localisable, c’est le vide des poussées, il n’est pas utilisable (son usage est désastreux).
Le Réel n’est pas une réalité, ni surtout pas une réalité ultime (on retrouve la critique de l’Être conçu comme « super étant »), il faut le concevoir négativement comme flux de corruption (flux qui corrompt, une sorte de « super oxygène oxydant »).

La confusion du Réel et d’une réalité « primitive » ou « originaire » ne permet, en aucune façon, de penser le Réel.
Sitôt que l’on comprend que le Réel n’est pas un « fondement » ou l’imaginaire d’une bonne société archaïque (la société des paysans de Carlo Levi ou de Pasolini), on comprend plus facilement que le pouvoir, l’opérateur de capture, n’est pas fondé.
Le pouvoir est an-archique (et pas seulement anarchique).
Le camp d’esclaves devient le modèle du pouvoir.
Ce qui nous permet de revenir à Giorgio Agamben ;
Revenons au matériau Agamben, à l’introduction de Giorgio Agamben au « poème philosophique » de Carlo Levi, Peur de la liberté (Éditions la Tempête, 2021).

La position en Réel de Carlo Levi est « enveloppée » de manière métaphysique par Agamben (d’une manière générale, Agamben se tient dans une « zone d’indistinction » entre le Réel et la réalité, ce qui l’oblige à continuer à penser de manière métaphysique).
Nous savons que le Réel n’est pas un lieu (la question de la Khôra) et que donc « la position » de Carlo Levi est un déplacement, ou plutôt un souffle, vers un non-lieu.
Mais Agamben continue de définir le non-lieu a-topique (le Réel) comme un lieu (et même un lieu de rêve).
C’est néanmoins un lieu « en retrait », celui du témoignage.
« Témoignage » à transformer en : puissance critique de déconstruction avec la définition : témoignage = critique = déconstruction (un appel en vide depuis le Réel).
« Le lieu » du témoignage (de la parole ou de l’appel) est un non-lieu caractérisé par l’éloignement, mais un éloignement ni spatial, ni historique, l’éloignement du Réel (du « dieu étranger »). Et, en dualité, caractérisé par l’éloignement ET par une proximité absolue.
Agamben ramène ce non-lieu à un lieu archaïque, par une compression typiquement métaphysique (du Réel en fondement ou en lieu originaire).
Agamben parle de lieu archaïque qui bat avec urgence dans le cœur du présent.
Ce qu’il faut déconstruire : si le Réel est une puissance de constitution, ce n’est jamais un pouvoir constituant, parce qu’il est « en même temps » une puissance de destitution ou, au moins, de corrosion corruption. L’appel, le témoignage, en Réel, depuis un non-lieu et comme appel à vide ou désespéré, est le témoignage de la dynamique Réelle déconstructive – qui bat « au cœur du présent », mais, surtout, combat ce présent ou en exprime la contra-diction.

Agamben ajoute : Levi est le témoin d’un autre temps à l’intérieur du nôtre, le témoin d’un autre monde à l’intérieur du nôtre.
Ce qu’il faut encore déconstruire : le Réel qui n’est pas réalisé n’est pas monde, et le monde réalisé est le résultat d’une capture (vaine).
Le témoignage porte sur le chaos, « la finitude » de ce monde, il n’y en a pas d’autre, ou : un autre monde est encore un monde, le témoignage porte sur les puissances désastreuses qui sont capturées, à perte.
Le témoignage est l’expression de la puissance qui corrompt ; mais qui est source de toute énergie.
La réduction, qu’opère Agamben, du Réel en monde ou en alter-monde, autre réalisation (Agamben pratique la statique comparative), est ce qui caractérise le plus simplement la métaphysique.
Métaphysique qui s’exprime, chez Agamben, en termes d’immanence absolue, c’est-à-dire de réalisme, de continuité sans rupture entre le réel (qui n’est plus le Réel) et la réalité ; immanence absolue qui peut permettre de réintroduire la négation de la négation (et la logique commutative), la négation de la puissance négative du Réel, Réel réduit à un lieu merveilleux (« archaïque »).
Toute réalisation est corruption, aussi bien celle des sociétés primitives supposées heureuses (et sans histoire) que de toute autre formation. La corruption étant ce qui emporte, transporte la négativité Réelle ; dont Carlo Levi est le témoin.
Toute réalisation se fait au chaos ; y compris les réalisations dont on peut avoir la nostalgie.
Et ce chaos n’est que l’expression de la dualité.
La politique destituante est celle qui écarte toute nostalgie et ne tente plus d’arrêter le flux (ce qui est impossible), qui n’imagine plus d’état ou d’arrêt, ni d’autre monde plus archaïque.
De quoi et pour qui, alors, témoigne Levi ?
Agamben répète : d’un autre monde, d’un monde qui est hors de l’histoire face au monde qui vit dans l’histoire.
Il suffirait de peu pour amener Agamben à la pensée dualiste.
Certes nous avons encore une phraséologie métaphysique ; mais le « hors de l’histoire » ou le « hors du monde » peut être transcrit comme un « en dehors » (à la Blanchot), un dehors qui ne désigne plus ni un lieu ni un autre monde, mais, disons pour commencer, « une source avant ».
« Source avant » doit être redéfinie pour ne pas être réduite à un « fond » (font).
Avant, dehors, au-delà, ne désignent pas une position spatiale ou temporelle (une réalité plus primitive ou plus archaïque), mais quelque chose qui est toujours là agissant (« à l’intérieur du monde »), quelque chose qui est toujours agissant comme négation. L’au-dehors n’est pas une position spatio-temporelle mais un non-lieu logique à définir dans une géométrie spécifique, celle de la dualité.
Agamben persévère : le vrai témoin est celui qui NE peut PAS témoigner (majuscules ajoutées par nous). Celui qui ne pourrait en aucun cas témoigner est l’unique témoin possible.
Nous retrouvons là la proximité d’Agamben avec l’apophatique.
Si nous reprenons la définition du témoignage dans l’axiomatique du Réel : témoignage à transformer en puissance critique de déconstruction avec la définition : témoignage = critique = déconstruction (un appel en vide depuis le Réel), l’introduction apophatique du témoignage (« qui NE peut PAS ») est l’expression de la dualité ou du Réel comme désastre ou destitution ; ce dont on NE peut PAS témoigner est le véritable témoignage, logique apophatique qui introduit l’en-dehors.
Témoigner peut seulement signifier : faire parvenir à la parole une impossibilité de parler pour ceux qui ne pouvaient PAS parler.

Faire parvenir à la parole : l’axiomatique, ce dont on ne peut PAS parler : le Réel vide.
Agamben poursuit sa veine négative : le sujet du témoignage est constitutivement scindé, il doit en tant qu’homme parvenir à l’en deçà de l’homme.
En deçà = au-delà, le Réel hors monde.
Mais, encore une fois, ce Réel n’est ni un temps ni un lieu où « l’homme n’était pas humain ».
Au contraire, il exprime la plénitude de l’homme par son ambiguïté, ou sa dualité, sa scission, son clivage (pour reprendre les termes de la psychanalyse).
L’en deçà au-delà est « l’homme » comme simple puissance (et non pas : « vie nue »).
Ce qui peut être nommé : homme nu, homme sauvage, loup, etc., qui n’est pas séparable de l’homme civilisé (le monisme) MAIS qui s’exprime (porte témoignage) comme négation, désastre (en dualité), fixé comme un autre monde (le Réel) dans le monde (réalisé) MAIS qui est coextensif au monde, comme sa négation.
Agamben continue : la grandeur de Carlo Levi est d’avoir réussi à témoigner pour ces non-hommes [notez la négation], à faire parvenir à la mémoire et à la langue un mutisme immémorial.
Faire parvenir à la langue un mutisme immémorial : belle analyse apophatique du Réel (qui « s’exprimerait » tout en conservant sa négativité, le mutisme indépassable).
Faire parvenir au discours, à l’expression, ce qui est hors discours, anté discursif, mais sans le réduire à une réalité alternative (le véritable témoignage est celui qui ne peut pas témoigner), voilà le Réel (posé axiomatiquement).
Depuis la réalité discursive, le Réel ne peut être « exprimé », il est muet ; il ne peut être exprimé qu’apophatiquement, puis posé axiomatiquement, dans le style : je suis qui je suis.
Scruter du regard une crise parvenue à son apocalypse, à la révélation extrême et fulgurante d’une civilisation qui est sur le point de basculer dans l’abîme.
Le livre (de Levi) se situe non à la source, mais à l’estuaire, son eau phréatique bouillonne et jaillit du néant pour retomber dans le néant.
Peut-on trouver plus belle expression de la puissance Réelle ?
La puissance qui fait basculer dans l’abîme.
Il faut expliquer (1) le chaos réalisé, (2) le fait que le chaos perdure et se renouvelle, (3) que la dynamique historiale est celle de « l’Abyme », de la crise (apocalyptique) sans fin.
Conception circulaire de l’histoire, avec des recommencements incessants, jaillir du néant, retomber dans le néant.
Le livre (de Levi) propose les grandes lignes d’une conception du monde, d’une réinterprétation de l’histoire.

Partons alors de l’opposition du sacré et du religieux.
Le sens de l’opposition sacré / religieux (Réel / réalité) ne prend tout son sens uniquement à condition qu’elle soit ramenée à celle plus vaste de l’opposition entre l’expérience inexprimable de l’indifférencié préindividuel ET celle plus abstraite et socialement articulée du différencié et de l’individuel.
Il existe une indistinction originelle, commune à tous les hommes sans exception.
Si le sacré est le sentiment et la terreur de la transcendance de l’indistinct, l’épouvante face à l’indéterminé, ALORS la religion est ce qui substitue, à l’inexprimable indifférencié, des symboles, un ensemble d’images concrètes de manière à reléguer le sacré hors de la conscience.
Par la religion, le sacré se fait loi, l’anarchie devient organisation et tyrannie.
Faisons un pas de plus (qu’Agamben, que nous venons de citer) :
Le Réel n’est pas une « expérience », il n’est pas lié à une conscience (car c’est l’inconscient).
Le Réel est le pré-catégorique que l’on postule par analyse régressive ou apophatique, par réduction phénoménologique.
Il est donc bien pré-individuel ; mais plus précisément « a-humain »
Mais cette pré-individualité n’est pas la caractéristique essentielle (nous sommes hors du domaine de l’humanité).
Il est inexprimable. Mais s’exprime de manière inversée, depuis la réalité. La religion se substitue à l’inexprimable indifférencié ; ce qui est nommé sacré, mais qui ne constitue pas une expérience, seulement une poussée.
La difficulté est toujours de voir les choses depuis le monde, depuis, donc, l’homme individu supposé conscient et volontaire.
Si le Réel est bien une indistinction (originelle, si l’on conserve un biais métaphysique à déconstruire), rajouter qu’elle est commune à tous les hommes sans exception est à la fois tautologique et problématique : le Réel N’est PAS humain ; c’est en cela qu’il est « universel », de l’ordre de l’univers et non pas du monde (c’est ce point qu’il faudrait développer pour critiquer les élucubrations « symétriques » de Latour).
Il faut faire très attention à ce que la question de la réduction réalisation du Réel en réalité ne soit pas abordée de biais par une analyse quasi-théologique, celle du meurtre sacramentel (alors que le meurtre est toujours « plat »).
Si l’on reprend l’introduction d’Agamben (que nous glosons), on s’aperçoit que les analyses d’Agamben nous font « avancer » dans la compréhension de la réduction (réalisation en réalité) :
Les termes des oppositions qu’Agamben met en jeu, sacré / sacrifice, indifférencié / différencié, etc., ne sont pas des substances (ou des entités) mais des processus, des processus qui ne sauraient être substantialisés, ce ne sont pas des entités mais des flux, des courants qui parcourent le champ antagoniste des tensions « humaines ».
Tout homme nait du chaos et retournera se perdre dans le chaos.
Une analyse de ces flux ou de la dynamique, qui se ferait en termes d’équilibre (économique) ou d’harmonie (à la chinoise), sera toujours incomplète.
Continuons la lecture (de l’introduction d’Agamben) :
En dernière analyse, ce qui est vraiment humain, ce ne sont pas les deux pôles de l’opposition (Réel / réalité) mais simplement ce qui se tient entre eux, dans un équilibre précaire, décisif.
Relisons : ce qui est « vraiment humain » (c’est-à-dire pensable en dualité) c’est le conflit ou l’antagonisme, non pas ce qui se tient (en équilibre instable) entre les deux pôles, mais la dynamique du conflit, ce qui « lie » entre eux les pôles « opposés » (en dualité).
Les seuls moments vivants dans les hommes singuliers, les seules périodes de haute civilité dans l’histoire, sont celles où les deux processus opposés de différenciation (en réalité) et d’indifférenciation (en Réel) trouvent un point de médiation et coexistent.
Il faut rejeter cette version en termes d’immanence absolue ; pour laquelle le Réel et la réalité forment un plan ou un espace, dans lequel calculer un centre de gravité.
Le Réel n’est pas un espace, ni un lieu, ni, surtout pas, une forme, humaine ou pas ; ce n’est pas un lieu primitif ou originaire. Réel et réalité sont coupés, scindés, clivés. La réalité est la spatialisation (« spontanée »), la constitution d’un espace, d’une localité.
Il ne peut donc y avoir d’équilibre entre la poussée Réelle désubstructurante ET les tentatives d’arrêter cette poussée négative (1) en la captant capturant, la civilisation, (2) en tentant d’empêcher ses effets délétères, chaos, crise, en imposant un despotisme de plus en plus « efficace ».
Il ne peut y avoir d’arrêt, ni de médiation, ni de coexistence, des armistices seulement, des lieux de halte temporaire qui définissent les institutions.
Poser l’existence d’un point de médiation revient à dénier que civilisation et guerre sont indistincts. Culture et barbarie sont inséparables (ce sont des termes en dualité).

Il y a un point important, dans l’ouvrage de Levi : l’introduction de l’État comme état ; stabilisation, étatisation, arrêt, mise au repos, stationnarité.
Agamben commente : la divinisation de l’État, comme de l’esclavage qui en résulte, est le signe du besoin des rapports humains réels et de l’incapacité à les instituer librement.
La divinisation de l’esclavage est le signe de la nature sacrée des rapports humains et de l’incapacité à les différencier sans les assécher.
Question : pourquoi cette incapacité (à instituer de libres rapports humains) ou pourquoi cette incapacité (à différencier sans assécher) ?
Réponse : parce que toute institution (au sens actif) est aliénation puis réification.
Il est impossible « d’instituer » de libres rapports (sauf en un sens canalisé du mot « libre »).
Agamben pense (sans pensée) la dualité, qui se présente par le ET : nature sacrée des rapports (le Réel indifférencié – nous serions renvoyés, ici, à Jean-Luc Nancy à l’idée de « rapport sans rapport ») ET incapacité de les réaliser (ces rapports sans rapport) sans les assécher (en rapports directs).
Mais Agamben reste dans le déni ; nous n’avons toujours qu’une demi-analyse incomplète, (1) on va du Réel à la réalité, l’assèchement, (2) mais cet asséchement (du Réel en réalité) exigerait une analyse complète (de la réalisation) qui n’est pas introduite, (3) comme l’analyse est incomplète, le contre mouvement de destitution, et sa signification, n’est ni pensable, ni pensé.
On a souvent dit qu’Agamben était un penseur « pessimiste » ; mais ici, par le déni, il se pose comme « affirmatif », malgré l’énoncé répété de « l’incapacité » ou de l’impotence.
Corrigeons le texte : la divinisation de l’esclavage ET la révolte des esclaves (l’impensé d’Agamben) sont le signe que les rapports humains réalisés (les seuls à exister) sont sans fondement, an-archiques, en Vide.
Ce « Vide » (autre nom du Réel de la révolte) caractérise « la nature sacrée » (et terrible), le Réel indifférencié.
Les rapports humains sont en Vide, sont « sacrés » et terrifiants, ET, donc, la dynamique de réalisation est nécessaire (la nature a horreur du vide, le sacré est le sentiment de la terreur) MAIS sera toujours, sans arrêt, condamnée, destituée.
Encore une fois, chez Agamben, c’est l’expression de la dynamique qui est incomplète : la dynamique est illimitée (et fait de l’histoire l’éternel retour), et cette illimitation doit être placée au centre (ce qui, autrefois, renvoyait au divin, à condition de le penser dans les termes de Marcion).
Il ne peut donc y avoir d’équilibre ou de coexistence.
Des îles d’ordre dans un océan de chaos. ET des îles d’ordre soumises à des cyclones permanents.
La divinisation de l’État est le signe de la terreur qui définit l’humain ; le sacré Réel est l’a-humain qui menace tout humain. L’idolâtrie étatiste (fixiste) durera aussi longtemps que l’enfance sociale n’aura pas pris fin, c’est-à-dire JAMAIS.
L’esclavage n’est pas un épisode de l’histoire de l’humanité, elle est, à la fois, consubstantielle à l’État (proposition anarchiste) et à tout état (proposition an-archiste) et continuera toujours à exister partout.
L’État idole ne peut exister, sauf à travers un processus d’aliénation et de sacrifice social, sauf à travers l’esclavage ; donc, l’État idole existera partout et tout le temps.
Esclavage et divinisation de l’État et de l’état sont une seule même chose.
La divinité de l’État ou de l’état, c’est l’esclavage, et l’esclavage ne pourrait exister sans la divinité de l’État et de l’état.
Tout mouvement de libération qui ne serait pas conscient de ce lien indéfectible entre idolâtrie étatique (ou imaginaire utopique d’une fin stable) est esclavage est condamné à l’échec. Le lien même qui unit la volonté du stable à l’esclavage l’unit inséparablement à la guerre.
La réalisation « étatisation », stabilisation en un état, est une dynamique de guerre ; contradictoire avec l’imaginaire de la paix qui semble résulter des « arrêts » ; mais qui n’est que la paix des cimetières.
Pour bien comprendre les thèses de la dualité, il faut passer de l’État à l’état, comme de l’anarchie à l’an-archie.
Autant la civilisation réalisation n’est pas un processus « volontaire », il peut y avoir des acteurs ou des porteurs supporters, mais pas des sujets, autant la destitution destruction n’est pas plus un processus « volontaire ».
Si l’on veut, ce sont des processus « pathiques », qui poussent ; l’agent, l’acteur (qui n’est jamais un sujet maître) est ce qu’il faut analyser ; la question de l’éthique politique se pose alors dans ce cadre de passivité, de réception, et non pas dans celui du volontarisme (ce qui renvoie à Badiou et à l’anti-humanisme).
Si la lutte ou la guerre est le terme initial, en Réel, l’agent est plongé DANS la guerre, sans avoir choisi.
Reste un choix à la Badiou : prendre le parti de l’événement, agir en Réel, pour la destitution, à condition de comprendre que cela ne peut jamais mener à une réalisation (contra Badiou), sauf contradiction, c’est-à-dire antagonisme. Et relance, en cercle, de la guerre.
Le militant de la justice est le soldat de la guerre infinie, guerre illimitée et éternelle.
C’est ainsi que ce militant accède à « l’éternité des astres ».
Le militant de la justice est l’Officier de l’Abyme ; rien ne résultera (de réalisé, de concret, de positif) de son office, sinon la perpétuation de l’agir de justice, la déconstruction – qui, de toutes façons, s’effectuera sans lui.
Mais lui, le porteur de l’office, ne peut « exister » (en tant que militant) sans l’engagement dans la perpétuation de la lutte.
La justice se définit par l’agir illimité (« infini ») ; et non pas par un quelconque résultat (bien trop « fini »).

Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l'évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.
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