Samson naît sous une promesse : un ange révèle à sa mère que l’enfant sera naziréen, consacré à Dieu dès sa naissance, et que sa force découlera de sa chevelure, qu’il ne devra jamais couper. Dès avant sa naissance, il est choisi – et en même temps rendu étranger à sa propre condition. Il grandit, doté d’une force physique prodigieuse, mais aussi de désirs incontrôlés et d’une attirance paradoxale pour ce qui lui est hostile – notamment les Philistins, ennemis d’Israël. Il tombe amoureux de plusieurs femmes philistines, en épouse une, en rejoint une autre, puis finit trahi par Dalila. Comme s’il cherchait presque à être trahi – comme si cette trahison confirmait quelque chose qu’il pressentait déjà sur lui-même. Lorsqu’il s’endort dans les bras de Dalila, il s’abandonne. Les Philistins coupent ses cheveux, le capturent, lui crèvent les yeux et le réduisent en esclavage. Aveugle et humilié, en captivité, il supplie Dieu d’avoir une dernière fois la force. Ses cheveux ont commencé à repousser. Lors d’une grande fête philistine dans le temple du dieu Dagon, il saisit les deux colonnes porteuses du temple et les fait s’effondrer. Dans la mort, il tue des milliers de Philistins — et s’y abîme lui-même.
Avant même sa naissance, le destin de Samson est déterminé par les autres. Un ange dit à sa mère : « Dès le jour de sa naissance jusqu’à celui de sa mort, il sera naziréen pour Dieu. » Il est frappant de voir comment la mort est présente dès le commencement – comme une ombre prédestinée à planer sur la vie. Au lieu d’une joyeuse attente, la grossesse est empreinte d’un sérieux étrangement aliéné. Peut-être est-ce cela qui constitue le noyau de la psyché de Samson – et, par extension, d’Israël. Un sentiment d’être à la fois désigné et exclu. Une âme qui n’appartient jamais vraiment, et qui s’épuise donc à chercher, à chasser, à aspirer – à l’amour, à l’appartenance, à la validation.
Samson n’est jamais pleinement juge pour son propre peuple. Au contraire, il est constamment attiré vers les Philistins – les ennemis de la nation. Il les aime, les épouse, joue avec eux, se venge d’eux, est blessé par eux. C’est un acte d’amour ambigu : à la fois désir et destructivité, recherche de communauté et rejet violent. Pourquoi cette fascination pour l’étranger ? Peut-être parce qu’il y a quelque étrangeté en lui-même. Il est engendré d’une manière mystérieuse, par une mère à qui on a omis un détail crucial : qu’il ne faut jamais toucher à ses cheveux. Il est aussi physiquement anormal : force humaine hors norme, tresses intactes, corps ignorant ses limites jusqu’à l’effondrement. Peut-être est-ce l’étranger – les Philistins – qui résonne en lui – comme s’il cherchait un miroir. Un autre.
Et ce mirage – cet écho – est peut-être son désir le plus profond. Pour sentir qu’il existe, il a besoin de voir son propre obscur en quelque chose d’extérieur. C’est pourquoi il punit, défie par des énigmes, se marie, se venge violemment. Ce n’est pas du plaisir – c’est de la confirmation. Existentielle. Sadique. Car, comme dans le sadisme, il y a, à la source, un vide, une peur, un sentiment d’exclusion. Le sadisme dit : Je dois te briser pour savoir que j’existe.
De même, les actions d’Israël envers le peuple palestinien peuvent se lire non seulement politiquement ou stratégiquement, mais aussi psychologiquement et mythiquement. Un peuple qui a été lui-même expulsé, persécuté, abandonné, tente désormais désespérément de sentir son existence à travers l’infliction des mêmes souffrances sur l’autre. À l’instar de Samson, l’État utilise sa force, sa ruse, son feu – pour provoquer chez l’autre ce qu’il ne comprend pas en lui-même. Cette confirmation douloureuse : En te blessant, j’existe.
C’est peut-être la partie la plus sombre de l’humain – lorsque le désir d’exister surpasse la joie, le lien, la morale. Il ne s’agit pas de victoire. Il s’agit de sentir qu’on existe.
Samson n’est pas seulement un héros. Il est aussi un avertissement – peut-être même un présage pour Israël. Car il est trahi à plusieurs reprises, et finit par un sort qui frôle le suicide, en abattant le toit du temple sur lui-même et les Philistins. Il saisit deux piliers et les attire vers lui – un acte final qui tue l’ennemi, mais aussi lui-même. Le chiffre deux revient comme un écho sombre : mère et père, deux renards, deux piliers – toujours une dualité, toujours une tension. Et il est pris au milieu.
Dans sa quête d’appartenance, de sécurité et d’amour, Samson n’arrive jamais à destination. Il ne trouve jamais un foyer. C’est comme s’il était condamné à désirer, sans jamais l’obtenir. Une âme perdue – non pas sans volonté, ni sans puissance – mais sans repos. Et c’est cette faille intérieure, cette faim existentielle, qui le pousse autant vers l’amour que vers la destruction.
Mais il y a une chose qui frappe le lecteur, à travers tous ces chapitres tourmentés : Dieu est là. Pas toujours comme une voix, mais comme une résonance – Dieu sonne en Samson comme une cloche. Dans sa rage, dans sa passion, dans son amour, dans sa profonde solitude – Dieu est présent dans la quête. Et alors peut-être qu’on comprend : Samson n’a jamais été abandonné. Au contraire, le sacré était là, presque dans ce qu’il ne comprenait pas – dans le vide, dans le désir, dans l’impuissance. Dieu y habite. Comme le miel dans le lion.
Alors il faut se demander : après des millénaires à relire cette histoire – lue, racontée, interprétée – comment continuons-nous à faire la même chose ? À désirer, à blesser, à détruire, à aspirer ? Pourquoi les cœurs ne changent-ils pas ?
Je voudrais qu’Israël voie cela – afin qu’il puisse goûter le miel de lion dans son propre sein.
Il y a quelque chose de doux. De sacré.
Dans l’obscurité.
Sara Tetzchner