Voline — La Révolution russe [1917-2017]

Les anarchistes aussi ont une idée de la révolution

Un historien matérialiste - paru dans lundimatin#110, le 26 juin 2017

Cette semaine, nous parlerons de La Révolution russe de Voline, ressorti en avril 2017 aux éditions Libertalia. Voline est un révolutionnaire russe né en 1882 [1]. Il participe à la révolution de 1905 en tant que membre du parti Socialiste-Révolutionnaire. Ce n’est qu’en exil qu’il devient anarchiste. Après la révolution de Février, on le retrouve rédacteur du principal journal anarchiste de Pétrograd, Goloss Trouda (« La Voix du travail »). En 1919, il rejoint le mouvement makhnoviste. En décembre 1920, il est arrêté à Moscou puis, après une grève de la faim, expulsé avec d’autres opposants en Allemagne. A nouveau en exil, il participe au mouvement anarchiste français, essentiellement à travers une activité éditoriale. Il meurt en 1945.

Voline est surtout connu pour un ouvrage devenu un classique : La Révolution inconnue. Publié après sa mort, ce livre traite de la révolution russe à travers un prisme anarchiste, avec comme parti pris original de présenter la révolution comme l’aboutissement d’une longue séquence qui commence dans les années 1820. Il a été réédité par les éditions Entremonde en 2010.

Quant à La Révolution russe, il a été écrit dans les années 1930. Il s’agit en fait d’une ébauche de La Révolution inconnue. Le début est très réussi, et traite de la lutte révolutionnaire sous ses diverses formes jusqu’en 1917. Il commence par l’histoire des décembristes, en 1825. Il traite assez bien de la révolution de 1905 à Pétersbourg avec un portrait saisissant du pope Gapone et du début du soviet de Pétersbourg. La défaite de la révolution est escamotée assez rapidement.

Le livre commence à se déliter avec le récit de la révolution de Février, lequel est très approximatif. Très vite, l’auteur passe à la question de la révolution d’Octobre. Selon lui, si les bolchéviks ont triomphé, c’est parce qu’ils étaient plus nombreux et avaient des militants de valeur. Il considère que les bolchéviks se sont servis des mots d’ordre anarchistes, qu’ils ont détourné de leur sens premier. Les anarchistes, malgré leurs efforts et leur bonne volonté, étaient trop peu nombreux. Cette explication plus que simpliste et mécanique néglige un certain nombre de facteurs. En février, les bolchéviks étaient loin de constituer un parti de masse et il leur faudra plusieurs mois avant d’entamer leur marche en avant. Les masses de Pétrograd sont en effet bien plus à gauche que les bolchéviks. Par ailleurs, contrairement à ce que dit l’auteur, les anarchistes n’étaient pas une poignée en 1905, mais une force non négligeable (voir à ce propos le livre Vive la révolution, à bas la démocratie, sorti aux éditions Mutines Séditions en 2016, référence absolue sur les anarchistes pendant la révolution de 1905). Sur les faiblesses et les incohérences du mouvement anarchiste en 1917, les Mémoires et écrits de Makhno, sortis en 2010 aux éditions Ivrea, démontrent que la situation n’était absolument pas courue d’avance.

La suite de l’ouvrage est très décousue, avec des allers et retours permanents entre les dates et les lieux. Le postulat est le suivant : la révolution russe s’est terminée en octobre 1917 avec la confiscation de la révolution par les bolchéviks. L’auteur évoque rapidement quelques formes de résistance : les Blancs, la révolte de Kronstadt et la Makhnovtchina. Finalement, le livre parle beaucoup de l’URSS et de Staline, la révolution russe en elle-même est assez absente, quand bien même l’auteur mentionne à plusieurs reprises la nécessité d’écrire un livre conséquent qui traiterait du sujet. La bonne nouvelle, c’est que comme le tsar avait tué l’idée du tsarisme en Russie avec le Dimanche sanglant en 1905, le bolchevisme a selon l’auteur tué l’idée de dictature du prolétariat avec Staline. Bien que cette foi dans l’Histoire semble avoir été légèrement démentie par les faits depuis, l’auteur la défend en se référant à une brochure dont il est lui-même l’auteur, intitulée La révolution en marche.

À la fin de l’ouvrage, le lecteur trouvera un petit article de 12 pages intitulé Le fascisme rouge qui traite de la répression en URSS et qui n’a à peu près aucun intérêt, à moins de découvrir en 2017 que Staline enfermait des révolutionnaires. Les 80 premières pages du livre sont très réussies, le reste est sans intérêt. Il vaut mieux lire La révolution inconnue, même si le livre est plus long.

[1Rappelons que la revue Ballast a publié fin 2015 un article très bienveillantsur Voline

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