Formation à la laïcité : un enseignant poursuivi pour une fable

« Qu’elles nous semblent éloignées, dans ces nuages si lourds,
Ces valeurs qui toutes et tous nous animent tous les jours. »

paru dans lundimatin#345, le 27 juin 2022

Il s’agissait d’un projet cher à Jean-Michel Blanquer, s’assurer par le biais de formations instaurées à la rentrée 2021, que tous les enseignants du pays connaissent, respectent et fassent respecter la laïcité et les valeurs de la République dans leurs classes. Comme à chaque effet d’annonce gouvernemental visant à nourrir la bêtise réactionnaire, le pathétique laisse rapidement place au désagréable. A Pantin, un professeur est convoqué par le rectorat et sous le coup d’une plainte pour outrage et diffamation. On lui reproche, au cours d’un conseil d’administration de son établissement, d’avoir lu une Fable dénonçant l’indigence de la formation à laquelle ses collègues et lui-même venaient d’être soumis.

Selon Le Parisien, l’inspectrice en charge de la formation s’y serait reconnue. Un vers évoque un « roquet aboyant, la langue fielleuse ». Elle a donc porté plainte pour outrage et diffamation.
Sur son site, le syndicat d’enseignants Sud Education, retrace l’enchaînement des faits et souligne l’alliance objective entre certains médias d’extrême droite et le rectorat. En attendant les suites de cette offensive répressive contre le corps enseignant, les fables semblent se multiplier. Des professeurs ont composé un pastiche d’épreuve du Baccalauréat que nous reproduisons ci-dessous. On y lira trois fables ainsi que l’énoncé de l’exercice final en forme d’invitation :

Vous vous retrouvez contraint.e d’assister à une formation au contenu douteux
vous demandant de dénoncer vos camarades. Vous décidez d’écrire un poème pour manifester votre désaccord avec cette formation.
Votre texte comportera au moins une trentaine de vers.

Pour télécharger cette épreuve du bac en PDF, cliquer ici.

Texte A : Le serpent et le roquet, (Récit d’une formation Valeur de la république et Laïcité), représentant.es du personnels du lycée Marcellin Berthelot, 2021

Laissez-nous vous conter la bien étrange fable,
Dont nous devons chercher, depuis lors la morale,

D’un serpent louvoyant, la langue mielleuse,
Qui n’est pas dominant et devient bête hargneuse ;

D’un roquet aboyant, la langue fielleuse,
Sans retour connivent donc d’humeur bilieuse.

Présents parce qu’obligés un matin de novembre,
Les collègues d’un lycée venus la messe entendre,

Furent surpris pour le moins du discours entendu.
De dialogue, il n’y eut point, les questions pourfendues.

Acquiescer sans rien dire, et l’échange banni,
A leurs propos souscrire mais répondre, nenni.

Non, infantilisés, soupçonnés sans détour,
On nous a menacés, main de fer sans velours,

D’être photographiés, convoqués tour à tour,
Par un recteur caché, preuve aussi de bravoure.

Sous le masque se cachant, après les points légaux,
D’exemples iniques en faits divers démagos,

De la laïcité, des affiches de campagne,
On a vite retrouvé les sombres amalgames.

Pour étonner ainsi, leurs propos quels furent-ils ?
Un seul thème choisi, le voile des jeunes filles.

Sans surprise, quel drame, nous nous y attendions.
L’habillement des femmes sous toutes ses variations,

Du pouvoir rétrograde déchaîne les passions,
Dès que vient une estrade, ils hurlent à l’unisson.

Quelle erreur feraient-elles, si en plus d’être femmes,
A l’époque actuelle, elles étaient musulmanes.

C’est de ça, sans erreur, dont on nous a parlé,
De fréquence, de longueur, toute la matinée.

De hijab, d’oripeaux, pas de laïcité.
D’abaya, de bandeaux, pas de fraternité.

De robe et de textile, pas de l’égalité.
De photos, de chevilles, pas de liberté.

Qu’elles nous semblent éloignées, dans ces nuages si lourds,
Ces valeurs qui toutes et tous nous animent tous les jours.

Texte B : La Chouette et le Mulot, les personnels mobilisé•es du lycée Paul Éluard, 2022

Une Chouette experte ès courtisanerie
Faisait régner dans les sous-bois sa tyrannie.
Autour d’elle s’empressait un peuple de pies
Prompt à chercher des proies à sa gloutonnerie.
Notre Chouette avait pour unique faiblesse
Le goût de se mirer dans l’eau claire et limpide,
De laver ses serres dans l’élément liquide
D’une fontaine proche. « Ô que de la sagesse

Je représente bien la grande profondeur !
Vraiment, je mérite l’honneur
D’être d’Athéna l’animal :
Je suis simplement... sans égal ! »

Et les pies d’abonder, opiner, jacasser,
Voletant alentour pour qu’on chante et qu’on loue
Du despote ébloui les nobles qualités,
Les austères vertus du rapace jaloux.
Alors que la Chouette était partie
Vanter sa réussite à ses amis,
Un jeune Mulot quitta son abri,
Gagna la fontaine d’un pas hardi.
« Est-ce là le miroir qui nous permet de voir
Le mal devenir bien, le faux devenir vrai ?
Il me semble pourtant trouver dans mon refet
La trace de mes deuils et mon grand désespoir. »
Tandis que s’élevait sa plainte déchirante
Une pie attardée eut peur que l’on entende
Dévoiler la traîtrise de l’eau miroitante
Partant, de la Chouette la sombre propagande.
À tire-d’aile elle s’envole, Franchit forêts, fleuves et cols,
Du danger avertit enfin
La Chouette qui sitôt revient.
Les serres en avant, prêtes à déchirer,
On voit plonger l’Effraie et le Mulot tremblant
N’aperçoit que trop tard de son bec acéré
La pointe aussitôt teinte du sang innocent.
Blessé, l’animal ronge et s’agrippe et se tord
Pour parvenir enfin dans un dernier effort
À faire basculer la Chouette meurtrie
Dans la fontaine dont l’onde calme a rougi.

Qui, croyez-vous, profita du carnage
Sinon les charognards au noir plumage ?

Les funestes corbeaux s’offrent donc un festin
Mais le sous-bois frémit, les armes à la main.

Texte C : « On crie haro sur le baudet », enseignant·es du lycée Angela Davis, 2022

Un enseignant fort courroucé
D’être formé par le silence
Se voit mander, sans trop tarder,
Pour condamner son insolence.

Si l’on enseigne La Fontaine
C’est à la lettre et sans l’esprit
Car sous couvert de Liberté
On fait pleurer celui qui rit.

Ironiser en République : quel crime abominable !
Se railler du mépris : qu’on pende le pendable !

Selon que vous serez puissant ou misérable
Les juges cristoliens désignent les coupables

ÉCRITURE

I. Vous répondrez d’abord à la question suivante (4 points) :

Comment les textes du corpus mettent-ils en lumière la répression au sein de
l’éducation Nationale ?

II. Vous traiterez ensuite, au choix, l’un des sujets suivants (16 points) :

Commentaire

Vous commenterez le poème « Le serpent et le Roquet » (texte A)

Dissertation

Les fables mettent en scène des animaux. Peut-on dire que la fiction permet de
révéler la vérité ?
Vous appuierez votre réflexion sur les textes du corpus, sur ceux que vous avez étudiés et sur vos lectures personnelles.

Invention

Vous vous retrouvez contraint.e d’assister à une formation au contenu douteux
vous demandant de dénoncer vos camarades. Vous décidez d’écrire un poème pour manifester votre désaccord avec cette formation.
Votre texte comportera au moins une trentaine de vers.

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