Ségur, comme la Comtesse ? Les belles histoires du gouvernement

Brigade d’intervention linguistique

paru dans lundimatin#245, le 2 juin 2020

C’est dans un dérapage monumental provoqué par un freinage d’urgence que la BIL a découvert par voie de presse dominicale que le ministre de la santé, tombant la veste pour s’offrir à l’objectif en bras de chemise, annonçait la semaine dernière la mise en place d’un « Ségur de la Santé » (SS, très mauvais signe) pour le 25 mai. Voilà que la BIL n’a pas le temps de chômer et se doit de nouveau d’intervenir face à cette fumeuse annonce gouvernementale pour en dissiper les brumes toxiques.

Rappelons les faits : après l’annonce de primes à venir, de la remise de médailles, de la participation à un défilé, enfin de la proposition d’un député accueillie « avec joie » par la ministre du travail de « dons de jours de congés » transformés en « chèques-vacances » pour que « les soignants et leurs familles » puissent se payer « un restaurant de plus » ou « une visite culturelle de plus » lors de séjours, le gouvernement s’est dit qu’il était probablement temps de marquer le coup avec une ultime mesure-phare pour couronner ce chapelet de propositions en droite ligne de l’adage bien connu « Trois balles et un mars ».

C’est donc en se disant novateur que le gouvernement annonce ce fameux plan pour la santé qui devrait toutes et tous nous subjuguer par son efficacité exceptionnelle et visionnaire.

Combien de fois devrons-nous le dire ! Le gouvernement est -encore ! - pris en flagrant délit de récidive de dispositif, « convoquant » à nouveau « autour de la table » -qui en deviendrait presque légendaire mais qui, la BIL vous l’assure, n’a rien de la Table Ronde et a tout du plateau de torture en open-space- les « partenaires sociaux » pour une « grande réunion au ministère ».

D’abord, le ministre annonce que « le dossier est sur la table ». Nous ne saurions trop rappeler qu’il s’agit là d’une banale manœuvre dilatoire (MD) : voilà 18 mois que les personnels soignants sont dans la rue et se font allègrement réprimer à coups de gaz lacrymogènes et de canons à eau. Le dossier avait donc été jeté à la poubelle depuis longtemps et réglé dans la rue par un gouvernement qui a toujours la matraque facile.

Ce n’est qu’avec dégoût et la mort dans l’âme, masqué et ganté comme il se doit, que le ministre de la santé a dû, probablement, extraire ce dossier de la corbeille à papier et se résoudre à l’ouvrir.

Mais las, il avait plus d’un tour dans son sac ! Et nous le voyons déjà esquisser un petit sourire en coin tandis qu’il lisse la première sous-chemise du plat de la main.

Répondant à LA question (the question ?) de l’augmentation des salaires du personnel hospitalier, le ministre s’empresse d’emballer la chose dans des circonvolutions en « quatre points » (nous n’en voyons que deux à la BIL, hausse ou baisse, mais le ministre voit la vie en 4D probablement), et ajoute dans la même phrase « revoir le cadre d’organisation du temps de travail ». Ne s’arrêtant pas en si bon chemin, il poursuit sur les « heures supplémentaires » que des infirmières et infirmiers doivent faire dans « d’autres établissements, illégalement » pour arrondir leurs fins de mois, ce qui serait selon lui « pas normal »… Puisqu’elles et ils devraient être en mesure de le faire dans leur propre établissement, explique-t-il… et non en mesure de gagner suffisamment sans se livrer à des heures supplémentaires, comme nous le pensions.

Tiens donc, pourquoi ramener ainsi la question des heures supplémentaires lorsque l’on parle d’augmenter les salaires ?

Nous sommes ni plus ni moins en face d’un délit d’initié, caractéristique de la bonne vieille technique de l’entourloupe (TDE) : les salaires augmenteront si les personnels hospitaliers se livrent à des heures supplémentaires, donc.

Mais c’est alors le temps de travail qui augmente, pas le salaire. Héhé ! Farceur, ce ministre. Qui ponctue, la bouche enfarinée, que cela se fera « Sans pression ».

La BIL s’en roule par terre, et note cette assertion dans les circonstances aggravantes des premières constatations de son PV (procès-verbal).

En déplaçant le sujet, le ministre dévoile malgré lui la clef de voûte de l’entourloupe en rappelant à notre bon souvenir le précepte implacable sur lequel elle repose : « travailler plus pour gagner plus ». Ah ! Le voilà revenu des profondeurs, tel un serpent de mer : Saint Nicolas, Sarkozy de son nom de famille, auteur de ce doux adage néo-libéral. Et oui, un président peut en cacher un autre !

Ainsi le président actuel avouerait de manière limpide, par émissaire interposé certes, son admiration pour un mentor sulfureux à la talonnette qui claque et aux épaules remuantes qui lui, N.S., n’avait pu contenir la fierté de cette filiation symbolique en glissant lors de dîners en ville : « c’est moi, en mieux ». Les crocodiles se font des petits clins d’œil d’une rive à l’autre du fleuve boueux, nous le savons.

Constat accablant cependant qui place le Ségur de la Santé sous les auspices bien connues de la présidence du bling, du karcher et de la flexibilité (des individus bien sûr, nous retrouvons le motif de la torture). Sachant désormais à qui nous avons affaire, le faisceau d’indices se fait de plus en plus concordant sur la voie de l’entourloupe libérale.

En effet, le ministre poursuit en expliquant « qu’il n’y pas d’argent magique », et produit par conséquent le concept tout droit sorti de son chapeau d’ « argent nouveau ». Et il faudra « faire des choix » pour « aller le chercher quelque part. » Intéressant. Mais où ?

Et c’est là que la BIL ne saurait trop vous rappeler que le gouvernement n’a pas les mêmes notions géographiques que nous. Rappelez-vous : il préfère raboter les APL comme un vulgaire parmesan qu’aller puiser à pleines mains dans la Source Eternelle (SE) ou corne d’abondance (CA) des dividendes du CAC 40 qui coulent à flot en vagues infinies sur des actionnaires qui se gargarisent des stock-options dans lesquels ils se noient.

La coupe est pleine, et pourtant les délits s’enchaînent. Le ministre affirme vouloir en « finir avec le dogme de la fermeture des lits », mais précise grâce à une périphrase pernicieuse qu’il y a des endroits où il en manque, et d’autres non.

Tout cela sans dogmatisme.

Triste et banal cas de mise en œuvre de l’art de la nuance, technique qui consiste à laisser la porte ouverte au contraire de ce que l’on vient de dire. Ah, le mythe des lits surnuméraires qui s’ébattent en famille et en toute insouciance dans les cours et jardins d’hôpitaux publics !

Enfin le ministre entend combattre le « corporatisme » qui sévirait à l’hôpital, et « revaloriser les parcours et les compétences », ainsi que les interventions extérieures. Bas les masques ! Voilà un doigt menaçant pointé contre ceux qui entendraient « penser collectif » et – chiche ! – se syndiquer, et qui finit par pointer la voie de la mise en concurrence des carrières revalorisées de manière individuelles en fonction des fameuses compétences de chacun (CDC).

Et enfin, cerise sur le gâteau du grand programme entrepreneurial hospitalier : ce Ségur serait l’occasion d’un « Retour d’Expérience » sur la crise traversée.

Dear Lord ! Un REX ! Comme le disent les membres du vaste monde de l’entreprise (MDE). Un ultime flagrant délit de rhétorique managériale (RM) dans laquelle se fourvoie le gouvernement qui nous indique bien que l’hôpital n’en a pas fini d’être privatisé.

Et en cela il nous faut revenir sur le « mea culpa » de crocodile et les « regrets » du président au sujet du plan « Ma Santé 2022 » - la sienne probablement mais certainement pas la nôtre-, regret donc de ne pas être « allé assez loin ».

Mais dans quelle direction au juste ?

Profitant du trouble de la période, le président a entretenu la confusion par une banale stratégie de flou discursif (FD), permettant de laisser entendre à ses interlocutrices et interlocuteurs qu’il eût pu se ranger à leur avis et que leurs conclusions auraient pu être les mêmes. En l’occurrence, dans un hochement de tête habile, les mains jointes, abaissant longuement et pudiquement les paupières, laisser penser au personnel hospitalier qu’il disait : « Je vous ai compris » (Général !), dans un esprit de concorde et « d’unité nationale » (Maréchaaaal !).

Loin s’en faut ! Le doute est aujourd’hui dissipé : pas assez loin... dans la voie de la privatisation. Conclusion à laquelle nous parvenons, corroborée par une énième preuve accablante : la note de la caisse des dépôts sur l’hôpital public rédigée à la demande du président et intitulée « Premières propositions post Covid-19 dans le domaine de la santé » datée du 26 mars 2020, et dont la BIL ne saurait trop vous recommander l’édifiante et instructive lecture. Nous touchons là à la véritable clef de voûte du système, passée sous silence mais qui n’en constitue pas moins la lame de fond du tsunami néo-libéral orchestré par le gouvernement qui s’abat sur nous.

« Tout fait sens ! » dirions-nous dans notre anglicisme préféré. Ainsi le gouvernement est formé de charlatans pris en flagrant délit de filouterie.

Aussi, après cet instructif voyage au pays de l’entourloupe, nous savons que :

— le gouvernement se croit toujours à la tête d’une entreprise, au sein de laquelle le ministre de la santé est un marchand de tapis,

— nous sommes de fait les tapis qu’il brade ;

— par conséquent nous n’avons toujours rien à en attendre et toujours rien à discuter ;

Ainsi nous rappelons que la lutte continue.

La Brigade d’Intervention Linguistique

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