Pyrotechnie à l’académie

The best is yet to come.

paru dans lundimatin#233, le 13 mars 2020

Celui qui a la parole a le pouvoir. Quand la donner à un tiers élu ne suffit plus, il faut alors la poser, indéniable, sans trembler. La voix. Le courage de dire son histoire, de concurrencer le tumulte, de porter son récit et réclamer une écoute. Crise en cours au royaume des images : les stars brillent dans la douleur du silence.

Celles qui portent les récits d’autrui et incarnent nos rêves souffrent d’un mutisme imposé par la main de leurs bourreaux et la complicité du reste. Breaking news. Old news, though.
La magie du cinéma le montre bien : les images racontent ce que les mots ne peuvent. Relais du réel, pour raconter encore cette expérience ahurissante qu’est la vie. Merveille que pareille chose existe. Et pourtant, au sein même de cette entreprise de mise en lumière, derrière les images, tant de crimes sont tus, tant d’histoires restent cachées.

Avé César, Dieu qu’on est beaux. Seulement voilà. 45 ans que la parade dure, et la tempête gronde. Un hashtag-allumette pour une forêt, voilà les cochons mis à nus balancés sur le sol brûlant. Pourtant tout tient bien en place. Un an déjà, et trop peu ont tremblé, trop peu a changé. Les discours validants du patriarcat d’une société pédophilisante agenouillée devant son fantasme de jeunesse éternelle qu’elle entend bien boire à la source n’ont pas changé. Les bêtes se dévoilent ostensiblement dans le gras de leur lâcheté, et n’en sont pas moins inquiétées. Qui aura le courage alors, de larguer les amarres du vieux monde, de dire merde à papa ? Adèle Haenel, pour sûr. Mais peut être que le courage qui ne sera jamais dévoilé, ne pourra jamais être suspecté, est celui d’une Académie qui s’autodétruit. Peut être que le monde n’est pas si laid. Peut être que face au bordel, il s’agit de tout faire péter.

Art incendiaire, eschatologique, virtuose de la fin, le cinéma brûle de l’intérieur. Quel choix plus sublime alors, que de signer sa fin aux yeux de tous, kamikaze anniversaire, phénix volontaire ? Pour leurs 45 ans, les César se donnent la mort. Sacrer Polanski ne siginfie qu’une chose : it’s over. Nous sommes finis, terminés, utilisez nos cendres pour laver vos futurs. On arrête la mascarade, vous le voyez bien : hurlez sur nos cadavres et continuez, plus forts, plus beaux. C’est tout pour nous. Si le cinéma se purge en lumière de ses péchés à Hollywood, l’hexagone, lui, s’accroche aux bourses de ses figures vieillisantes. Ça piétine encore. Alors autant y aller, et tant qu’à faire, se sacrifier, puisqu’on se sait grillés. Faisons un geste si obscène qu’alors rien ne pourra rester pareil. Brûlons nos vieux restes sous les projecteurs, quand toutes les stars seront venues briller, et puissent les flammes qui nous dévorent ne laisser personne indemne.

Contempler d’amour l’incendie, peut-être est-ce parer d’une lumière sacrificielle un acte qui ne l’est pas. Peut être est-ce pardonner sans le vouloir un énième avènement du monstrueux dans un désir d’iconographie du spectacle, en jouisseur du désastre que le monde nous a appris à être. Mais comment faire autrement ? On vit en crise. On regarde en feu. Alors on s’imagine des Académiciens pyromanes. Foutu pour foutu, ils se jettent dans la chaleur du brasier, pour permettre au cinéma de renaître, libéré. Clap de fin pour le vieux monde. La jeune fille en feu, inarrêtable, continuera le cinéma incendiaire, quand le bois sec aura complêtement fini de brûler. Et dansera sous les lumières oranges des jours de nuits du cinéma qui est sa plus belle fête. Sans tambours ni paillettes.
The best is yet to come.

Charlotte Dalia

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