Le ministère de l’Écologie est-il maudit ?

Relire Harry Potter pour comprendre la démission de De Rugy

paru dans lundimatin#200, le 18 juillet 2019

Été 2018 Nicolas Hulot démissionnait, cette année, c’est au tour de François De Rugy. En 10 mois, ce gouvernement « champion mondial du climat » a vu s’enfuir deux ministres de l’écologie. Voilà qui a de quoi étonner, surtout après l’annonce d’un « virage écologique » pour l’acte II du quinquennat Macron. Quelle étrange malédiction pèse sur les prétendants au titre de n°1 de l’écologie en France ? Quel maléfice pourrait expliquer ces péripéties ministérielles fort inquiétantes, à l’heure où l’état de la planète ne cesse de s’aggraver ?

Pour y voir plus clair, Désobéissance Ecolo Paris nous proposent de relire la saga Harry Potter. Dans l’oeuvre de J.K. Rowling, le poste de professeur de « Défense contre les forces du mal », matière cruciale, est en réalité un poste maudit. Chaque année, un nouveau professeur doit être recruté pour l’occuper et chaque année, ça finit mal : démission, mort, disparition. La faute en reviendrait à Voldemort, qui a maudit la fonction faute d’avoir pu y accéder.

Comment est organisée la "Défense contre les forces du mal" ?

Plus que jamais, il importe aujourd’hui de lutter contre "les forces du mal", ces forces destructrices qui exploitent, privatisent, marchandisent les humains et la nature. Comment est professée aujourd’hui la défense contre les forces du mal écologique ? 

Ce que nous disent les rapports du GIEC, les appels des scientifiques, les manuels scolaires, c’est qu’il faut, en bons citoyen.ne.s se comporter comme les lobbies, et "faire pression" sur les décideurs pour que leurs décisions politiques penchent dans notre sens. Une bonne démocratie, nous apprend-on, produit sous la forme de "ministres" les personnes les plus adéquates à régler les problèmes. Si la lucidité et le grand pouvoir attribué à un ministre ne suffisent pas à faire subir une sérieuse transformation à ce satané "modèle économique", on demande alors aux citoyen.ne.s de lui donner un petit coup de pouce, à l’aide de pétitions, de procédures devant la justice, de marches et de désobéissance civile.

Il semblerait cependant que cette stratégie de défense contre les forces du mal n’obtienne pour l’instant que très peu de résultats pendant que les mesures anti-écologiques du gouvernement s’accumulent. Sous Nicolas Brulot, la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, symbole international de l’écologie, était violemment évacuée ; la réduction du nucléaire remise à plus tard ; l’usage du glyphosate autorisé encore quelques années. Nicolas est parti en pleurant. Depuis que Rançois de Frugy, a pris le relais on a pu voir des militant.e.s d’Extinction Rebellion être gazé.e.s sur un pont ; un accord commercial avec le Mercosur signé au détriment des producteurs locaux ; les dernières terres agricoles entourant Paris être rasées pour construire un énorme centre commercial (Europacity). François part aujourd’hui en pleurant.

Qui a maudit le ministre de l’écologie ?

Avec toute l’aide que les citoyen.ne.s sincères ont bien voulu donner aux ministres de l’Écologie ces 10 derniers mois, comment expliquer une si piètre débandade ? Et si un affreux maléfice avait rendu définitivement impossible l’action écologique depuis le ministère de l’Écologie ? À bien y regarder, il semblerait qu’un double bind [1] frappe fatalement ce ministère : c’est à la fois le poste où les responsabilités écologiques sont les plus lourdes et le lieu depuis lequel il est tout à fait impossible de les honorer !

C’est pourquoi le poste requiert des profils susceptibles de supporter, un temps durant, cette terrible contradiction. Dans Harry Potter, les profs de DCFM ont une double identité, une qu’ils montrent et l’autre qu’ils cachent : Quirrell porte secrètement Voldemort, Lockhart se fait passer pour un génie, Lupin est un loup garou, Fol-oeil n’est pas le vrai... Comme si l’enseignement de cette matière ne pouvait être mené à bien en raison d’une incompatibilité originelle. De la même manière, un ministre de l’écologie ne peut pas être à la fois un écologiste sincère, et un défenseur du capitalisme néolibéral que le gouvernement est tenu de prolonger et d’aménager. Il faut qu’il soit l’un ou l’autre : Hulot et De Rugy ont chacun choisi leur camp.

Tout au long de la saga Harry Potter, il est difficile de déterminer de quel côté de la barricade se trouvent ces professeurs. Au service d’un État mortifère ou au service de la vie ? Le rôle de Rogue est sans doute le plus éclairant car le plus ambigu : malgré son ascension au sommet de Poudlard n’a-t-il pas exécuté Dumbledore ? N’a-t-il pas servi Voldemort ? Si dans Harry Potter, la stratégie de la taupe a plus ou moins fonctionné, le cas du ministre Nicolas Brulot devrait nous apprendre au moins une chose : souiller ses chaussures et avaler des couleuvres ne fonctionnent pas dans le monde des Moldus.

Le poste de ministre de l’Ecologie est un poste maudit. À ses débuts, le Ministère de l’Environnement (institué en 1973 et ayant alors à sa tête le gaulliste Robert Poujade) tente de réduire les nuisances inhérentes à tout projet infrastructurel. S’il qualifie plus tard son poste de « ministère de l’impossible », c’est surtout pour déplorer que le gouvernement ne va pas assez loin dans l’imposition et la régulation des entreprises les plus pollueuses, et dans le contrôle des projets d’aménagement urbains.

A cette époque-là, les logiques intrinsèques au développement du capitalisme industriel, qui cloisonnent historiquement les classes populaires dans des régions hautement polluées et proches des transports et industries les plus bruyants, commencent à déranger sérieusement les classes moyennes.

Les ministres de l’environnement, de l’écologie, du « développement durable » ou de la « transition écologique et solidaire » ne cessent donc de se remplacer chacun.e au bout de 2 ans maximum. Chacun prétend avoir trouvé une recette miraculeuse, permettant de « changer de modèle » de production (qu’à peu près tout le monde trouve désormais désuet), en préservant l’économie de croissance et même de rendre cette transition rentable pour l’Etat et le capital.

Tout au plus, les ministres de l’écologie servent des objectifs de communication et donnent opportunément l’impression que des mesurettes "vertes" sont prises, de temps à autres, que les scientifiques et les écologistes sont bien écoutés, que "l’état d’urgence" est bien déclaré. Alors que tout s’aggrave. La défense contre les forces du mal est impossible depuis un ministère qui ne doit servir qu’à la cogestion de l’économie capitaliste. Et c’est là le lot de tous les ministères, comme de tous les États.

Comment combattre les forces du mal  ?

Pour nous défendre des forces du mal, il faudra donc nous passer de professeurs. Cela ne s’enseigne pas, cela se vit : Hermione Granger, élève surdouée et obéissante, rate précisément l’examen dans cette matière ; tandis que Harry Potter, élève plus rebelle et plus dissipé, est le seul à obtenir un O, pour optimal, la note la plus élevée. Comme s’il ne s’agissait pas de savoir, mais de ressentir, de vivre et de pratiquer cette matière, comme s’il s’agissait d’un art vivant. De même en écologie, la gestion étatique ne fonctionne pas : on veut nous faire croire que l’on peut gérer la crise écologique de manière rationnelle, mathématique, scientifique. Or il s’agit plutôt de renouer avec un certain art de vivre et de lutter, que d’appliquer bêtement et inutilement des connaissances théoriques.

Alors que l’urgence d’agir contre les forces du mal se fait de plus en plus sentir, la professeure Dolores Ombrage, une bureaucrate particulièrement bornée et perverse, refuse d’enseigner la DFCM autrement qu’avec des textes théoriques. Harry Potter et ses ami.e.s en prennent acte, et fondent une société secrète d’autodéfense, l’Armée de Dumbledore, au sein de laquelle ils s’entraînent collectivement à se défendre et à contre-attaquer. Cette organisation joue un rôle crucial dans la guerre contre les Mangemorts (dont le comportement erratique et servile fait penser à nos policiers moldus), dont l’issue sera douloureuse, mais victorieuse.

Il est douteux de penser qu’on viendra à bout de notre Voldemort économique et social par des conférences mondiales, des rapports scientifiques et des "lobbies citoyens". Dans Harry Potter, il a fallu des rébellions, des guerres et la destruction des "horcruxes", ces objets précieux et maléfiques qui renferment l’âme du sorcier le plus destructeur. Charge à notre génération de découvrir et de détruire les horcruxes des destructeurs de la planète !

Désobéissance Ecolo Paris

[1Système d’injonctions contradictoires

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