Le contresens punk originel

ou « Jeannot l’pourri et la vieille bique »

paru dans lundimatin#354, le 11 octobre 2022

The queen is dead. La vieille bique a calanché.

Y’en a qui la trouvaient presque sympathique, Élisabeth, avec ses looks flashy, son humour coincé, ses relations rugueuses avec la Thatcher. Elle avait même payé la poll-tax de son petit personnel. Et puis elle était plus digne qu’un Juan Carlos aussi couperosé que corrompu, obligé de trouver refuge aux Émirats Arabe-Unis. Sûr également que la France, héritière de 1789, n’a pas trop à la ramener avec son Macron qui se rêve en suzerain postpolitique mais reste un vulgaire chef de bande. N’empêche, la reine incarnait aussi le colonialisme britannique, la domination anglaise en Irlande du Nord et la dérive d’un système néolibéral violent et brutal, en guerre contre les pauvres depuis 40 ans...

On a malgré tout envie de la remercier pour une chose, la vieille bique. Elle nous a offert l’occasion de réécouter le plus célèbre des hymnes punk et de nous souvenir que cette chanson était à l’origine d’un contresens aussi énorme que regrettable : Le punk serait (bêtement) nihiliste.

« God save the queen  », chanson censurée qui fit scandale en 1977 outre-Manche, détourne l’hymne national en assimilant la monarchie britannique à un régime fasciste. Johnny Rotten, l’auteur de ses paroles, était bien trop malin pour penser que la Grande-Bretagne des années 70 ressemblait en tous points à l’Italie Mussolinienne, mais il savait que cette comparaison grincerait fort dans un pays conservateur et sclérosé. En iconoclaste appliqué, l’auteur braille que la reine « n’a rien d’un être humain [1] » et met ainsi en valeur l’aspect déshumanisé et archaïque qui caractérise ce fétiche réifié. Mais surtout, il raille les ambitions égoïstes et spécieuses de la classe dirigeante quand il vocifère « there ain’t no future in England’s dreaming » : Vos rêves n’ont aucun avenir.

Ce n’est donc pas à lui-même ou à ses acolytes que Jeannot l’pourri adresse le célèbre aphorisme mais bien à ses ennemis [2], à ceux qui voudraient décider de son avenir sans lui demander son avis, le châtrer de plaisirs et d’espoir. Dans un cri de liberté et d’autonomie, il le répète en prévenant « Ne te laisse pas dicter ce que tu désires où ce dont tu as besoin [3] ».

L’auteur élargit ensuite sa critique à l’Histoire de la Grande-Bretagne : «  Dieu bénisse l’Histoire, Dieu bénisse votre parade insensée, loué soit le Seigneur, car tous les crimes sont pardonnés [4] ». Sans oublier de brocarder la religion, il rappelle par ces mots à la glorieuse Angleterre que l’Histoire dont elle est si fière s’est construite, à l’instar de celles de toutes les grandes puissances, dans le cynisme et la violence du colonialisme.

Après ce réquisitoire brillant d’ironie, et loin de toute résignation mortifère, Johnny Rotten en tire les conséquences logiques et revendique un (fragile ?) espoir nimbé de poésie surréaliste : « Quand il n’y a plus d’avenir, il ne peut plus y avoir de pêché, nous sommes des fleurs dans la poubelle, nous sommes le poison dans votre machine [5] (in)humaine, nous sommes l’avenir, votre avenir  » [6]. Ce sont sans nul doute ces derniers mots qui ont fait le plus peur à certains contemporains et qui ont donné envie de lutter, de vivre et de créer à tant d’autres.

A l’heure où les tristes puissants destructeurs de vivant incarnent de façon si éclatante le « No future » et voudraient nous entraîner dans leur chute, à nous de choisir notre avenir.

La reine est morte ? l’Histoire n’est jamais finie. Ils réécrivent leur hymne ? Dégainons nos poèmes.

D’autres possibles sont mondes...

[1« She ain’t no human being »

[2« No future … for you ».

[3«  Don’t be told what you want, don’t be told what you need ».

[4«  God save History, God save your mad parade. Oh Lord God have mercy, all crimes are paid ».

[5En écho à ces paroles, amuse-toi à retrouver toutes les références à « God save the queen » chez certains de leurs dignes héritiers.

[6« When there’s no future How can there be sin ? We’re the flowers in the dustbin. We’re the poison in your human machine. We’re the future, your future... »

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