Géraronymo [Archives]

« Du vérolage de fichiers informatiques aux moyens les plus efficaces de ralentir le rythme de travail, voire de cesser de travailler tout court, ce sont les plus beaux coups d’une époque que vous pouvez lire également en ligne dans leur version originale »

paru dans lundimatin#122, le 13 novembre 2017

De mars 1972 à novembre 1975 paraît Géranonymo, soit l’une des occurrences les plus accomplies et excitantes d’une « free press » à la française, bien loin de ce qui en est déjà à l’époque le sous-produit le plus connu, Actuel. Pas de séparation entre poésie et politique, marxisme et BD, appels au sabotage et graphisme, dans ces 15 magnifiques numéros désormais disponibles en ligne. C’est là que s’expriment et s’impriment les Indiens d’ici (Thierry et Madeleine Dalby, Ted Benoît, Alain Schifres, Gilbert Rochu, entre autres...), en pleine conscience de ce qu’une inventivité plastique peut pour et avec un activisme politique.

Parallèlement et pendant un an, en 1975, le poète et performeur Julien Blaine, l’un des principaux inventeurs de Géranonymo, publie dans Libération, sous le titre de rubrique « Vrai Art Nouveau », les récits de perruques, malversations, vols et sabotages divers envoyés par les lecteurs du journal à la suite de son appel à contributions. Du vérolage de fichiers informatiques aux moyens les plus efficaces de ralentir le rythme de travail, voire de cesser de travailler tout court, ce sont les plus beaux coups d’une époque que vous pouvez lire également en ligne dans leur version originale (L’ensemble avait été republié en volume par /Le Dernier Terrain Vague/ en 1979).

Consulter les archives de geranonymo

Pont au double

Vendredi 14 novembre 1969 : arrestation de 180 militants.

Samedi 15 novembre : arrestation de 2651 personnes au cours de la journée de manifestations pour la paix au Vietnam et la victoire du F.N.L..
40 000 policiers continuent d’occuper Paris.

Mardi 18 novembre - 13h30 : largage d’un mannequin au Pont au Double, Paris, Quartier Latin.

13h35 : la foule se précipite sur les quais. Réactions diverses. Les gens ont tout vu, éveil progressif. Le groupe alerte les journaux (Paris-Jour, l’Aurore, France Soir, l’Humanité, le Figaro, le Parisien Libéré, A.F.P.).

13h45 : 30 policiers en uniforme convergent sur les lieux. La foule est plus nombreuse rive gauche ; elle s’amasse également rive droite et sur le petit Pont. Deux flics téléphonent aux pompiers.

13h50 : Le mannequin se dirige vers la berge rive droite. Deux policiers se précipitent pour tenter de le récupérer mais le courant le déporte à nouveau vers le milieu de la Seine. La foule est maintenant compacte sur les quais et sur le Pont Saint-Michel. Commentaires et inventions se développent. L’imagination de la foule déborde. Certains jeunes invitent les policiers à plonger. Le groupe disséminé parmi les bouquinistes et sur le pont distribue le testament du mannequin (texte ci-dessous). Apparition de plusieurs policiers en civil.
La foule est énorme.

14h : une vedette de la brigade fluviale surgit en amont. Le mannequin est hissé à son bord. Il porte son testament dans une bouteille pendue au cou.

14h03 : La vedette repart. Deux camions de pompiers arrivent. Sirènes. De nouveaux arrivants questionnent, les gens racontent, inventent, l’anecdote enfle.

14h10 : Départ des pompiers vers la fluviale pour tenter de sauver le « noyé ». Certaines personnes qui n’ont pas assisté à la récupération du « noyé » réclament de nouvelles recherches.

Testament pour les automates

Un fantoche se noie, on le repêche, les gens arrivent, ils viennent au spectacle.
Certains vont être amenés à commenter l’évènement, d’autres vont agir, peut-être trouvera-t-on un sauveteur pour ce mannequin.

Une fois encore vous êtes sensibilisés sur RIEN ; une fois encore vous êtes entraînés dans une comédie ridicule comme vous l’êtes chaque jour par le pouvoir, qui, à force de sollicitations creuses, endort votre lucidité, vos réflexes et votre créativité.

Quant à l’appareil policier qui n’a pas manqué de se déplacer pour prendre brillamment l’affaire en main, il aura pour un moment quitté les points de guét ou de surveillance pour collaborer au coté de la foule au sauvetage et à l’identification d’un mannequin !!!!

OU EST LA COMEDIE ?
QUI SE DONNE EN SPECTACLE ?
LES FLICS OU LE PANTIN ?
LE POUVOIR OU LE FANTOCHE ?

REVEILLEZ-VOUS...

Par des parasitages successifs, nous tous, nous rendrons aux gens leur lucidité, leurs réflexes et leur créativité.

Personne n’a le droit de nous endormir, en s’opposant à tous les anesthésistes, nous commencerons la révolution socialiste.

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