La patate chaude de l’autoritarisme

« Surtout soyez sages les enfants, sinon vous aurez les fascistes ! »

paru dans lundimatin#96, le 5 mars 2017

Alors que la campagne électorale en cours ne manque pas de désespérer plus d’un commentateur professionnel, policiers et émeutiers se sont donc infiltrés par surprise dans un spectacle politique dont la clef de voûte semble plus que jamais reposer sur les épaules du Front National. Une bonne occasion saisie par le Gouvernement pour tenter de s’exonérer de toute responsabilité dans la dérive à laquelle nous assistons...


1. Tandis qu’en ce mois de février, à la faveur d’une énième « bavure » policière, les banlieues flambaient une nouvelle fois, on trouvait ici et des tribunes pour nous expliquer que, s’agissant des quartiers « difficiles », le Gouvernement socialiste n’avait malheureusement « rien fait ».

Or, à la lecture de ces assertions stupides, dignes des plus pauvres commentaires sportifs, il faut bien comprendre qu’elles sous entendent évidemment que rien n’a été fait « en faveur de  ». Car il y aurait lieu au contraire de constater que beaucoup de choses ont été « faites » dans les banlieues par ce Gouvernement : mesures, lois, actions et discours, que la mémoire instantanée du temps des médias, qui est aussi celui des égarements politiciens, s’est bien gardée de nous rappeler. Assignations à résidence prolongées indéfiniment, perquisitions nocturnes injustifiées, poursuite de la « rénovation urbaine » et de la gentrification, repoussant toujours plus loin des centres villes les franges les plus pauvres de la population, instrumentalisation de polémiques surfant ouvertement sur la vague islamophobe, justification médiatique de la politique des contrôles au faciès… La liste de ce qui « a été fait » par les bouffons qui s’apprêtent à rendre les clefs du Gouvernement est donc bien longue, mais elle aurait pu effectivement passer inaperçue tant elle s’inscrit dans la continuité et l’approfondissement de la gestion postcoloniale, qui constitue depuis bien longtemps l’alpha et l’oméga de toute la politique menée dans lesdits « quartiers sensibles » (mais, au fait, où sont donc les quartiers « insensibles » ?).

2. C’est d’ailleurs au beau milieu de cet incendie que le Parlement, histoire de bien nous faire comprendre de quel côté penche la balance, a voté la fameuse « loi de sécurité publique », finalement promulguée ce lundi 28 février. Celle-ci, en alignant sur celui des gendarmes le droit des flics d’user de leurs armes à feu, en garantissant leur anonymat et en doublant les fameuses peines pour « outrage et rébellion », vient donc s’ajouter à la longue liste de « ce qui a été fait » dans les banlieues : confirmation de l’impunité de la Police, renforcement de l’arsenal dont elle dispose pour asseoir sa domination sur ceux qui ont été préalablement désignés par le Pouvoir comme indésirables.

Au-delà de son contenu et outre le fait qu’elle s’insère dans un flux particulièrement dense de dispositions favorables aux flics, le contexte même de l’élaboration de cette loi, rédigée sous la pression de manifestations spontanées d’agents de police en service, nous montre qu’à présent le Gouvernement n’a plus seulement peur de ceux qui sont pour lui de potentiels émeutiers, mais également peur de ceux-là même qui sont chargés de les contenir, peur, donc, de sa propre police dont la transformation en milice s’affirme chaque jour un peu plus.

3. Une des plus belles conneries entendues lors des émeutes de février aura été celle accusant les émeutiers de favoriser la montée du Front National. Il fallait se pincer pour se persuader que ce n’était pas, au mieux, une blague ou, au pire, un cauchemar : ainsi donc ceux qui sont les cibles désignées de tous les fachos du pays, que ces derniers soient ou non d’ailleurs des électeurs assumés du FN, ceux-là seraient également les responsables de sa montée ? La boucle est donc bouclée : d’où que l’on y regarde, rien à faire, « tout ça », c’est bel et bien leur faute.

Summum de l’humiliation, c’est donc, sous le prétexte tordu de faire barrage au Front National, l’éthique de la révolte que cherchent à soustraire aux habitants des quartiers populaires ceux qui balancent de telles punchlines, dont on ne sait si elles relèvent de la menace, de la posture colonialiste ou de la bonne vieille morale de Noël : surtout soyez sages les enfants, sinon vous aurez les fascistes !

4. Rien ne saurait pourtant faire oublier que ce sont avant tout la conversion de la plus large partie des élites dirigeantes à la rhétorique identitaire et réactionnaire, ainsi que son adhésion au traitement de l’explosion des inégalités par le seul biais du sécuritaire, qui permettent aux idées fascistes de se prétendre chaque jour un peu plus majoritaires.

Que, lors de l’adoption de cette même « loi de sécurité publique », le Parlement ait décidé de s’affranchir délibérément de la Constitution en rétablissant le délit de « consultation de sites djihadistes », au terme d’une procédure irrégulière et malgré la censure du conseil constitutionnel intervenue la semaine précédente, aurait en effet dû ouvrir les yeux de tous ceux qui osent encore se proclamer « citoyens » sur la dérive en cours du pouvoir, et sur la nature de ceux-là qui portent effectivement la responsabilité de la montée du FN.

5. Ainsi donc, quand la réponse majoritairement opposée aux émeutes s’inscrit dans la longue histoire de la fuite en avant répressive, quand le Parlement lui-même procède à la mise en bière de « l’État de droit », vu comme une entrave au développement de nouvelles mesures sécuritaires, alors l’épouvantail FN et le mélodrame médiatique, qui s’époumone à la recherche de l’impossible coalition des contraires capable de préserver le statu-quo, s’avèrent de moins en moins à mêmes de dissimuler ce qui s’impose pourtant partout comme une évidence : celle de la nature fondamentalement autoritaire de l’État.

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