L’histoire d’un peuple est écrite dans ses prisons

La lutte emprisonnée, répression, droit et révolution dans l’Italie des années 1970
[présentation et bonnes feuilles]

paru dans lundimatin#378, le 11 avril 2023

Au début des années 70, les révoltes des prisonniers et leur rencontre avec les militants extra-parlementaires qui y faisaient des séjours relativement brefs ont percé le silence qui pesait sur le système pénitentiaire. Des intellectuels comme Franca Rame et Dario Fo, des magistrats et des politiques commençaient à parler de l’urgence de réformer les prisons. Un projet de réforme est mis sur les rails parlementaires. Mais comme dit Elisa Santalena dans un article, « le débat qui se déroule entre 1974 et 1975 dans le Parlement italien s’entrecroise avec la question plus générale de l’accroissement de la criminalité commune et du phénomène de la lutte armée. Le passage à la vitesse supérieure accompli par les Brigades Rouges avec la séquestration du juge Mario Sossi, les événements tragiques de la prison d’Alessandria (1974) », au cours desquels les carabiniers du général Dalla Chiesa, font 7 morts et 14 blessés, alimentent une campagne de presse et renforcent le camps d’une approche répressive et conservatrice, dont le Parti communiste italien s’avère l’un des principaux représentants. « Dès 1974, l’histoire du mouvement des détenus aborde son deuxième tournant, qui se liera aux destins des détenus des groupes de lutte armée, notamment des Brigades rouges ».

[Cet article est la suite des notes sur La lutte emprisonnée, parues la semaine passée.]

Les extraits qui suivent illustrent deux des apports les plus importants de l’ouvrage. On lira d’abord une bonne synthèse du rôle répressif qu’assuma sans broncher un Parti communiste italien ennemi résolu non seulement de la lutte armée, mais de l’ensemble des luttes des années 70. Notons que c’est le même appareil qui, après avoir contribué à réduire l’or d’un mouvement social en plomb de la lutte antiterroriste, se transformera, au cours des années 80-90 en un parti qui, tout en gardant des réflexes staliniens dès qu’il s’agit de l’histoire des années 70, abandonnera toute espèce de référence à la lutte des classes pour s’inscrire résolument dans le courant ultralibéral, et dont le dernier avatar est le PD, Parti démocrate admirateur de Macron.

Dans l’autre extrait, on verra comment le choix d’un affrontement militaire avec l’Etat a entraîné, en réaction, le délaissement de la réforme des prisons au profit de la création des prisons de haute sécurité, nouveau terrain de luttes où, en cette fin de décennie rebelle, devait s’achever l’écrasement des espoirs révolutionnaires.

Bonnes feuilles

Le PCI : entre choix institutionnels et urgence subversive

Après l’avoir cité à plusieurs reprises, il est important de comprendre quel rôle a joué le Parti Communiste italien dans les années 1970. Car ce fut un rôle de premier plan, aussi bien en raison de son positionnement aux côtés des institutions que de ses prises de position envers la subversion. Cela nous oblige à faire quelques bonds en avant et en arrière par rapport à la chronologie carcérale et à celle des mouvements révolutionnaires, mais il est important de bien cerner ses positions avant de poursuivre.

Au cours des années 1960-1970, le PCI semble avoir acquis une capacité d’élaboration réformatrice notable, ce qui lui permet de prendre part de manière active aux discours techniques concernant la préparation des lois comme c’est le cas lors du débat parlementaire au sujet de la réforme pénitentiaire ou de la loi Reale. Le parti s’oriente vers une modification graduelle du système économique et social. Cette option politique se concrétise par une attitude très institutionnelle qui privilégie la dimension parlementaire par rapport au conflit politique et social en cours, qu’il mène dans la rue seulement lors de certaines occasions spécifiques et à travers des mobilisations officielles organisées par le parti ou par le syndicat qui lui est le plus fortement lié, la CGIL.

Depuis l’après-guerre, le PCI essaie d’acquérir une légitimité politique aux yeux des institutions nationales et internationales mais, pour ce faire, il est contraint d’abandonner son aile radicale à qui il mène une guerre sans merci risquant ainsi de perdre le soutien de la rue, comme c’est souvent le cas durant l’époque qui nous intéresse. De plus, lors du coup d’État au Chili, Enrico Berlinguer élabore la théorie du « compromis historique » qui le pousse à un rapprochement contre nature avec la DC. Cette perte du soutien de la base est aussi la conséquence de sa condamnation des mouvements révolutionnaires et de son soutien aux lois d’urgence. Son aile gauche et les groupes extraparlementaires l’accusent souvent d’abandonner les ouvriers et le prolétariat aux tristes sorts de l’exploitation et de la répression.

Pendant la libération suite au second conflit mondial, de nombreux partisans mettent tout leur espoir révolutionnaire dans le Parti, à qui ils confient leurs armes, en échange de la promesse de poursuivre leur lutte et de conquérir le pouvoir. Cet espoir est très vite trahi par les choix politiques de Palmiro Togliatti qui décide de conduire son parti sur la voie institutionnelle, par la coalition de toutes les forces qui se sont battues contre le nazi-fascisme. Celles-ci se retrouvent au sein du gouvernement « d’unité nationale » qui porte l’Italie au référendum de 1946, donnant également naissance à la Constitution. Togliatti présente ce choix comme une conséquence nécessaire pour la remise en place de la « démocratie progressive » qui consiste en une transformation complète du pouvoir économique au sens socialiste, c’est-à-dire à travers la nationalisation des noyaux fondamentaux de l’activité productive, tout en autorisant la propriété privée. Il s’agissait de faire naître un État démocratique avancé basé, non seulement sur la reconnaissance des libertés et des droits politiques, mais aussi sur l’importance des droits sociaux grâce à la participation active des masses à la gestion du pays. Quant à l’Union Soviétique, le Kominterm excluait de façon absolue la possibilité d’une voie révolutionnaire en Italie et la prise du pouvoir par les communistes, à cause de la présence, sur le sol de la péninsule, des forces alliées. Ce que l’URSS recommandait, plutôt, c’était une infiltration lente du PCI dans les institutions et dans la société, de façon à y imposer l’hégémonie de la classe ouvrière.

Tout cela explique le refus de la classe dirigeante communiste italienne de se mettre à la tête d’un mouvement révolutionnaire. Le PCI paye le renoncement à ce projet, paradoxalement, au prix de son éloignement du monde ouvrier mais aussi, de façon encore plus étonnante, par la mise à l’écart des institutions mêmes, et ce dès les premières élections libres de l’Italie de l’après-guerre [1]. Au nom de l’unité nationale et de la lutte au fascisme, le PCI renvoie à un temps non défini tout ce qui tenait à cœur à ses militants et cette attitude l’amène à accorder d’amples concessions aux autres partis, notamment à la DC. Favorisant, ainsi, la prise du pouvoir démocrate-chrétien au détriment de sa propre politique, la base du PCI, essentiellement composée par des ouvriers et des agriculteurs, se sent, à juste titre, trahie et abandonnée.

Tout en étant délégitimé dans l’exercice direct du pouvoir par les forces gouvernementales, le PCI joue, néanmoins, un rôle de premier ordre dans la mise en application des normes constitutionnelles et dans la création de nouvelles lois que ses élus élaborent et votent. À partir des années 1960, les conflits sociaux augmentent en nombre et intensité, en commençant par les événements de Gênes en 1960 [2] et de Reggio Emilia [3], suivis par les mobilisations ouvrières à Turin en 1962 [4], par les mouvements contestataires étudiants qui commencent déjà en 1966 pour se conclure sur les mobilisations de l’Autunno Caldo en 1968-69. Ces mouvements sociaux, tout comme l’apparition des premiers groupes extraparlementaires, représentent la politisation croissante des jeunes générations, ouvrières et étudiantes, se traduisant dans des résultats électoraux importants pour le PCI [5] qui profite du conflit grandissant entre les forces traditionnelles, institutionnelles et hiérarchiques et les jeunes ouvriers et étudiants.

Néanmoins, dès les émeutes de Piazza Statuto en 1962, le PCI met en acte ce qui devient ensuite sa stratégie par excellence : discréditer tout mouvement qui échappe à son contrôle ou à celui de la CGIL [6]. Pour ce faire, il essaye d’abord de canaliser les contestations dans ses programmes réformistes et institutionnels et, en cas de défaite, il criminalise les mouvements qu’il n’arrive pas à encadrer et à contrôler. Pour beaucoup de dirigeants communistes, surtout à partir de la moitié des années 1970, alors que le PCI s’apprête à faire partie du gouvernement, cette violence est nécessairement d’extrême droite et vise à l’annulation des efforts du parti de participer à l’exercice du pouvoir. Le fait que des actes de violence soient issus du sein du parti lui-même n’est pas pris en considération.

Dorénavant, les prises de positions restent inchangées : les contestataires ne peuvent pas être des militants communistes, il s’agit certainement d’agents provocateurs, d’infiltrés, de fascistes ou de « petits bourgeois anarchisants » [7]. Cette cécité amène non seulement à l’éloignement d’une partie des jeunes des rangs du PCI mais provoque aussi ce phénomène qui persiste encore de nos jours : la rétrologie [8].

Ce phénomène consiste non seulement à nier l’appartenance des groupes armés communistes [9] mais, et surtout, met en cause la possibilité que les lottarmatisti aient pu agir seuls pendant leurs actions. N’ayant pas les appuis politiques nécessaires ni la formation adéquate, les militants des groupes armés, selon le PCI, sont forcément infiltrés et commandités par des forces obscures qui les manœuvrent et les guident dans leurs opérations [10]. Toute indépendance, toute autonomie et tout engagement sont niés.

En ce qui concerne le thème de la réforme pénitentiaire, la distance qui sépare le PCI à la fois de la réalité carcérale et des discours des groupes extraparlementaires apparaît encore plus évidente. Devant l’offensive des conservateurs en 1974-75, le PCI joue un rôle de premier ordre au cours des séances parlementaires, en repoussant ou en proposant des articles novateurs, mais sans jamais faire allusion à la possibilité d’une mobilisation de masse sur ces thématiques en cas de non-approbation de ses amendements. Pour résumer, le parti renonce à la possibilité d’une organisation des luttes des détenus qui l’aurait placé comme alternative non seulement à la gauche révolutionnaire, mais également comme alternative à la branche extrémiste des détenus ayant donné naissance aux NAP. Ce choix de la légalité et de l’attachement aux institutions condamne le PCI à une position défensive.

Le processus d’alliance entre DC et PCI, devient de plus en plus solide au fur et à mesure que les années passent, surtout comme conséquence des succès électoraux du PCI en 1975 et 1976 [11]. Cette alliance est rendue possible par la montée en puissance du phénomène de la lutte armée et par la nécessité de le combattre. Cette tendance au rapprochement entre les deux principaux partis politiques italiens sur le terrain de l’ordre public se remarque aussi dans les prises de positions que le PCI adopte envers le Mouvement de 1977. Non seulement les communistes le désapprouvent, mais ils sont même fortement polémiques et accusateurs à son égard. Il suffit de penser que le maire communiste de Bologne, Renato Zangheri, ne s’oppose pas à Francesco Cossiga, ministre de l’Intérieur de l’époque, quand, le 11 mars 1977, celui-ci envoie des chars d’assaut pour réprimer les manifestations étudiantes dans la ville « rouge » par excellence. Par ces choix, le PCI gagne incontestablement un rôle central dans le programme politique de la lutte à la subversion qu’il appuie fortement. Entre 1977 et 1978 il soutient de toutes ses forces la lutte aux groupes armés et, à partir de ce moment-là, la formule de « solidarité nationale antiterroriste » qui constitue une mise en acte concrète du « compromis historique » prend toute sa valeur [12].

C’est aussi suite à ce choix que, pendant la séquestration d’Aldo Moro, le PCI se joint résolument au « front de la fermeté » en s’enfermant dans une prise de position qui empêche toute tentative de négociation avec les BR. C’est ainsi que les communistes entrent dans le gouvernement de « solidarité nationale », gouvernement qui a comme seul but la lutte à la subversion de gauche. Pour ces mêmes motifs, il criminalise toute contestation à la « démocratie institutionnelle », ce qui produit une distance impossible à combler avec certains milieux de la jeunesse communiste qui sont pourtant loin des positions des groupes armés. Ceci pousse certains jeunes, non seulement, à épouser des slogans tel que le fameux « Ni avec l’État ni avec les BR » de Lotta Continua, mais les mène, dans un premier temps, à une opposition drastique face au PCI, perçu de la même manière que la DC, et génère chez eux une forme de désintérêt et un éloignement de la politique, typiques des années 1980.

Le PCI est l’un des protagonistes principaux de la répression dans toutes ses formes : il soutient le choix de la création des prisons de haute sécurité, s’engage dans les lois « anti-terroriste » qu’il soutient de toutes ses forces. Plus la subversion s’amplifie, plus le PCI se rigidifie, niant même les raisons sociales qui amènent une certaine couche de la jeunesse à faire des choix extrémistes. Sa nécessité d’adhérer au système démocratique prime sur toutes les analyses qui auraient pu et dû être faites aussi bien sur le mécontentement des ouvriers, des jeunes et des détenus que sur le phénomène de la subversion, produit parfois directement par ce mécontentement.

Le choix d’adhérer au gouvernement d’unité nationale ne porte pourtant pas les fruits espérés : en janvier 1979, le PCI sort du gouvernement et perd quatre points aux élections législatives du mois de juin suivant, ce qui mène à une victoire de l’aile droite de la DC. C’est donc à ce moment-là que les démocrates-chrétiens abandonnent de façon définitive l’idée d’un « compromis historique ». Pour le PCI, il s’agit du début du déclin électoral et de la baisse des inscriptions au parti [13].
(...)

Le procès des groupes armés

[…]Le procès qui se tient à Naples, peu après, est donc préparé de façon différente par les militants, qui comprennent que l’enjeu est la reconnaissance de leur état de groupe révolutionnaire.

Pour démontrer au Parquet et à l’opinion publique à qui ils ont à faire, la veille, le 22 novembre 1976, le bâtiment du « Cercle de la Presse », proche du Tribunal, est pris d’assaut par un groupe de militants NAP. Par cette action démonstrative, qui sert d’avertissement pour la presse, commence le procès-guérilla que les militants mettent également en scène à l’intérieur du tribunal. Beaucoup d’accusés révoquent le mandat de leurs avocats [14] et, alors que Giorgio Panizzari lit un communiqué qui dénonce le compromis historique, de jeunes sympathisants des NAP se réunissent en cortège à l’extérieur du tribunal, pour soutenir le groupe. Des manifestations du même type se déroulent aussi dans plusieurs prisons : désormais, une partie des détenus voient chez les militants des NAP la seule solution au changement de leur situation.

Le climat dans lequel le procès s’ouvre est tendu et la militante des NAP Maria Pia Vianale contribue à la difficulté de la situation en le définissant comme une action de guérilla [15]. En déclarant cela, la militante démontre qu’elle reprend la théorisation de Jacques Vergès. Les NAP et les BR épousent donc la théorisation du procès de rupture et le mettent en pratique aussi bien pour montrer au système judiciaire qu’ils ne s’y reconnaissent pas, mais aussi par leur volonté d’être traités comme des antagonistes politiques, des accusateurs qui visent à la déstabilisation. Ils utilisent leur procès pour illustrer leur stratégie et non pas pour se défendre, comme un instrument de revendication d’une collectivité, d’une organisation armée qui assume la responsabilité politique et morale de ses actions.

Le procès napolitain des NAP se déroule, contrairement à celui de Florence, dans un climat tendu aussi bien à l’intérieur du Tribunal qu’à l’extérieur en raison des séquestrations, homicides et évasions [16], mais aussi de la militarisation de la ville qui cherche à instaurer un climat de tension et d’intimidation à l’encontre des diverses formes de soutien politique en faveur des NAP. Il se termine en février 1977, avec de lourdes condamnations pour les accusés. Si le militantisme des condamnés n’avait pas été pris en compte par le Parquet florentin, la sentence de Naples retrace l’histoire du groupe et de ses motivations politiques. En citant une lettre de Pietro Sofia, écrite depuis la prison de Viterbe, les magistrats affirment que la propagande armée a pour les NAP, comme objectif primaire, le système carcéral. Ce choix est amplement analysé par les procureurs adjoints de Naples, Giovanni Volpe et Lucio di Pietro : le mouvement carcéral, né entre 1968 et 1971, par le contact entre les détenus et les étudiants incarcérés, était passé par la prise de conscience, de la part des premiers, que la prison était peuplée presque exclusivement par des prolétaires et des sous-prolétaires et que, de ce fait, elle incarnait le point décisif de leur bataille. Le rapport continue avec d’autres réflexions intéressantes sur le milieu dans lequel les NAP évoluaient, sur leurs choix, leur naissance et leur structure. Les magistrats constatent beaucoup d’affinités entre NAP et BR, même s’ils sont conscients du manque de contact entre les deux groupes, grâce à certains textes rédigés par des militants des NAP.

Ce procès se termine donc par une réelle reconnaissance des NAP en tant que sujets de la lutte armée en Italie et pose le problème, non seulement au Parquet qui les condamne, mais surtout à l’État italien, de la façon par laquelle leur incarcération doit être gérée tout comme, de toute évidence, de la façon par laquelle leur lutte doit être réprimée le plus rapidement possible.

Le procès des chefs historiques des BR, arrêtés entre 1974 et 1976 est, quant à lui, plus dense et articulé que celui des NAP. Le procès s’ouvre à la Cour d’Assises de Turin le 17 mai 1976 pour se terminer deux ans plus tard, en juin 1978, et voit vingt-trois militants sur le banc des accusés, parmi lesquels Renato Curcio, Alberto Franceschini et Prospero Gallinari [17]. Les chefs d’accusation ne comprennent alors pas encore des crimes de sang mais concernent un grand nombre de délits, allant de la constitution de bande armée [18] à l’enlèvement, la détention d’armes, des vols, etc. Le procès s’ouvre dans un climat de tension très forte, avec un palais de justice placé en état de siège, entouré de policiers fortement équipés. Le public, les journalistes et les avocats sont systématiquement soumis à des fouilles et à des contrôles. Les enjeux sont d’une importance capitale. Du côté de la magistrature, le but est de nier toute valeur politique aux accusés et du côté des brigadistes, le but est de revendiquer à tout prix leur identité de combattants communistes qui mènent une guerre contre un état anti-démocratique.

Dès l’ouverture du procès, l’un des accusés, Maurizio Ferrari, lit un communiqué au nom de tout le groupe :

Nous nous proclamons publiquement militants de l’organisation communiste Brigades Rouges, et en tant que combattants communistes nous assumons collectivement et entièrement la responsabilité politique de chacune des initiatives passées, présentes et futures. En affirmant cela, tout présupposé légal disparaît pour ce procès, les inculpés n’ont à se défendre de rien. Alors qu’au contraire les accusateurs doivent défendre la pratique criminelle, anti-prolétaire de l’infâme régime qu’ils représentent. S’il doit y avoir des défenseurs, ils sont pour vous, chères « excellences » ! Pour ôter toute équivoque, nous révoquons par conséquent à nos avocats le mandat pour la défense et les invitons, dans le cas où ils soient nommés d’office, à refuser toute collaboration avec le pouvoir. Avec cet acte nous entendons ramener l’affrontement sur le terrain réel et pour cela nous lançons aux avant-gardes révolutionnaires le mot d’ordre : porter l’attaque au cœur de l’état !

Dans cette première déclaration, plusieurs aspects importants sont à relever : les menaces, la déclaration de responsabilité, mais non de culpabilité, l’appel aux forces révolutionnaires à se rebeller contre une institution qu’ils trouvent anti-démocratique et le refus à la défense [19]. En révoquant le mandat de leurs avocats et donc, en pratiquant le « procès de guérilla » [20] vu comme le prolongement armé du « procès de rupture », les brigadistes, en réalité, ne demandent pas de pouvoir s’autodéfendre, ce qui serait interdit par la loi italienne [21], mais refusent le fait de devoir se défendre tout court. Initialement, les BR avaient décidé de se faire défendre par des avocats de Soccorso Rosso : Arnaldi, Guiso, Di Giovanni, Costa et Rosati. Mais après la révocation du collège de défense, les avocats, initialement surpris par ce refus, témoignent leur solidarité avec les brigadistes et écrivent le communiqué suivant :

Entre les inculpés et la cour qui les juge se creuse un fossé qu’aucune défense ne pourra plus combler. C’est un procès politique et l’état de siège dans lequel se trouvent ce tribunal et cette ville le démontre. Nous, avocats, avons dénoncé l’inopportunité de célébrer le procès dans un climat pré-électoral [22]. Nous n’avons pas été écoutés. Aujourd’hui le procès est contre ces inculpés. Demain les juges pourront être à leur tour jugés : l’histoire change les rôles. Nous demandons à la cour de ne pas être nommés défenseurs d’office. 

Il s’agit là d’une déclaration lourde de sens politique qui dénonce la dimension policière dans laquelle s’est drapé le procès et la militarisation à outrance qui entoure ce moment. De plus, en refusant de jouer le rôle classique normalement dévolu à la défense, les avocats participent d’une certaine manière à la stratégie de rupture dans laquelle s’engagent les BR. C’est tout l’appareil processuel qui est renversé avec ces déclarations : le jeu normal de l’accusation et de la défense n’a plus de sens puisque cette dernière refuse d’assumer cette dimension. Ce ne sont alors plus les critères du droit qui ont cours : la politisation du procès est désormais indéniable et la justice est placée dans une situation exceptionnelle et son « bon » déroulement subit un coup d’arrêt dont on ne mesure pas alors toutes les conséquences. Si ce choix contribue à vider de sa substance le rôle de la défense et fragilise la position des avocats, cette décision est en tout cas accueillie avec satisfaction par les brigadistes. Dans un journal de bord qu’ils tiennent tout au long du procès, ils estiment que le procès de Turin marque aussi une rupture dans l’histoire du droit de la défense en Italie : « En accueillant l’invitation à refuser la défense, même d’office, les avocats s’éloignent non seulement du procès, mais ferment une époque : celle des procès politiques. À partir de ce moment ce procès assume les caractéristiques d’une action de guérilla (procès de guérilla). » [23]

Cette stratégie, décidée par les prisonniers eux-mêmes, contribue au blocage du procès à plusieurs reprises au cours de ces deux années, jusqu’au moment où l’avocat turinois, Vittorio Chiusano, élabore une formule entrée dans l’histoire du droit italien. Cette dernière consiste dans le fait que, dans ce type de procès, l’avocat de la défense doit simplement être « garant du rite processuel », c’est-à-dire qu’il doit se limiter à rester dans la salle du tribunal non pas pour défendre directement l’accusé, mais dans le seul but de contrôler qu’il n’y a aucune irrégularité. Cette formule fait en sorte que le procès touche à sa fin le 23 juin 1978 avec des condamnations entre 10 et 15 ans pour les fondateurs des BR.

Beaucoup d’événements se sont déroulés pendant les deux ans du procès, d’une grande importance et d’une grande influence dans l’histoire italienne, dans l’histoire des BR et dans l’histoire de la subversion et qui sont fondamentaux dans les choix que l’État met en place pour essayer d’entraver le phénomène armé. Pour ne citer que les plus importants, peu après l’ouverture, le 8 juin 1976, un commando des BR tue le procureur général de la Cour d’Appel de Gênes, Francesco Coco, ainsi que son escorte et revendique l’assassinat dans le Tribunal [24]. Les militants incarcérés, dont le procès est en cours revendiquent rapidement l’assassinat. Cela empêche le bon déroulement de leur procès et provoque une suspension de ce dernier en accroissant le climat de tension [25].

Un deuxième grand événement secoue le procès turinois et, avec lui, l’Italie entière : au moment où les débats doivent reprendre, les BR tuent l’avocat Fulvio Croce, président de l’ordre des avocats de Turin le 28 avril 1977 : c’était lui qui, chargé de cette mission par le Parquet, avait désigné les défenseurs d’office [26]. Dans un climat de plus en plus pesant, le procès des brigadistes est à nouveau reporté alors qu’il n’a, dans la pratique, même pas commencé. Les menaces des BR et les actions des commandos externes ont produit leur effet d’intimidation.

Les BR semblent donc invincibles, aussi bien à l’intérieur du Tribunal par leur refus d’une défense et par leur choix du « procès de rupture » que pour le climat qu’ils instaurent chez les défenseurs et le jury populaire, tout comme à l’extérieur du tribunal [27]. Après plusieurs autres attentats et homicides et suite aux deux ajournements précédents du 17 mai 1976 et du 3 mai 1977, le procès redémarre le jeudi 9 mars 1978, mais les accusés rejettent à nouveau les avocats nommés d’office, dans une ville qui vit, désormais, en état de siège [28]. Mais le dernier coup de théâtre pendant le procès est l’enlèvement, par un commando [29], du président démocrate-chrétien Aldo Moro et le massacre de son escorte, le 16 mars 1978. Alors que le gouvernement adopte plusieurs lois anti-terroristes d’exception, dont nous parlerons plus spécifiquement par la suite, les BR, non contentes d’avoir dans leurs mains un des principaux responsables de la politique italienne, commencent leur attaque au monde carcéral et tuent Lorenzo Cotugno [30], gardien de la prison Le Nuove, où les brigadistes en procès sont incarcérés, ainsi que le maréchal Di Cataldo le 20 avril 1978, responsable des gardiens de la prison San Vittore. Le procès ne se clôt que le 23 juin 1978, mais avant ce terme les brigadistes exécutent Aldo Moro, le 9 mai 1978 et en revendiquent l’issue sanglante.

Pendant les trois ans de sa durée, ces sujets collectifs, les BR en tant que noyau historique qui subit un procès, sa prolongation armée qui agit à l’extérieur, et l’État italien, représenté par tous les acteurs qui permettent le bon déroulement du procès vivent un affrontement frontal sur le terrain de la légalité. L’État n’est aucunement préparé au type de conflit que le groupe armé déploie et qui, certainement, provoque un sentiment de terreur chez les membres du jury. Dans la première phase du procès, les brigadistes prouvent qu’ils connaissent tellement bien le système juridique, qu’ils peuvent le bloquer par le refus de la défense et, ainsi, défier l’État sur son propre terrain. Leur but, en agissant de la sorte, n’est pas la suspension du procès pour un temps indéterminé, mais de participer de façon déterminante à la reconfiguration de l’organisation de la justice. Ils veulent sortir de ce procès comme des prisonniers politiques combattants et démontrer que les institutions sont, selon eux, un régime qui agit de façon criminelle contre le prolétariat. Mener leur attaque au cœur de l’État devient, ainsi, une nécessité de justice.

Ce procès offre donc, aux BR, une scène politique, une visibilité et une caisse de résonance hors du commun pour un groupe de lutte armée. Par leur comportement, leurs actions à l’extérieur et par leurs revendications, ils bénéficient d’une scène de premier ordre et peuvent se poser comme seule opposition à un État qu’ils veulent abattre. En effet, comme le dit Mario Moretti, durant cette période le groupe attire à lui énormément de jeunes qui veulent s’engager à ses côtés, certainement fascinés par leur attitude de libérateurs et par le succès de leurs actions. Cela est dû aussi aux transformations survenues à l’intérieur du mouvement extraparlementaire et qui amènent de façon graduelle au renforcement des organisations clandestines et de lutte armée. De façon parallèle, leurs militants subissent de plus en plus d’arrestations et leur présence est croissante, non seulement dans la société, mais aussi dans les prisons.

De cette évolution dérive une transformation ultérieure du mouvement des détenus et la création des conditions pour l’identification, par l’opinion publique et par les forces répressives de l’État, de la persistance de noyaux contestataires à l’intérieur des prisons avec la plus générale « urgence terrorisme », phénomènes, en réalité, en grande partie séparés.



Une réponse stratégique se prépare

Dans cette situation complexe naissent les conditions pour la plus importante des réponses stratégiques donnée par les autorités politiques et carcérales aux luttes au long cours des détenus : l’institution des prisons de haute sécurité.

Comme dit précédemment, l’idée de créer ce type de prison pour y accueillir les détenus les plus dangereux avait déjà été envisagée dès novembre 1974. À cette époque avaient émergé, pour la première fois et de façon claire, des indications pour une action répressive soutenue par une stratégie de grande ampleur et détachée des épisodes carcéraux spécifiques. L’État, devait affronter plusieurs situations d’urgence en même temps : une lutte armée de plus en plus puissante, le stragismo et la question carcérale, pratiquement inchangée, même après la réforme de 1975. À cette dernière s’ajoutait la question des innombrables évasions des détenus de droit commun et des militants des groupes armés, à partir de 1976.

L’organisation et l’application de ces normes opérationnelles qui concernent un circuit différencié ne survient pas à ce moment-là, bien que plusieurs directeurs ou procureurs l’attendent de façon de plus en plus pressante. Elle voit seulement le jour à la moitié de 1977, quand la situation paraît la plus favorable aux autorités carcérales et politiques. En effet, il était difficile de faire comprendre la nécessité d’un circuit différencié alors que la réforme carcérale n’avait toujours pas eu lieu et que le phénomène armé était encore marginal. Mais, entre 1974 et 1977, les événements que nous avons précédemment énumérés permettent de présenter la nécessité de la création de ce circuit comme absolument nécessaire, aussi bien au monde politique et aux directions carcérales qu’à l’opinion publique.

Un autre facteur déterminant de l’institution des prisons de haute sécurité est la création d’un apparat répressif d’État, à partir de 1974 pendant la séquestration du juge Mario Sossi. Cet appareil, conçu par le corps des carabiniers, acquiert des compétences spécifiques dans le secteur de l’antiterrorisme et est donc préparé à gérer la surveillance et la sécurité des prisons de haute sécurité.

[…]

On attribue, donc, le rôle de « coordinateur des services de sécurité externe des instituts de prévention et de peine » au corps des Carabiniers et donc à Carlo Alberto Dalla Chiesa responsable, par le passé, des premiers « noyaux anti-terroristes », protagonistes, entre autres, du massacre à la prison d’Alessandria que nous avons déjà évoqué.

Dans ce décret, on ne se réfère jamais de façon explicite à la motivation politique dont il est issu : on en parle comme s’il s’agissait d’une solution purement technique. On évoque aussi la nécessité de la surveillance externe des prisons comme une solution temporaire due au manque de sécurité des structures existantes. En réalité, il résulte que ce rôle doit effectivement être temporaire mais, en même temps, son terme est fixé à la fin de l’urgence terrorisme ce qui laisse donc un espace temporel ouvert à l’action des hommes de Dalla Chiesa. De la même façon, dans ce décret, on ne mentionne pas clairement l’institution des prisons de haute sécurité, mais on parle seulement du choix de certains établissements pour lesquels la surveillance externe doit être renforcée et confiée aux Carabiniers.

Quand ces visites sont réellement réalisées par le général Dalla Chiesa et par le conseiller ministériel Buondonno, les autorités carcérales n’ont aucun doute sur le but de cette opération : l’institution de sections de haute sécurité. Le 20 mai 1974, Dalla Chiesa lui-même envoie une circulaire à tous les directeurs des prisons, dans laquelle il demande des renseignements détaillés sur les différents contrôles existant (du téléphone aux colis en passant par les entrées et sorties), le nombre d’inspections quotidiennes, l’éventuel emploi de détenus, les noms des fournisseurs et des entreprises de manutention ayant accès aux prisons, ou encore les diverses « carences structurelles » qui auraient pu être repérées et auxquelles il serait possible de palier rapidement. La valeur des informations recueillies est double : elle permet un recensement complet de l’état des prisons du point de vue de la sécurité, utile pour une poursuite du processus de normalisation post-réforme, mais aussi dans l’optique d’identifier les établissements les plus sûrs afin de les transformer en prisons de haute sécurité. Dalla Chiesa possède désormais un tableau complet de la situation des prisons italiennes qui lui permet, aussi, d’analyser les pratiques de contrôle des administrations carcérales et les subterfuges utilisés par les détenus pour les contourner, notamment lorsqu’ils arrivent à introduire des objets non autorisés à l’intérieur des prisons.

La désignation des premiers établissements qui seront transformés en prisons de haute sécurité advient au début du mois de mai 1977. Dans une lettre du Ministre de la Justice au directeur général Altavista est évoquée une réunion tenue le 7 juin 1977 dans laquelle « ont été déterminées les travaux strictement nécessaires pour garantir la sécurité maximale des instituts de Cuneo, Trani, Fossombrone, Favignana et Asinara ».

En même temps, l’activité des responsables de l’administration pénitentiaire et de Dalla Chiesa se focalise sur l’identification des détenus à transférer dans les prisons de haute sécurité. Il s’agit d’un passage clé qui révèle l’essence politique de l’opération dans son ensemble. Les détenus inscrits sur cette liste ne sont pas simplement des détenus politiques faisant partie de la lutte armée, de gauche comme de droite mais dans les notes envoyées aux autorités compétentes on y trouve des dizaines de noms de détenus de droit commun. Il s’agit, souvent, de détenus impliqués dans des mutineries, des évasions, des séquestrations d’agents carcéraux. Ainsi, contrairement au cas allemand où les prisons de haute sécurité ont été, dans un premier temps, construites dans le but exclusif d’y enfermer les détenus de la bande Baader-Meinhof [31], en Italie le choix a été bien plus vaste et le but de cette création a été multiple.

L’administration carcérale ne sait plus comment mettre fin aux évasions qui se succèdent sans une réelle mise en application de la réforme de 1975 qui continue à tarder. Il lui faut donc un soutien politique fort pour sortir de cette impasse. Quant au monde politique, la création d’un circuit sécurisé peut aisément régler ce problème : la volonté d’appliquer la réforme étant faible et allant à l’encontre de certains partis qui, pourtant, l’ont modifiée en leur faveur. Ils veulent, de plus, isoler une partie de détenus dangereux, fussent-ils politiques, politisés ou de droit commun. La chose la plus simple consiste donc à les enfermer dans des établissements soumis à des règles restrictives et, ainsi, de laisser les détenus les plus inoffensifs dans les prisons du circuit régulier pour qu’ils puissent, eux, bénéficier de la réforme de 1975. Cela peut avoir plusieurs effets : vider les prisons, les libérer des meneurs et des militants de la lutte armée, contenter l’opinion publique, de plus en plus préoccupée suite à l’alarme que les forces politiques lancent à l’ordre du jour concernant les délinquants et leurs fuites. De plus, aspect non négligeable, l’instauration de ce type d’établissement a un coût mineur. En effet, mettre en place la réforme nécessitait un renouvellement total des prisons, pour y créer des espaces de convivialité, entre autres ; alors que créer quelques prisons de haute sécurité, même en renforçant la sécurité en leur sein et en augmentant la quantité des gardiens, s’agissant de peu de prisons par rapport au parc carcéral entier, représentait un investissement financier assez faible. L’existence même d’un circuit spécial comporte également une fonction dissuasive pour les détenus de droit commun, tout en envoyant un message clair à ceux qui choisiraient la voie de la lutte armée.

Cette double opération liée à l’action anti-terroriste et aux exigences du système pénitentiaire révolutionne le monde carcéral italien, jusqu’à aujourd’hui. Mais, avant de voir de quelle manière, de façon plus détaillée, il est important de mettre l’accent sur le fait que ce choix est exclusivement politique. Une partie de la Magistrature s’y oppose fermement et continuera de le faire après l’ouverture de ce circuit en voyant comme seule issue aux problèmes carcéraux la seule application de la réforme de 1975 et son amélioration.

[1La mise à l’écart du PCI et son exclusion des sphères du pouvoir commence dès 1947, avec le nouveau gouvernement démocrate-chrétien élu avec l’appui des partis de droite et, cela, même si aux élections de 1946 il s’était placé comme troisième parti avec 18,9 %. La DC était arrivée première avec 35,1% et le PSIUP deuxième avec 20,7%. C’est donc à partir de cette année-là, et cela jusqu’en 1978, que le PCI est exclu des forces gouvernementales, même si ses résultats électoraux ne cessent d’augmenter. Enrico Berlinguer parle, pour qualifier ce phénomène, de conventio ad excludendum en voulant souligner le refus de certaines forces politiques gouvernementales d’inclure le PCI parmi elles. Cette exclusion dure pendant toute la première République, exception faite pour le « gouvernement de solidarité nationale » entre 1976 et 1979, créé pour combattre le phénomène de subversion.

[2Le 30 juin 1960, des milliers de militants communistes protestent contre le meeting du MSI dans leur ville. Les émeutes, très violentes et vite réprimées par les forces de l’ordre, font plusieurs morts et des centaines de blessés parmi les militants communistes.

[3Lors d’un rassemblement, Piazza della Libertà, contre le gouvernement Tambroni, le 7 juillet 1960, la police tire sur les manifestants. En plus des 30 blessés, cinq citoyens sont tués. Tous les cinq sont des ouvriers communistes et d’anciens résistants.

[4Les ouvriers entament la plus importante manifestation depuis l’après-guerre, Piazza Statuto, à Turin, du 6 au 10 juillet 1962, pour protester contre le syndicat UIL qui venait de signer un contrat de travail avec FIAT pour les métallurgistes affiliés dans ses rangs. Suite aux manifestations il y a des centaines de blessés et arrestations.

[5Le PCI dépasse 25% en 1963, et 27% en 1968.

[6Des franges d’ouvriers plus radicaux, qui s’opposent aux positions du parti et du syndicat naissent dès 1969 : il s’agit des « assemblées autonomes » dans les usines et des « Comités unitaires de base ». Les deux groupes, d’un côté le PCI, de l’autre les groupes extraparlementaires, entament un conflit ouvert concernant les choix des formes d’organisation des actions à mener sur le terrain. Le syndicat ne renonce jamais au côté institutionnel de la négociation avec le patronat, alors que les extraparlementaires pratiquent un recours à la violence systématique pour se distinguer du PCI, critiqué pour avoir abandonné les ouvriers dans les mains du capitalisme et pour avoir abandonné toute velléité de révolution.

[7C’est ainsi que le PCI appelle les étudiants de 1968.

[8Du mot italien « dietrologia ».

[9M. Clementi, P. Persichetti, E. Santalena, op. cit., “La posizione del Partito comunista”, p.401-454.

[10Le père de la rétrologie italienne est le sénateur communiste Sergio Flamigni, qui a écrit nombre d’ouvrages accusant les brigadistes pendant l’opération Fritz, d’avoir été infiltrés, guidés et protégés par les services secrets italiens, étasuniens et israéliens, dans un mélange digne de romans noirs et sans aucune preuve concrète.

[11En 1976, Enrico Berlinguer officialise la prise de distance du PCI avec l’URSS, en affirmant la nécessité d’une voie italienne au socialisme. En cette même année, aux élections, le parti atteint 34,4% contre 38,7% pour la DC. Le moment est donc venu de mettre véritablement en place le « compromis historique ». Ce dernier devait être une forme de légitimation mutuelle de la DC et du PCI, mais si l’aile gauche démocrate-chrétienne, représentée par Aldo Moro et Benigno Zaccagnini, est en faveur d’une alliance avec les communistes, l’aile droite, représentée par Amintore Fanfani et Giulio Andreotti, y est totalement opposée. Le premier compromis se réduit, alors, à un appui extérieur du PCI au gouvernement d’Andreotti, en 1976.

[12P. Persichetti, La polizia della Storia, Rome, DeriveApprodi, 2022

[13Ce déclin progressif, qui commence en 1979 et auquel s’ajoute, en 1989, la chute du Communisme, donne lieu, en février 1991, au Congrès de Rimini, où les dirigeants décident l’abandon du nom Parti Communiste Italien pour faire place au Partito Democratico di Sinistra (PDS) qui, à son tour, deviendra, en octobre 2007, l’actuel Partito Democratico (PD) en abandonnant l’idée même de la gauche dans son propre nom.

[14Pasquale Abatangelo lit un premier communiqué où il affirme que les défenseurs qui auraient accepté le mandat, auraient été considérés comme « collaborateurs de ce tribunal spécial et répondront de leur infâme comportement au mouvement armé ». Rossella Ferrigno, I Nuclei armati proletari, p. 134.

[15Les BR avaient déjà choisi ce comportement processuel pendant le procès de Turin qui commence peu de mois auparavant.

[16Rossella Ferrigno, I Nuclei armati proletari. Carceri, protesta, lotta armata, Reggio de Calabre, La città del sole, 2008, p. 138. Les militants NAP non incarcérés, pendant le procès de Naples, organisent un attentat contre un dirigeant de l’Antiterrorisme, Alfonso Noce, pendant lequel Martino Zichittella trouve la mort. Peu de temps après, en janvier 1977, alors que le procès est encore en cours, Maria Pia Vianale et Franca Salerno s’évadent de la prison de Pozzuoli. Les deux femmes sont arrêtées en juillet, à Rome, avec Antonio Lo Muscio qui meurt à cette occasion.

[17Les militants accusés et qui sont, à ce moment-là, emprisonnés dans Le Nuove sont : Pietro Bassi, Pietro Bertolazzi, Alfredo Buonavita, Renato Curcio, Valerio De Ponti, Maurizio Ferrari, Alberto Franceschini, Prospero Gallinari, Arialdo Lintrami, Roberto Ognibene, Tonino Paroli. Les autres sont : Riccardo Borgna (avocat), Alberto Caldi, Cesarina Carletti, Adriano Carnelutti, Giovan Battista Lazagna (avocat), Giovanna Legoratto, Enrico Levati, Rocco Micaletto, Peppino Muraca, Paolo Raffaele, Pietro Sabatino et Antonio Savino. Onze, parmi les accusés, étaient déjà en prison et essaient d’organiser une évasion à laquelle ils renoncent pour de nombreuses difficultés logistiques. À ce propos, voir : Prospero Gallinari, Un contadino nella metropoli, Bompiani, Milan, 2008, p. 126-131.

[18Art. 306 du Code Pénal italien, différent de l’article 270 d’association subversive. Ils sont inculpés « Pour avoir organisé une bande armée dénommée Brigades Rouges ayant pour objectif la suppression violente des systèmes politiques, économiques et sociaux de l’état italien, en élaborant un programme politique général d’attaque au cœur de l’État ». Les citations relatives au procès des BR sont tirées du documentaire Avvocato ! d’Alessandro Melano et Marino Bronzino, co-produit par l’Ordre des Avocats de Turin et par l’Université de Droit de Turin et distribué par le quotidien La Stampa en janvier 2007.

[19Une quarantaine d’avocats acceptent de défendre les militants des groupes armés, tout groupe confondu. Parmi eux nombre de défenseurs sont liés au Soccorso Rosso : Bianca Guidetti Serra, Edoardo Di Giovanni, Giannino Giuso, Edoardo Arnaldi, les frères Sergio et Giuliano Spazzali, Giovanna Lombardi, Gilberto Vitale, Rocco Ventre, Gabriele Fuga, Luigi Zazza, Antonino Filastò, Saverio Sanese, Tommaso Sorrentino, Giovanni Cappelli, Angiolo Gracci, Francesco Piscopo et Gaetano Pecorella. Soccorso Rosso avait, initialement, demandé à 139 avocats de défendre ce type de militants.

[20Prospero Gallinari raconte que le livre de Jacques Vergès, De la stratégie judiciaire, « circulait de manière frénétique dans les cellules », P. Gallinari, Un contadino..., p. 132-133. Au lieu d’être un « procès de rupture », d’après l’avocat Giannino Guiso, le « procès de guérilla » représente bien une avancée par rapport au « procès de rupture » algérien. En effet, les BR ne se limitaient pas à faire le procès de l’État, mais y ajoutaient la lutte à l’extérieur, pour troubler les juges, les avocats et l’opinion publique.

[21Bianca Guidetti Serra se battra, sans succès, pour que ce droit leur soit octroyé par la Cour Constitutionnelle. Cette auto-défense eut lieu malgré tout puisqu’on accordait régulièrement la parole aux accusés. À ce propos, voir : Bianca Guidetti Serra, « I giurati di Torino », La Repubblica, 16 mars 1978.

[22En juin 1976 ont lieu des élections pour les chambres des députés et des sénateurs, dans un contexte où la DC marque le pas face à la progression du PCI.

[23 Soccorso Rosso milanese, Non bastano le galere per tenerci chiusi, Milan, Ghisoni, 1976, p.120.

[24Coco était le magistrat qui, pendant la séquestration du juge Sossi, s’était opposé et avait bloqué la libération des détenus du groupe XXII Ottobre, un des premiers groupes armés de la décennie.

[25Les forces de l’ordre, de leur côté, tuent le brigadiste Walter Alasia le 15 décembre 1976. À partir de là, la colonne milanaise des BR prend son nom.

[26Croce désigne l’avocat Chiusano, avocat de la famille Agnelli et de Fiat, ainsi que Bianca Guidetti Serra.

[27210 avocats se refusent à prendre part au procès et il faut 40 tirages au sort pour mettre en place un jury populaire.

[28Quatre mille hommes des forces de l’ordre sont déployés et le procès a lieu dans le tribunal de la caserna Lamarmora, proche de la prison Le Nuove.

[29Le commando est dirigé par Prospero Gallinari, Valerio Morucci, Raffaele Fiore, Franco Bonisoli, Mario Moretti, Alessio Casimirri, Alvaro Loiacono, Barbara Balzerani, Bruno Seghetti et Rita Algranati.

[30Cotugno est tué le 11 avril 1978. Il était responsable des entretiens des détenus.

[31Il s’agit de la prison de Stammheim, à Stuttgart, où sont enfermés les militants de la RAF.

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