Darmanin souhaite « revisiter » la tenue des policiers

Il cherche des bénévoles parmi les étudiants en art appliqués

paru dans lundimatin#280, le 22 mars 2021

Une lettre datée du 12 mars 2021 a été transmise au directeur de l’école de Duperré, une école d’art appliqués à Paris. L’auteur, Gerald Darmanin, leur propose de réfléchir à une nouvelle tenue pour les policiers, “le projet qui répondra le mieux aux attentes servira de modèle pour modifier le design d’une ou deux pièces emblématiques de la tenue des policiers”. (sic)

Le gouvernement demande aux étudiants de l’école de Duperré de repenser la tenue vestimentaire des effectifs de police et joint à sa lettre les grandes lignes directrices d’un cahier des charges permettant de répondre à sa demande.
De nombreux témoignages nous montrent que les étudiants sont touchés de plein fouet par les effets de la pandémie, qui a privé nombre d’entre eux de jobs alimentaires et n’a fait qu’accroître une précarité financière et un isolement social déjà préoccupant. De nombreux étudiants rejoignent les déjà trop longues files d’attente des distributions alimentaires du secours populaire. Ils étaient plus de 2000 à défiler le 16 mars dans les rues de Paris, un an jour pour jour après le début du premier confinement pour dénoncer une situation de moins en moins tenable.

Pourtant, quelques jours auparavant, Alain Soreil, le proviseur de l’école supérieure des arts appliqués, de même que les directeurs de 23 autres établissements, comme le révèle Mediapart, recevaient une lettre quelque peu étonnante de Gérald Darmanin.

Dans cette lettre qui a fuité sur les réseaux sociaux, le ministre de l’Intérieur demande à l’école et aux « nouveaux talents qu’elle abrite » de penser et concevoir la nouvelle tenue qui viendra équiper les agents de la police nationale. Une tenue qui devrait permettre de « mieux articuler la nécessaire proximité avec le citoyen et l’incarnation régalienne de l’autorité et de l’ordre ». L’école Duperré est une école publique d’enseignement supérieur, située dans le quartier du Temple à côté de la place de la République, au cœur de Paris. Fondée en 1856, l’école accueille chaque année 500 étudiants, qu’elle « forme […] aux métiers de la création, en mode et textile, mais aussi en espace et en graphisme ».

Outre un sens du timing particulièrement fin et des délais qui, même d’un point de vue extérieur, semblent parfaitement déraisonnables puisque le ministre souhaiterait voir les policiers parader dans leurs uniformes flambants neuf le 14 juillet, le ministère de l’Intérieur ne semble pas éprouver la moindre gêne à demander à des étudiants de travailler gratuitement pour concevoir les uniformes d’une police qui n’hésite pas à tabasser, humilier et mutiler ces mêmes étudiants lorsqu’ils prennent la rue ou occupent des places, comme celle de la République, située à deux pas de l’école Duperré. Il faut aussi faire entièrement abstraction de la précarité et de la problématique de la généralisation du travail gratuit qui règne dans les milieux artistiques, comme l’a rappelé la récente polémique soulevée par le concours organisé par le rappeur marseillais Jul, « offrant à ses fans la chance de réaliser sa cover d’album », faisant donc travailler des dizaines de jeunes graphistes gratuitement et la majorité pour rien.

En annexe de cette lettre qui a abondamment circulé sur les réseaux sociaux, on trouve un document qui semble être le fruit d’une enquête auprès des policiers de terrain et qui mentionne trois éléments de leur tenue qu’ils souhaiteraient voir changer en priorité. On y apprend par exemple que le « bleu marine » serait préféré au « bleu glacier » actuel du polo et que les sérigraphies qui les ornent ne conviendraient plus aux intéressés, « le terrain souhaiterait des broderies ». Entre autres coquetteries on apprend aussi qu’à la casquette souple qui sert de couvre-chef actuel serait préféré un bonnet de police « modernisé » pouvant s’adapter aux différentes morphologies crâniennes. La casquette citée avait été introduite dans « l’arsenal vestimentaire » de la police nationale par la maison de mode Balenciaga, chargée en 2004 de repenser entièrement l’uniforme policier. Besogne que l’on imagine mal Balenciaga avoir accompli bénévolement d’ailleurs... C’est à cette occasion que le fameux « képi » avait disparu de même que la cravate, jugée trop dangereuse pour les agents.

« […] de nombreux étudiant.e.s se trouvent dans une situation précaire (logement, dépenses de première nécessité, disparition des petits jobs étudiants, fournitures d’art qui coûtent une blinde). Notre santé mentale est également fortement impactée, isolement, manque de contact humain...
Dans ce contexte, la demande du gouvernement est totalement déplacée, les idéaux conservateurs à tendance raciste, machiste et violente de la police étant ce que dénonce la plupart des étudiants, il y a un déphasage total. » Témoigne un élève de l’école de Duperré.

En s’adressant à de jeunes étudiants plutôt qu’à une maison comme Balenciaga, outre les substantielles économies qu’il espère probablement faire, le gouvernement continue son entreprise de soft power à destination de la jeunesse, entamée par les nombreuses collaborations avec des influenceurs comme Tibo InShape ou la récente vidéo de McFly et Carlito, qui viennent brouiller la frontière bien ténue entre communication publique et propagande politique.

Si l’école ne s’est pas encore publiquement prononcée sur ses intentions quant à cette demande du Ministère, les étudiant.e.s de leur côté ne semblent pas franchement emballés. « Je pense que l’école va refuser. Si elle était acceptée je bloquerai mon école jusqu’à ce qu’ils interrompent le partenariat. » Atteste ce même étudiant.

Il semblerait que les réseaux sociaux aient, eux, déjà quelques idées en tête quant à ce à quoi pourrait ressembler ce prochain uniforme :



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