Cauchemars et facéties #13

Sur l’internet...

Cauchemardos - paru dans lundimatin#43, le 11 janvier 2016

Cette semaine, un chouineur, la ZAD, les bobos, le roitelet, les terroristes, un SDF, la ZAD, encore.

Anti-ZAD

Comme vous le savez, une énorme manifestation de soutien à la construction de l’aéroport de Notre-dame-des-landes s’est tenue ce week-end à Nantes :

Moulins

On vous avait déjà parlé, dans C&F, de François Molins, procureur chouineur de Paris, qui ne cesse de se plaindre du chiffrement des portables et insiste sur l’impossibilité technique pour la police d’accéder aux données des « téléphones cryptés ».

Il a remis ça, sur France Inter, le 8 janvier. Ce qui a donné un article (intéressant) dans le Monde.

« Tous les smartphones qu’on essaie aujourd’hui d’exploiter sont verrouillés et cryptés (…) toutes les communications passées par les terroristes sont passées à l’aide de logiciel de cryptage », a expliqué M. Molins, qui a cependant tu les noms des principaux logiciels utilisés.

« Les évolutions technologiques et les politiques de commercialisation d’un certain nombre d’opérateurs font que si la personne ne veut pas donner le code d’accès on ne peut plus rentrer dans les téléphones », a souligné M. Molins.

Il fait ici référence au fait que les dernières versions d’iOS et d’Android permettent de chiffrer simplement les données stockées sur un téléphone. Cette opération ne demande aucune connaissance technique particulière (si ce n’est, nous y reviendrons, de savoir distinguer les données stockées directement sur le téléphone, de celles sauvegardées sur le « cloud »).

« Les téléphones de dernière génération disposent de codes verrous très compliqués à casser ou contourner », expliquait au Monde le service central de l’informatique et des traces technologiques de la police judiciaire (SCITT). [...] « Les solutions utilisées ne sont pas pérennes, dans la mesure où elles sont basées sur l’exploitation de failles logicielles, le plus souvent corrigées lors des mises à jour. »

En 2014, sur 141 téléphones analysés par le SCITT, six n’ont pu être explorés. Quant à 2015, « huit smartphones n’ont pas pu être pénétrés dans des affaires de terrorisme ou de crime organisé », a détaillé M. Molins.

On se dit alors que la Police Judiciaire a peut-être des moyens limités par rapport aux « experts » du renseignement. La PJ peut d’ailleurs solliciter l’aide de la DGSI. Mais...

Le centre technique d’assistance du service de renseignement répond dans un délai moyen de trois mois, et sans garantie de succès. De toute façon, reconnaît une source à la DCPJ, « cette possibilité semble ignorée par de nombreux services ». Les policiers peuvent aussi, éventuellement, se tourner vers les fabricants, dont certains, comme Apple, acceptent désormais, « dans le cadre d’une urgence vitale », de communiquer les données stockées dans le « cloud ».

En effet, il est très facile d’activer la fonction « cryptage » d’un appareil fonctionnant sous Android (ou iOs), mais c’est vain si on l’a couplé à un compte Google+ qui sauvegarde (sur les serveurs de Google, donc possiblement accessibles à la police) documents, contacts, photos, calendrier, etc.

Autre exemple : le nouveau Windows 10 (sur PC) chiffre automatiquement votre disque dur à l’installation. Pratique. Pour autant Microsoft conserve automatiquement une copie de la clé permettant d’accéder au contenu du disque. The intercept explique tout cela ici tout en livrant une méthode pour ne pas laisser Microsoft récupérer cette clé. (Ce qui n’offre aucune garantie de sécurité, puisque l’on parle ici de Windows !)

Pro-ZAD

Folies

Anne Steiner, maître de conférences en sociologie à Paris Ouest Nanterre, est l’auteure de Belleville Cafés, publié aux éditions de L’Échappée. Interviewée par Vice, elle s’en prend au discours classique et critique sur la gentrification et ses auteurs présumés : les bobos.

Le souci, lorsqu’on déplore la gentrification, c’est qu’on se trompe de cible : on ne tape jamais sur les gens du 8e ou du 6e qu’on trouve très légitimes à vivre dans ces quartiers là ! La véritable bourgeoisie [...] vit dans l’entre-soi, et on ne lui reproche rien.[...] En revanche, on reproche à des jeunes diplômés qui gagnent 1500 euros par mois et qui se contentent de toutes petites surfaces, d’habiter ces quartiers de l’Est parisien. Eux sont considérés comme illégitimes sur des territoires dont ils priveraient le peuple ! Et bien, il faut accepter l’idée que le peuple c’est aussi cette jeunesse qui enchaîne les CDD, les stages, les statuts d’intermittents.

Je me demande comment ces gens qui pourfendent la gentrification au nom d’un certain peuple rêvent Paris.Ces universitaires ou journalistes qui pourfendent la gentrification ont une espèce de nostalgie d’un Belleville fantasmé avec ses tailleurs, ses gars du cuir, ses bottiers, ses petits métallos, nostalgie d’un peuple qui ne reviendra pas, car le peuple est par essence en perpétuelle évolution. [...] Les autres sont d’affreux « bobos ».

Aujourd’hui en France, la plupart de ceux qu’on appelle ’’bobos’’ sont loin d’être fortunés, c’est pour ça qu’ils fréquentent des cafés comme Les Folies d’ailleurs, parce que la pinte y est moins chère qu’ailleurs ! C’est un mot fourre-tout qu’utilisent aussi bien les militants du FN que du NPA, donc un terme dont il conviendrait de se méfier, quand même ! Ce sont ces soi-disant « bobos » qu’on tient pour responsables de la perte d’une identité populaire dans les quartiers de l’Est parisien. Mais pourquoi donc n’auraient-ils pas droit de cité dans ces quartiers ? Où doivent aller les jeunes qui sont pourvus d’un capital culturel et n’ont pas d’argent ? Devraient-ils partir pour quelque lointaine banlieue ? On finirait par le leur reprocher aussi. Ils font le choix de se priver de plus de la moitié de leur revenu pour vivre dans quelques mètres carrés à Paris et ça les regarde !

On leur reproche généralement, à ces bobos, de contribuer tout bêtement à l’augmentation des loyers et donc à la fuite des plus pauvres vers de toujours plus lointaines banlieues. Mais pourquoi échouent-ils dans l’est parisien ?

C’est la spéculation immobilière qui fait que les quartiers deviennent plus chers. Comme on ne peut plus acheter ou louer à prix raisonnable dans certains arrondissements, les gens se déplacent vers les anciens quartiers populaires. Ces quartiers deviennent alors plus jeunes, leur particularité est d’avoir une rue plus vivante, ce qui les rend de plus en plus attractifs pour une certaine jeunesse.

Question subsidiaire : est-ce que la gentrification participe de la mixité sociale ? Ou au contraire contribue à la relégation des pauvres ?

La véritable mixité sociale, au sens de mélange des classes, n’existe pas et n’a pas de raisons d’exister. Il y a des barrières entre les classes. Et de la haine éventuellement ! [...]Ça n’a jamais existé les quartiers où bourgeois et ouvriers vivaient en parfaite harmonie, c’est un mythe. Il y a 50 ans, les bourgeois ne se risquaient guère dans les quartiers populaires, et un ouvrier ne se promenait pas, nez au vent, dans un quartier bourgeois ! Et personne n’évoquait un mièvre « vivre ensemble » !

Après nous avoir perdu dans un affrontement catégoriel (peuple, classe, race), elle finit par cette petite note d’espoir (dont on ne comprend plus très bien à qui elle est adressée, mais qu’importe) :

Il faut que [la jeunesse de Belleville] se politise, et qu’elle se batte, qu’elle ne se trompe pas de cible ! Qu’elle ne se laisse pas culpabiliser ! Qu’elle fasse peuple, précisément !

ZAD, suite...

Retailleau

A peine intronisé, le nouveau président de la région Pays de la loire, est déjà surnommé « petit roitelet » dans les couloirs de l’Hôtel de région. Cela doit être du à sa capacité à se voir plus puissant qu’il ne l’est.

Ainsi, quand, après le blocage du périph de Nantes par les soutiens de la ZAD, il annonce qu’il va prendre des « mesures fortes » pour accélérer l’évacuation des lieux :

Pour ma part, Je n’accepterai pas que la région des Pays de la Loire reste la vitrine de l’impuissance publique. Je vais me battre pour le retour de l’ordre autour de Notre Dame des Landes, en faisant de l’évacuation de Notre Dame des Landes une grande cause régionale. Car Notre Dame des Landes dépasse de très loin l’enjeu d’un aéroport. Ce qui est en jeu à Notre Dame des Landes, c’est l’autorité de l’Etat et les infrastructures dont nos entreprises ont besoin pour créer des emplois.

La veille, il avait radoté dans un hebdo de vieux :

Les recours judiciaires des opposants ont tous été rejetés. Les zadistes occupent toujours le terrain. Faudra-t-il utiliser la force pour lancer le chantier ?

Oui, il faudra utiliser la force. Malheureusement. J’aurais préféré que seule la force du droit suffise, mais les zadistes n’ont que faire du droit et de la démocratie. C’est une minorité bornée, bruyante et ultra-violente. Ils agissent impunément. Ils détruisent des voitures de gendarmerie et pillent. Les riverains de Notre-Dame-des-Landes n’en peuvent plus. Ils sont victimes de vols, de rackets et de menaces et craignent un nouvel affrontement entre forces de l’ordre et zadistes qui serait encore plus violent qu’en 2012. S’il n’y a pas d’évacuation, aucune entreprise n’acceptera de démarrer les travaux.

On peut plus sûrement prédire l’avenir dans le marc de café que dans les propos de Retailleau, mais notons tout de même ceci (pour ceux et celles qui n’auraient pas compris, après ce week-end, que la défense de la ZAD commence maintenant) :

Manuel Valls m’a confié avoir regretté d’avoir dû interrompre l’opération César en 2012 (l’évacuation des zadistes par les forces de l’ordre, NDLR). Nous avons assez attendu. Je l’ai dit et je le redis : au-delà du printemps 2016, il sera trop tard.

Police

ZAD

Scélérats

Ce brave Léon Blum n’aimait pas trop les lois d’exception, lui. Il écrivait ainsi, anonymement, à propos des lois antiterroristes (antianarchistes) de 1893-94 :

Telle est l’histoire des lois scélérates : il faut bien leur donner ce nom, c’est celui qu’elles garderont dans l’histoire. Elles sont vraiment les lois scélérates de la République. J’ai voulu montrer non seulement qu’elles étaient atroces, ce que tout le monde sait, mais ce que l’on sait moins, avec quelle précipitation inouïe, ou quelle incohérence absurde, ou quelle passivité honteuse elles avaient été votées.

Dans ce résumé trop bref, j’aurais voulu apporter encore plus de sécheresse. Les faits suffisent ; ils sont plus éloquents que toutes les indignations. Je m’excuse donc s’il m’est arrivé quelquefois de les énerver par mon commentaire. Mais je n’ai pu chasser de ma mémoire ces matins de juillet 1894, où dans les journaux, dans l’Officiel, nous cherchions avec angoisse si la Chambre avait osé aller jusqu’au bout, si elle n’avait pas eu, tout d’un coup, l’écoeurement de son ouvrage, si elle n’avait pas retrouvé devant quelque absurdité trop énorme ou quelle atrocité trop sauvage, cinq minutes de conscience et de courage. Quelle fièvre ! J’ai des haines et des amitiés silencieuses qui datent de ces jours-là.

Tout le monde avoue que de telles lois n’auraient jamais dû être nos lois, les lois d’une nation républicaine, d’une nation civilisée, d’une nation probe, Elles suent la tyrannie, la barbarie et le mensonge. Tout le monde le sait, tout le monde le reconnaît ; ceux qui l’ont votée l’avouaient eux-mêmes. Combien de temps vont-elles rester encore dans nos Codes ?

On sait à qui nous les devons. Je m’inquiète pas d’un Lasserre ou d’un Flandin sans importance. Ils ont déjà disparu. Mais les ministres qui les ont conçues, qui ont profité d’un moment d’horreur et d’affolement pour les imposer, qui ont fait subir jusqu’au bout à une Chambre obéissante leur menace sous condition ?
[...]
Est-ce que, s’il reste des républicains dans la République, ces hommes-là ne devraient pas toujours rester marqués, flétris, honnis. ? Mais nous n’avons plus la vigueur des grandes haines ; nous pardonnons, nous oublions.

ZAD

Scélérats (bis)

Avant le 13 novembre, l’état d’urgence, la déchéance de nationalité, une petite loi avait été votée, une petite loi de rien du tout, relative au renseignement.

Le gouvernement a publié le 31 décembre au JO, l’un des derniers décrets à cette loi. Il donne naissance au fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions terroristes (FIJAIT).

Ce fichier va enregistrer les données des personnes ayant fait l’objet d’une condamnation pour terrorisme (ou d’une interdiction de sortie du territoire).

En pratique, il se présente comme « une application web adossée à une base de données. Il est hébergé au sein du site du casier judiciaire national ».

L’inscription dans ce fichier pourra être ordonnée par le juge dès la mise en examen d’une personne. On y trouve : Nom, prénom, sexe, date et lieu de naissance de la personne, sa ou ses nationalités, ses adresses successives, ses déplacements transfrontaliers, la décision ayant donné lieu à l’enregistrement, la nature des infractions, etc.

Surtout, l’inscription dans le FIJAIT oblige la personne concernée à justifier de son adresse, déclarer ses changements d’adresse, mais aussi tout déplacement à l’étranger. Cette obligation court durant dix ans (cinq ans pour les mineurs) et toute défaillance est punie de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 € d’amende. Les données sont concervées jusqu’à 20 ans.

L’accès à ce fichier est ouvert à une ribambelle de personnes : les autorités judiciaires, les officiers de police judiciaire et aux greffes pénitentiaires habilités, les services du renseignement, des services administratifs, etc. Même les maires et les présidents des collectivités territoriales sont destinataires de certaines informations pour leurs décisions administratives de recrutement.

ZAD

Gaz

Calais, la « jungle », 5 et 6 janvier.

On aperçoit des averses d’étincelles quand les grenades touchent les toits des cabanes. Certaines grenades sont envoyées à tir tendu (voir à 6’55’’). Dans ces cabanes, il y a aussi des gens qui dorment, des femmes et des enfants, surtout dans la zone la plus proche de la rocade, où se trouvent de nombreuses familles kurdes d’Irak.« En ce moment, c’est toutes les nuits », raconte Mehdi, un Iranien qui ne participe pas aux heurts. « Tout le monde mange du gaz. Les calmes et les énervés. Les familles qui n’ont rien demandé à personne, comme les autres ». Il estime à une centaine le nombre de grenades jetées chaque nuit. On avait rencontré ces familles en novembre, dans le carré des Kurdes. Elles racontaient comment des tentes avaient pris feu à cause des grenades. Une femme expliquait que son fils de 4 ans respirait avec difficulté à cause des gaz.

Dynamique

Le Cinaxe, la salle de cinéma dynamique de la Cité des sciences (en somme une salle de cinéma qui bouge) (par exemple, si l’on projette un film qui se passe dans un vaisseau spatial et que celui-ci tarverse, disons, une ceinture d’astéroïdes, la salle est amenée à trembler, voyez-vous ?) a fermé, en 2011...

Et elle est désormais squattée.

À terme, en plus des ateliers pour les artistes, il y aura un espace de co-working avec des discussions littéraires, de l’éducation populaire, une bibliothèque, des découvertes de la cuisine végétarienne, un jardin d’agriculture hors-sol, des ateliers participatifs …

Que l’on aime ou non le « co-working » ou les ateliers-découverte, on doit admettre que ça fait envie de squatter une salle de cinéma dynamique.

...

À Prague, l’association Wifi4Life a équipé un premier SDF avec un routeur Wi-Fi mobile, pour fournir de l’accès à internet aux habitants et aux touristes. [...] En échange, celui-ci reçoit de la nourriture, de la boisson (sans alcool), un toit, des vêtements, et 5 euros d’argent de poche.

« S’ils prouvent qu’ils peuvent respecter des horaires, se réveiller, rester sobres, et travailler 8 heures par jour, notre projet leur fournira la valeur d’une recommandation pour leur employeur potentiel »

« Nous avons choisi des SDF parce qu’ils sont déjà dans la rue et que la plupart du temps ils n’ont rien à faire. Et nous voulons qu’ils commencent à travailler »

Pour finir :

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