Cauchemars et facéties - voiture de police

« L’idée était d’identifier ceux qu’on pouvait et de les interpeller pour essayer d’identifier les auteurs eux-mêmes. »

Cauchemardos - paru dans lundimatin#62, le 28 mai 2016

Un rassemblement de quelques centaines de policiers qui prennent des selfies à la chaîne avec des élus FN. Un rassemblement contre les violences policières qui est interdit, repoussé dans une rue, qui se transforme en manifestation, qui trouve une voiture de police sur son chemin. Une vidéo, vue un million de fois.

L’occasion fait le larron. Depuis le début du mouvement contre la loi travail le gouvernement ne sait que faire face aux cortèges de « non-affiliés » qui ont pris la tête des manifestations à Paris mais aussi à Rennes, Nantes, Lille, Lyon, etc. Nous étions ainsi revenus sur l’évolution des dispositifs de maintien de l’ordre, sur les tentatives de « nasse » ...et leurs échecs.

Le ministère de l’intérieur a donc dégainé les interdictions de manifester. Manque de pot, elles étaient fondées (comme les assignations à résidence lors de la COP21) sur des notes blanches des services de renseignement, c’est-à-dire sur du vent ou des mensonges. Les agents des renseignements prétendaient avoir « vu » certaines personnes lors de précédentes manifestations contre la loi travail. Ces personnes ont pu prouver, simplement, qu’elles n’y étaient pas. Des interdictions ont donc été, tout aussi simplement, « cassées » par le tribunal administratif. Quel affront - pour le gouvernement (mais à la limite il n’est plus à ça près) ; mais surtout pour les agents du renseignement. Imaginez : le Ministère de l’Intérieur leur demande (vite, vite !) des listes de manifestants à neutraliser préventivement et ils racontent n’importe quoi…

Alors, il fallait insister. Pour le Ministère de l’Intérieur cela voulait dire, au prochain incident faire bonne figure et faire arrêter des gens, coûte que coûte. Pour la DGSI cela voulait dire prouver que leurs « renseignements » étaient fondés ; que tout cela était la faute de juges trop pointilleux, mais qu’au fond, eux, ils avaient raison. Aussi, quand le ministère réclame des têtes à la suite de cette voiture brûlée il ne faut que quelques heures aux agents du renseignement pour fournir de nouvelles listes de personnes à arrêter fissa. Attendez, « nouvelles » ? Non, justement, puisque souvenez-vous, ils avaient raison, dès le départ. Ca se tente. Coup de poker.

Un article du Monde, qui annonce la probable mise en examen de 4 personnes (une personne a été libérée sans charges) demain matin nous dit ainsi :

Leur implication dans l’incendie du véhicule n’est toutefois pas établie, a précisé au Monde une source au Ministère de l’Intérieur :
« Ils étaient déjà connus par les services. Ce qui est à peu près certain, c’est qu’ils étaient sur place [mercredi]. L’idée était d’identifier ceux qu’on pouvait et de les interpeller pour essayer d’identifier les auteurs eux-mêmes. »
Ce dont ils sont accusés sera communiqué samedi matin, a ajouté cette même source. Rien ne dit pour l’heure qu’ils aient participé à l’attaque de la voiture à bord de laquelle se trouvaient deux policiers quand un objet ressemblant à un fumigène a été jeté à l’intérieur.

Implication pas établie, « à peu près certain » qu’ils étaient à la manifestation, « rien ne dit » qu’ils aient attaqué la police, et surtout (on le réécrit) « L’idée était d’identifier ceux qu’on pouvait et de les interpeller pour essayer d’identifier les auteurs eux-mêmes. » Coup de filet.

Le problème est qu’il est probable que vérifier l’implication de ces personnes dans cet événement va prendre du temps, ce qui signifie une mise en examen et une possible détention provisoire. On ne va pas dédire les services de renseignements si vite. On a assez roulé des mécaniques sur la réponse « implacable » face à l’acte « barbare » (brûler une voiture de police). Face à ceux « qui veulent tuer un policier » dixit M. Valls.

Mais pourquoi ces 4 personnes se retrouvent dans cette situation ? Et pas les quelques 300 participants au rendez-vous contre les violences policières ? Parce que le pouvoir discrétionnaire démentiel des services de renseignement en France…

Avant de savoir ce que décidera le juge demain matin, résumé via quelques extraits de presse.

L’AFP, le 19 mai nous apprend que « les cinq personnes en garde à vue ont été identifiées grâce à des « renseignements » ». Mais, « les investigations confiées au 2e district de la police judiciaire (DPJ) parisienne devront établir leur participation à ces violents incidents et leur rôle exact , a expliqué à l’AFP une source proche de l’enquête. Des images de vidéosurveillance devaient être exploitées. »

Le 20 mai, iTélé nous apprend que les gardés à vue ont « entre 19 ans et 32 ans ». Qu’ils « sont connus des services de police et sont décrits comme appartenant à la mouvance contestataire radicale, dixit le jargon des services de renseignement ».

Mais des « renseignements », iTélé en a aussi ; et non des moindres :

Selon nos informations, les cinq gardés à vues, soupçonnés d’avoir attaqué et incendié mercredi 18 mai à Paris une voiture de police dans laquelle circulaient deux agents, sont des activistes issus de deux mouvances différentes : les Anarchos-Autonomes et le groupe Action Anti-Fasciste Paris-Banlieue (AFA), une structure autonome d’ultra gauche.

Malheureusement la chaîne ne prend pas le temps de nous expliquer la différence entre « Anarchos-Autonomes » et « structure autonome d’ultra-gauche ». iTélé confirme le rôle des services de renseignement dans ces arrestations (une « note des Renseignements de la Direction de la préfecture de Police (DRPP) » aurait permis leur interpellation. Enfin :

Des perquisitions ont eu lieu et ont permis de découvrir des équipements anti-manifestation, comme des casques.

On appréciera de découvrir qu’un casque est un « équipement anti-manifestation ». Les photoreporters et le service d’ordre de la CGT aussi. Mais iTélé a encore des choses à nous apprendre :

Ces activistes présumés ont été remarqués à plusieurs manifestations du 9 mars au 26 avril, en marge desquelles ont eu lieu de nombreuses dégradations et de violents affrontements. Ils ont également participé à des rassemblements interdits.

Qu’est-ce qui établit selon iTélé leur présence à des « rassemblements interdits » ? La note blanche qui a servi à interdire de manifestation l’un des gardés à vue.

Dans ce document, le préfet relevait que l’activiste présumé avait participé à deux rassemblements interdits et était « soupçonné d’avoir participé à l’agression d’un militaire, hors service, engagé dans l’opération Sentinelle dans la capitale ».

Sauf que justement, ces accusations ont non seulement été démenties par l’intéressé, mais ont été jugées non fondées par le tribunal administratif, la préfecture n’ayant jamais pu en fournir la preuve.

iTélé révèle par ailleurs le prénom et l’initiale du nom de ce gardé à vue, et prétend qu’il serait « fils de bonne famille, domicilié dans le quartier de Montparnasse et travaillant à Issy-les-Moulineaux ». Ces pseudos informations serviront le discours de militants d’extrême droite (identitaires, royalistes, et membres du FN), qui finiront par exhumer sur les réseaux sociaux sa photo, ainsi que son nom de famille. Ils cherchent désormais son adresse, afin de « le choper ».

Pour BFM, le 20 mai, les gardés à vue sont « sans emploi » et « quatre d’entre eux sont déjà connus des services de police pour des faits de violence ». Des informations qui seront contredites plus tard. (Il n’est pas déshonorant d’être « sans emploi » ; mais pour BFM c’est visiblement une circonstance aggravante).

BFM a une petite idée de comment ils se sont retrouvés dans le collimateur de la police :

« Surveillés lors des manifestations par les forces de l’ordre, ces membres d’organisations d’extrême-gauche ont été repérés grâce à leur vêtements noirs, la capuche sur la tête, le visage masqué et portant un sac à dos. »

Le Parisien relaie le discours d’un enquêteur, qui là encore admet que les gardés à vue ont été arrêtés sans que la police ait la moindre certitude :

« La présence sur les lieux des quatre plus jeunes est certaine », confie une source proche de l’enquête, tout en invitant à la prudence quant au rôle précis de chacun. La suite de l’enquête dépendra notamment de la comparaison entre les vêtements découverts lors des perquisitions aux domiciles des suspects avec les effets portés par les agresseurs.

La police technique et scientifique a, pour sa part, été mise à contribution pour relever des empreintes sur des plots en fer et une pancarte en carton retrouvée à terre à côté de la carcasse calcinée : « Poulets rôtis, prix libre. » Enfin, les vidéos mises en ligne sur les réseaux sociaux sont décortiquées image par image.

Finissons avec un feu d’artifice signé France Info : « issus de familles aisées », « kit du manifestant prêt à en découdre » :

Des jeunes issus de familles aisées, connus des services de police, ils étaient suivis depuis plusieurs mois par les services de renseignements de la préfecture de police de Paris. Tous appartiennent à la mouvance "antifa", et plus précisément au collectif Action antifascite (sic)(NDR : à quand le « black bok antifascite ») Paris- banlieue.

La perquisition à leur domicile a permis de retrouver ce qui ressemble au kit du manifestant prêt à en découdre : masque à gaz, poing américain, casque de protection, protège-tibia et des tracts anti-fascites.

Enfin, pour France info les 4 gardés à vue sont simplement soupçonnés d’avoir agressé les policiers à l’intérieur de la voiture. Car pour le reste ils semblent déjà coupables :

Mercredi, avant de mettre le feu à une voiture de police, dans le 10e arrondissement de Paris, les quatre hommes sont souçonnés d’avoir agressé les deux agents qui se trouvaient à l’intérieur.
Ils ont ensuite lancé un fumigène qui a enflammé le véhicule, la scène a été filmée et visionnée des millions de fois sur Internet.

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