Cauchemars et facéties - spécial 24 mars

Retour en extraits sur la journée de mobilisation contre la Loi Travail du 24 mars.

paru dans lundimatin#54, le 30 mars 2016

Pour la troisième semaine consécutive, nous avons essayé de rassembler quelques récits de manifestations, blocages et occupations qui ont eu lieu ce jeudi. Vous avec certainement déjà lu beaucoup de témoignages, vu beaucoup de vidéos, mais en prévision de la semaine qui s’annonce il est toujours bon de se rafraîchir la mémoire.

# Nantes - larcins de la bac ; frites à la fac

On peut trouver un récit de la journée du 24 mars à Nantes chez Nantes Révoltée. Nous nous permettons d’en reproduire la plus grande partie ici.

Blocage de l’université

Dès l’aube, une centaine d’étudiants s’affaire à bloquer le campus de la fac de Nantes. Plusieurs salles de classe sont déménagées, d’importantes barricades de chaises, de tables et de mobilier divers bloquent les entrées des bâtiments du campus – à l’exception de la fac de droit. Un feu est allumé, le piquet de grève rassemblera de nombreux étudiants et lycéens jusqu’à la manifestation. Le président de l’université finira par fermer administrativement l’université de Lettres et Sciences Humaines pour la journée.

Blocages de lycées

Pendant ce temps, de nombreux lycées nantais sont à nouveau bloqués. Les lycéens ont décidé de converger vers le centre ville en perturbant au maximum les flux de circulation, depuis Bellevue – à l’ouest – et depuis le sud de Nantes. Habile. Au nord, des affrontements éclatent à nouveau devant les lycées Monge et Arago, où les flics chargent, gazent et tirent sur les lycéens. En lisière de la fac, la police, suréquipée, bloque les accès et fait des contrôles au faciès. Avant même le début de la manifestation, pas moins de 7 lycéens sont déjà en garde-à-vue. Des dizaines d’autres viendront se réfugier autour des piquets de grève de la fac.

Défilé : les jeunes prennent la tête ; la CGT scinde le cortège ; la manif dure une heure à peine ; un cortège repart.

Parti de la fac, le cortège lycéen et étudiant arrive à 11 heure précise au point de rendez-vous de la manif syndicale. Le défilé a déjà démarré, en avance, pour permettre à la CGT et ses bataillons de drapeaux d’ouvrir le bal devant les jeunes. Comme d’habitude, l’ordre de la manifestation est rapidement chamboulé. La CGT se vengera en ralentissant soudainement son cortège, créant de facto deux manifestations distinctes.

Alors que des gendarmes reçoivent un peu de peinture, et que le cortège défile depuis 10 minutes à peine, une double charge éclair, violente, de la BAC et de policiers en armure prend en étau les manifestants et casse la manif en deux. L’objectif des flics : arracher deux chariots remplis de matériel défensif : boucliers, casques, banderole renforcée, amenés suite aux violences policières de la semaine dernière. Il faudra donc continuer à défiler sans aucun moyen de protection face à la violence d’État. On compte déjà plusieurs blessés, dont un lycéen qui saigne du visage et des manifestantes choquées après avoir été frappées. Deux personnes supplémentaires sont arrêtées. Au bout d’une heure à peine, et au terme d’un bien morne défilé, la manifestation syndicale échoue mollement au niveau de l’arrêt Commerce. On apprend qu’un autre morceau du défilé a carrément stoppé sa marche manif au bout d’un quart d’heure. Un nouveau cortège, essentiellement jeune et déterminé, se forme et repart. Il n’est encore que midi.

La manif assiège le commissariat

Visiblement, la tête de manif veut de nouveau aller vers le commissariat en empruntant les bords de l’Erdre, mais une pluie de grenades accueille les manifestants Cours Saint Pierre. La police charge. Un manifestant resté en arrière pour soigner des lycéennes est tabassé, il saigne abondamment du visage. Il sera embarqué. Alors qu’une vidéo scandaleuse d’un lycéen parisien frappé par un lâche en uniforme tourne en boucle dans les médias, ce sont des dizaines d’images de ce type que nous portons gravés dans nos mémoires ce 24 mars.

Une ligne de véhicules de flics est caillassée. Le cortège est coupé, puis ressoudé, et repart vers Bouffay, ou des banques sont esquintées. Un repli commun vers la fac et les quartiers nord, tous ensemble, semble se dessiner, d’autant plus que la ZAD a invité les lycéens et tout ceux qui veulent à venir manger des crêpes [ou des frites ?] à l’amphi occupé. La tension retombe un peu.

Arrivé pont de la Motte Rouge, juste en face du commissariat central ou sont enfermés les arrêtés de la matinée : encore un dispositif policier délirant. Sans qu’il n’y ait le moindre geste de la part des manifestants, une balle en caoutchouc vient rebondir sur le corps d’un lycéen et roule devant les premiers rangs. Ce sera le début d’une bataille rangée face au commissariat pendant une partie de l’après midi. Des voitures sont mises en travers de la route et de la voie de tram, une barricade est enflammée, la voie est dépavée. Des centaines de personnes se tiennent, résistent au gaz et aux charges. Beaucoup de très jeunes ont compris qu’il fallait s’équiper de protections pour les yeux et le visage.

Plus haut, des civils de la BAC attaquent le cortège en traitre depuis une petite rue, et trainent au sol deux manifestants en jetant des grenades à effet de souffle dans la foule. Ils reçoivent une pluie de projectiles et ripostent de plus belle. Une fusée de détresse les fera rentrer chez eux. L’ambiance est électrique, à mi-chemin entre une émeute lycéenne et une révolte de quartier.

A nouveaux deux cortèges sont séparés. Ils se ressoudent au niveau du rond point de Michelet, lui aussi dépavé. Une voiture de flic doit partir de trombe, coursée par les manifestants les plus audacieux. Plus loin, l’énorme cohorte policière suit le cortège qui remonte vers les facs. Les barricades installées en chemin, sur les ronds points et le tram sont éphémères. Nantes, qui fait partie des villes de France les plus mobilisées, s’apprête cependant à payer un lourd tribut pour sa résistance.

La police assiège la fac

Après le siège du commissariat par les manifestants, le siège de l’université par la police. Une détonation sourde puis un bruit d’éclat de verre. La vitre de l’arrêt de tram « facultés » est brisée par un tir policier. Les flics viennent d’envoyer une grenade lacrymogène en tir tendu, à hauteur de tête, sur des gamins protégés derrière l’aubette. Toute l’après-midi sera sur le même ton : la police de Nantes se venge, et fait le siège de l’université. Des centaines de grenades lacrymogènes sont tirées, en flux presque continu autour de la fac toute l’après-midi. L’odeur acre du gaz se répand jusque dans l’amphithéâtre occupé, ou l’on discute avec des occupants de la ZAD de Notre-Dame-des-Landes. Pendant que des centaines de crêpes sont fabriquées et distribuées, et que des images d’affrontement du mouvement anti-CIP de 1986 sont projetées dans l’amphi, d’autres tiennent tête à des centaines de policiers, de gendarmes, et à la BAC de Nantes au grand complet. Légalement, la police n’a pas le droit d’entrer sur le campus, elle ceinturera donc la zone jusqu’à 17 heure, sans manquer de lancer ses policiers en civils cogner et interpeler en « zone interdite ». Le bilan est désormais de 19 arrêtés. [un jeune de 19 ans a d’ailleurs été condamné à 2 mois de prison ferme et placé en mandat de dépôt pour avoir simplement « manifesté »]

La pression est encore montée d’un cran ce 24 mars, dans les rues de Nantes. Plus de monde, plus de détermination, et malheureusement, plus de répression. Mais ce qui s’est vécu nous soude. Le 31 mars, nous seront des millions en France, et des dizaines de milliers dans les rues de Nantes. Il faudra garder la rue pour faire reculer le gouvernement. Nous serons ensemble, dans notre diversité, et il faudra nous protéger collectivement pour que le mouvement dure le plus longtemps possible.
Donnons nous les moyens de faire vivre la révolte ! Pour un printemps de lutte !

# RENNES - les crocos se font la malle

Les étudiants rennais avaient eu la bonne idée de faire une première journée d’action le mardi 22, lors de laquelle ils avaient notamment bloqué une voie de chemin de fer. Le 24, la journée a été animée, comme le rapporte France 3.

Alors que des centaines de lycéens et d’étudiants ont défilé au pas de charge dans la matinée, la manifestation a pris une tournure plus diffuse par la suite, le tout dans un climat tendu face aux forces de l’ordre. Les manifestants étaient estimés par la préfecture à 2 400 dont 1 600 collégiens. En marge du cortège principal, des échauffourées ont éclaté. Les CRS ont fait usage de gaz lacrymogène pour disperser les manifestants. Des vitrines de magasins ont été taguées et un magasin pillé par des jeunes. Après avoir défilé 3/4 d’heure, le cortège se retrouve vers la place de la mairie où les forces de l’ordre sont présentes en nombre, ce qui donne lieu à un face à face tendu. Des centaines de manifestants font un sit-in face aux CRS qui protègent l’hôtel de ville. La tension est toujours aussi palpable avec des pétards et des fumigènes.

# LYON - replay


Un lecteur de lundimatin nous a envoyé un récit de la manifestation du 24 mars à Lyon, que nous reproduisons tel quel.

Troisième journée de mobilisation et deuxième jeudi de manifestation. Rendez-vous place Bellecour (comme d’hab) à 13h. Pas de dépaysement donc, que du connu. Et j’apprends en plus que la manif fera le même parcours que celle du 9 mars, c’est-à-dire, pour ceux qui auraient raté les précédents épisodes, descente des quais du Rhône jusqu’à Perrache puis traversée du fleuve pour remonter tout droit jusqu’à la place Guichard. Bon, après tout, on passera pas très loin de la permanence du PS…

Je me positionne dans le cortège étudiant qui s’est lui-même positionné, naturellement, en tête de la manifestation. Peu de lycéens (les syndicats FIDL, UNL and co, probablement fatigués par le rythme soutenu du mouvement, une manif par semaine quand même, ont délibérément boudé la journée), malgré les nombreux tags appelant à bloquer les lycées. Quelques étudiants des Beaux-Arts distribuent des textes de lundimatin joliment mis en page. Pour le reste, les syndicats, leurs camions, leurs sonos, leurs drapeaux et leurs saucisses, s’apprêtent tranquillement à démarrer. Personne ne croit à cette journée, tout le monde semble se réserver pour la grande messe du 31, pour l’enterrement final de la mobilisation, ou son inévitable dépassement.

Je vous passe le déroulé de la manifestation, rien de particulier jusqu’à Jean Macé. Là les choses semblent s’accélérer, du moins du côté des forces de l’ordre, encore une fois présentes en nombre. Ils se posent de part et d’autre de la tête du cortège et ne nous lâcheront plus jusqu’à la fin. Ils s’imaginaient probablement que nous tenterons, une nouvelle fois, de nous rendre jusqu’au local du PS. Une telle tentative n’aura pas lieu, les rues y menant sont soigneusement bloquées par la police. Mais ce n’est que partie remise.

On finit tout de même par atteindre la place Guichard et là, une partie du cortège, environ une centaine de personnes, décide de ne pas s’arrêter et s’engouffre dans une rue. La manifestation durera plusieurs secondes et réussira même à parcourir jusqu’à 70 mètres avant de se retrouver bloquée par une ligne de flics. On rebrousse chemin et on prend une nouvelle rue, il nous faudra à peine 45 mètres pour se retrouver de nouveau bloqués par cette même ligne de flics. Face à tant d’insistance, on ne peut décemment pas refuser le combat.

On pousse derrière la banderole (on me dit qu’elle est « renforcée », les multiples couches de bâches et de moquettes la rendant résistante au tir de flashball), on échange des coups de pied contre des coups de matraques, on tient le choc, mais on nous avertit que d’autres flics tentent de nous prendre à revers et de nous coincer dans la rue. Pas fair-play les condés. On fait demi-tour, et on se retrouve sur cette satanée place Guichard. Quelques projectiles sont envoyés sur les gendarmes mobiles, puis la BAC charge la place arrêtant au hasard trois personnes et les libérant peu après. La place est cadenassée, une AG démarre, quelques personnes s’assoient devant les flics. Il est temps pour moi de me retirer. On me rattrape par la manche, c’est une des personnes de la banderole renforcée qui me glisse « bon, le 31, on lâche pas la rue, on occupe une place et on tient. Faut pas qu’on se laisse enterrer avec le mouvement ».

Ok, je prends note, rendez-vous donc le 31, pour une occupation de place.

# ROUEN - la CGT protège la police qui protège le PS


En marge de la manifestation qui a rassemblé près de 1 000 personnes, lycéens, étudiants et travailleurs syndiqués, ce jeudi à Rouen, quelques affrontements ont eu lieu avec les forces de l’ordre aux abords de la permanence du Parti socialiste, située rue de la République. Des pétards et divers projectiles ont été lancés sur la façade du bâtiment que protégeaient une poignée de policiers en tenue de maintien de l’ordre. Un des fonctionnaire de police a d’ailleurs été légèrement blessé à la jambe lors de l’explosion d’un pétard.

# GRENOBLE - omelette sur le PS

A Grenoble, « qu’est-ce qu’on se marre », selon France 3.

Environ 550 personnes se sont mobilisées vers 13h30, selon la police. Toutefois, des incidents ont opposé les forces de l’ordre à des manifestants anarchistes qui se sont joints au défilé avec une banderole qui n’avait rien à voir avec la « loi travail » mais ciblant l’Etat d’urgence. Régulièrement des tirs de projectiles partent du cortège à hauteur de Chavant. Les policiers répondent avec du gaz lacrymogène. 

Un peu plus tôt, des manifestants s’en étaient pris au siège du PS, lançant des oeufs contre une façade déjà tagguée dans la nuit ainsi que dimanche dernier. Réaction de la fédération de l’Isère du parti socialiste : « vandaliser un lieu est non seulement une entrave à la liberté d’expression, mais également totalement contre-productif dans le débat actuel sur la loi Travail. »

Le siège des Républicains a aussi été « baptisé ». « Ils auraient pu agir de façon responsable et citoyenne en demandant à être reçus par les responsables des Républicains », a regretté de son côté Thierry Kovacs, le président de la fédération, « au lieu de barbouiller une permanence du parti politique qui n’est en aucun cas à l’origine de leur mécontentement. »

Puis plusieurs dizaines de manifestants font un sit-in sur les rails du tramway, devant le cinéma. La circulation des trams sur les lignes A et C ainsi que le trafic routiers sont toujours paralysés.

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