Loos : L’oraison funèbre de Bayer-Monsanto

#LesSoulèvementsDeLaTerre

paru dans lundimatin#326, le 17 février 2022

La saison 2 des Soulèvements de la Terre touche à sa fin. Pour son épisode final, un ultimatum a été lancé contre l’entreprise Bayer-Monsanto, si son siège social n’a pas quitté la ville de Lyon d’ici le 5 mars, les manifestants l’assiègeront jusqu’à son départ. En attendant, un appel à une campagne d’actions décentralisées semble avoir été entendu. Ce samedi 12 février, 130 activistes se sont retrouvés à Loos pour bloquer l’accès à l’entreprise. Nous publions ci-dessous l’oraison funèbre qui a été lue sur place. [1]

Cher Bayer, cher Monsanto

Vous êtes arrivées dans ce monde en deux tristes jours de 1863 et 1901.

Dans vos familles respectives, vous avez très vite développés de bonnes relations avec vos cousins, les puissances étatiques. On vous disait serviables, toujours prêts à aider en cas de conflits, quitte à ce que cela devienne explosif. Si jeunes déjà, vous travailliez sans relâche à inventer le gaz moutarde ou les missiles du troisième Reich. Votre participation remarquée au plan Manhattan a quand à elle, laissé un souvenir ému aux habitants de Hiroshima et Nagasaki.

L’alchimie si particulière qui existait entre vos destins a fini par vous réunir.

En 2018, vous annonciez en grande pompe le mariage du Zyklon B et de l’Agent orange. À la sortie de l’église, les actionnaires vous lançaient des grains de riz transgéniques tandis que les juifs, les vietnamiens et les cancéreux, témoins par millions, assistèrent à vos noces depuis le ciel.

D’un naturel « touche à tout », vous avez mis votre génie au service de l’agriculture, afin d’assurer la noble tache qu’est de nourrir l’humanité. Dès les années 30, grâce à vous, les premiers insecticides firent leur apparition. Et puis les OGM. Ces super plantes, non reproductibles et dépendantes des engrais et des pesticides que vous vendez. Vos produits ont changé le destin de millions de producteurs de soja, de riz, de coton, en Inde, en Argentine ou au Brésil. Avec vous, il y en avait pour tout le monde, du nord au sud. Vous avez su donner sans compter. Pour sur, votre générosité vous perdra.

Votre dévouement s’est étendu à la faune et bien sûr à l’eau. Est-il encore nécessaire de mentionner vos prouesses en matière d’extermination des abeilles ? Des micro organismes du sol ? Grâce à votre génie en matière de pesticides et d’engrais de synthèse, le Commissariat général au Développement Durable évaluait le coût de dépollution des eaux à 1000 milliards d’euros, soit la moitié du PIB de la France. Alors vous, vous êtes dits que cela méritait bien 25 milliards de dollars de profit en 2020.

Ne vous inquiétez pas, ici en France, vous semblez appréciés. Le 30 juin 2021, comme un hommage, après avoir passé en revue 5300 études épidémiologiques, l’INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) présumait un lien fort entre l’exposition à vos pesticides et le cancer du lymphome, les myélomes, cancers de la moelle osseuse, le cancer de la prostate, les troubles cognitifs, la maladie de Parkinson, la bronchite chronique.

Mais ce monde est cruel.

Malgré tout ce que vous avez fait, la reconnaissance n’a pas toujours été au rendez-vous. En Suisse, le canton de Vaud vous réclame 34 millions de francs d’impôts que Monsanto n’avait pas payés dix ans durant. En 2016, le tribunal citoyen de la Haye jugea, Monsanto toujours, responsable de crimes contre les droits humains et l’environnement. En 2017, le Parlement Européen interdit l’accès du bâtiment au personnel de Monsanto, des suites d’un lobbying jugé trop agressif.
Malgré l’adversité, vous avez su rester combatifs. On accusa Bayer d’avoir, pour faire des économies, écoulé du sang contaminé et participé à la diffusion du virus du SIDA dans les années 70. Dans ce que la presse a appelé le « Fichier Monsanto » vous avez fiché plus de 200 personnalités pour appuyer le renouvellement du glyphosate. Vous avez tenté de nuire au centre International de Recherche sur le Cancer en exerçant des pressions, en soudoyant des chercheurs. Vous avez su nouer des amitiés syndicales avec la FNSEA, les Jeunes Agriculteurs, la grande distribution, mener des campagnes de propagande auprès des agriculteurs.

Hélas, les temps changent, le climat aussi, et toutes les mauvaises choses peuvent avoir une fin.

Votre responsabilité dans la catastrophe en cours n’est plus à démontrer, elle est maintenant à combattre. Les alternatives que vous tentiez de bloquer sont inéluctables. L’agriculture n’a pas besoin de la chimie, la chimie tue. Le seul moyen qui nous permettra, durablement, de tous nous nourrir est l’agroécologie, une méthode qui respecte les cycles naturels, les rotations, la vie du sol, l’eau, l’air, la biodiversité, c’est à dire les conditions élémentaires de notre survie sur terre.

Il est l’heure de faire pression pour interdire une bonne fois pour toute le glyphosate, dont l’autorisation sera discutée prochainement au parlement européen. Il est l’heure de protéger ce que vous n’avez pas encore détruit et de soigner ce qui peut l’être. Nos terres, nos rivières, nos camarades.

Il est venu l’heure de vous dire adieu, de vous dire bye bye Bayer, ciao Monsanto.

[1Lire aussi, dans l’édition de cette semaine, le récit d’une autre action décentralisée qui s’est tenue dans la Drôme.

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