Affaire Vincenzo Vecchi : la justice française face à elle-même

[Compte rendu d’audience]

paru dans lundimatin#372, le 27 février 2023

Pour la troisième fois consécutive, la justice française s’est penchée sur le sort de Vincenzo Vecchi. Doit-elle, comme le soutien le ministère public en faisant systématiquement appel des décisions favorables au militant, le livrer au gouvernement Meloni ? Peut-elle, depuis le droit français, l’exposer à dix années d’incarcération au nom d’une loi fasciste et alors qu’aucun fait positif ne permettrait de le condamner en France ? Compte rendu d’audience.

Nous étions nombreux ce 24 février sur les marches et dans la salle de la Cour d’Appel de Lyon, dans un quartier que les fascistes locaux considèrent comme leur fief, le Vieux Lyon. Un assemblage des fidèles du comité de soutien de Rochefort, des membres du comité éphémère de Lyon, et des camarades italiens venus en pullman comme ils disent. Tous et toutes en soutien à Vincenzo, contre les dernières vagues de la répression de Gênes 2001.

Plus de 20 ans après : l’assassinat de Carlo Giuliani, les blessés, les torturés de la caserne Bolzaneto, les torturés de l’école Diaz. Mais 20 ans aussi après les soulèvements de la rue, le déferlement sur Gênes de plusieurs centaines de milliers de personnes, les incendies et les affrontements, la tentative de mettre à bas leur monde à eux, Bush, Chirac, Berlusconi et compagnie.

Alors on en est où ? Aujourd’hui, ce même 24 février en Italie, le sort d’Alfredo Cospito est examiné devant la Cour Suprême. On apprendra le soir qu’il est scellé : Alfredo Cospito ne sortira pas du régime de torture des conditions d’incarcération du 41 bis. Autrement dit, la justice le met à mort.

Fascisme, justice, résistance. A la Cour d’Appel ce jour-là, il s’agit, pour la énième fois, de savoir si Vincenzo sera remis par la France aux autorités fascistes italiennes, qui l’ont condamné à 12 ans et demi de prison, grâce à la loi - fasciste - de ’saccage et dévastation’, entérinée sous le code Rocco, à l’époque mussolinienne. Enième hoquet putride de l’histoire.

Après avoir chipoté sur le nombre de soutiens qui pouvaient rentrer dans la salle, le président de séance, qui a des faux airs de Pat Hibulaire, entame la litanie du sinueux parcours judiciaire de Vincenzo. Arrêté en 2019 alors qu’il vit dans le Morbihan, Vincenzo est libéré par la Cour d’appel de Rennes, qui estime que la notification à son avocat italien n’ayant pas été faite, il existe une atteinte grave portée aux droits de la défense. Elle suspend donc le mandat d’arrêt européen (MAE) qui menace Vincenzo. Mais le procureur se pourvoit en cassation, et la décision de la Cour de Rennes est annulée. Nouveau cycle : Vincenzo se retrouve en novembre 2020 devant la Cour d’appel d’Angers, qui entend les arguments de ses avocats concernant la double incrimination : aucun équivalent à la loi ’saccage et dévastation’ n’existe en France, et c’est une des conditions d’exécution du MAE. Nouveau pourvoi en cassation du procureur qui renvoie la balle à la Cour de justice de l’UE. Cette dernière rend, le 14 juillet 2022, une interprétation de la situation en ce sens : sur la question de la double incrimination, nul besoin que les délits se correspondent exactement, et “dévastation et pillage” peut bien correspondre, à quelques années de condamnation près, à un vol en réunion avec violences.

Le juge le rappelle en préambule, la CJUE dit le droit et la France n’est pas tenue de s’y soustraire. Assurant d’emblée ses arrières, il nous raconte en creux qu’il ne décide pas grand chose et que ses mains sont liées, ou presque. Au cours de son monologue inaugural, il s’arrêtera tout de même sur la particularité de l’incrimination ’saccage et dévastation’ qui permet d’incriminer quelqu’un sans qu’il n’ait commis de fait positif : sa simple présence suffit. Une forme de complicité par soutien moral.

Et ça le chiffone quand même un peu notre Pat Hibulaire du jour. Qu’on puisse prendre si cher pour simplement avoir été là, alors que la complicité, en droit français, nécessite d’avoir participé d’une quelconque façon, ça reste dur à avaler “ça explique sans doute qu’il y ait tant de monde derrière vous” se risque t-il même avant d’enchaîner sur un autre enjeu important du procès, la détention. Il se permet à ce sujet une petite remarque badine, sur le fait que pour sa part, il considère que le karting est une activité sportive comme une autre. Uh Uh. Humour de juge.

Il rappelle la possibilité, éventuelle, pour Vincenzo d’exécuter sa peine en France, si l’Italie y consentait, si le procureur de Bari reconnaissait la peine et si le procureur de Vannes était d’accord. Ca l’arrangerait Pat, de ne pas trop avoir à prendre de décision clivante, de se dire, dans son for intérieur, qu’il a ménagé la chèvre et le chou, qu’il a rendu une décision équilibrée. Oui, il caresse du doigt cette idée ; finalement, ne serait-ce pas un bon compromis ? Parce que refuser de se conformer à un jugement de la CJUE, quand même...

Le procureur prend le relai. Il écorche le nom de Vincenzo, et parle bien bas, en ne s’adressant qu’à la Cour pour être sur que personne ne l’entende dans la salle ; bref, un procureur.

Il balaie d’un revers de main les possibilités de non execution du MAE en insistant sur la nécessaire coopération juridique entre deux pays membres avant de se transformer en VRP du système carcéral italien. Le régime de détention y est ’généreux’, les prisonniers très bien soignés ; aucune raison au fond de ne pas y envoyer Vincenzo croupir pendant plus d’une décennie. Quant aux conditions de détention liées au 41 bis, dont il fait mention au passage (pendant qu’on pense à Alfredo Cospito), Vincenzo n’y sera pas soumis.

Sans surprise, il requiert, avec toute la vigueur dont il est capable, la remise de Vincenzo aux autorités italiennes.

Les avocat.es de Vincenzo mobilisent 4 moyens de défense : la double incrimination, l’atteinte aux droits de la défense avec le fait que Vincenzo n’ait pu voir son avocat italien au cours de la procédure initiale, le risque de traitement inhumain et dégradant au vu des conditions de détention, et l’atteinte grave et disproportionnée à la vie privée et familiale. Catherine Glon s’emploiera à convaincre le juge qu’il doit se prononcer sur la nullité que constitue le non respect du droit constitutionnel d’être assisté par l’avocat de son choix. Elle signale en outre que la prescription est acquise au 13 juillet 2022, soit un jour avant l’arrêt de la CJUE, et que l’exécution d’une peine prescrite ne fonctionne pas.

Elle s’appuie aussi sur l’arrêt tout récent de la CJUE Puigdemont (oui, oui himself), pour insister sur le fait que seul le juge national, en tant que juge du fond, est libre d’apprécier la pertinence de l’interprétation par la CJUE du droit de l’Union. Peut être pas si liées que ça tes mains Pat…

Revenant sur la double incrimination, elle insiste sur le fait que remettre Vincenzo à l’Italie s’assimilerait à une reconnaissance par la justice française d’un délit de responsabilité collective. Si le délit de ’dévastation et pillage’ a bien existé dans le code pénal français, c’était en 1832. L’atteinte à la sûreté de l’Etat pendant la guerre d’Algérie n’existe plus non plus, et y revenir serait pour le moins gênant.

Concernant les conditions de détention en Italie, Maxime Tessier rappelle qu’un risque réel de traitement inhumain et dégradant lors de la future détention, suffit à refuser le transfert dans le cadre du MAE. Sur l’atteinte à la vie privée, il s’appuie sur une décision récente de la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris qui a refusé la remise d’Italiens installés depuis vingt ans, accusés d’avoir participé aux Brigades Rouges, en considérant qu’il s’agirait d’une atteinte trop grave à la vie privée, sociale et familiale qu’ils ont développée en France.

La vie privée s’apprécie d’après la CEDH à la vie partagée, à la constance des liens, qu’ils soient familiaux ou non. Maxime Tessier rend hommage aux ’sentinelles de Rochefort’, ce comité de soutien inébranlable, ce cercle d’amis proches qui soutient Vincenzo depuis si longtemps, et qui compte tant, aux côtés de la vie familiale qu’il a construite. Quel est le sens de l’arracher à sa vie, 20 ans après ?

Pour le mot de la fin, parole est donnée à Vincenzo qui s’exprime à rebours des arguments de droit développés par ses avocat.es. En contrebas de cette tribune de bois de palissandre, il assure préférer être à sa place, qui résulte des choix politiques qu’il a fait dans sa vie, plutôt qu’à celle du juge, qui se cache indéfiniment derrière le droit.

La décision rendue sera assurément politique. Derrière ses tapisseries dorées, les juges de la Cour d’appel ne font que cela d’ailleurs, rendre la politique.

Délibéré prévu le 24 mars.

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