26 mars : 7000 personnes contre les méga-bassines

Pétou et Brasero

paru dans lundimatin#332, le 28 mars 2022

On aurait pu vous raconter le week-end du 26-27 mars en vous expliquant pourquoi les bassines c’est franchement pas terrible pour la terre et les agriculteurs du coin.
On aurait pu, ici aussi, exposer comment, pourquoi, dans quelle mesure ce qui se joue derrière les bassines c’est l’assèchement des sols, la monoculture, l’exploitation du vivant. Mais il n’y pas de journalisme embarqué sans carnet de bord. On s’est donc dit que ça irait plus vite de partager le nôtre, histoire de montrer tout ce qui peut se nouer autour du feu et d’un pétou.

Samedi matin :
Des tracteurs restent bloqués à Niort. La faute aux gendarmes.
Un bus en provenance de Paris tombe en panne, avec à son bord quelques écolos, et une journaliste du Monde. La faute à pas de chance. (Ils arriveront en retard)

15h :
On est venus en caisse mais nous aussi on est en retard. On trottine pour remonter le cortège. Pas mal de drapeaux différents. Une certaine division des tâches : pendant que certains donnent des indications sur la géographie locale, et sur les meilleurs itinéraires à emprunter pour se rejoindre à la fin du parcours, certains traversent le terrain de la future bassine, pour y inscrire un message lisible depuis le ciel.

15h30 :
On voit des gens qui portent des masques roses, d’autres qui jouent du tambour.
On voit plein de gens en fait. Des gosses, des chiens, des vieux.
Puis : des pelles, des pioches, des coups donnés sur des tuyaux, sur les parois en béton d’un abri dont on raconte qu’à l’intérieur, il y aurait une pompe servant à l’irrigation de la bassine. En tous cas, des gens quittent fièrement les lieux avec une espèce de robinet géant.

Après un premier assaut des forces de l’ordre, une centaine de personnes en noir-bleu-de travail-chaussures-de-randonnée, piétine des champs de maïs et fait reculer les gendarmes sur un air de cornemuse. On lance des pierres, des fusées de détresse et des mortiers d’artifice.

Pas mal de bruits familiers mais qui, dans le marais, sonnent différemment. Changement d’acoustique.

Et puis tout à coup, on aperçoit un chevreuil traverser le champ de bataille pendant que deux buses survolent le cortège. Un type s’écrie : « le vivant est avec nous, wesh ! ».

Les gens se frayent un chemin à travers les ronces et la terre sèche.

Arrivés au point de ralliement, un papi déguisé en préfet, gare sa motocyclette devant le camion des Insoumis. On l’entend : « déjà que vous êtes tout le temps à la télé, vous venez aussi nous casser les oreilles ici ?? » On sourit au papi. C’est pas un vrai préfet.

17h et des brouettes :

Fin de la manifestation. Les tracteurs sont arrivés. On entend : « merci aux tracteurs d’avoir fait le déplacement ! » et : « n’hésitez pas à leur offrir une bière ! » On se demande comment faire pour offrir une bière à un tracteur. Pas de solution, tant pis : on se sert dans des remorques qui contiennent oranges, pommes et biscuits. Merci pour le goûter.

Le soleil tape, certains galèrent à trouver de quoi se désaltérer : à croire que toute l’eau est dans le maïs.

Arrivés au camp :
Il y a une file interminable pour des grillades. Deux tonnes de patates découpées en frites (ou une tonne trois cent, selon les sources).

Des tentes, des hamacs, des chiens et des gosses encore : c’est comme un camping, les ordures et sacs plastiques en moins.

La nuit tombe :
Les gens se rassemblent autour d’une dizaine de braseros.
Mieux vaut sentir le bois qui brûle que le gaz qui s’échappe.
On commence doucement à prendre racine autour du brasero. Un gars s’allonge trop près du feu ses semelles commencent à cramer

Des concerts, dont un qui se présente comme « un groupe basque approximatif mais de proximité ». Des assiettes, des barnums, des gens qui se marrent, qui discutent, qui font des pyramides humaines. Fumis, feux d’artifice, à nouveau.

C’est la galère. On n’a pas de duvets et il fait trois degrés. Deux possibilités : dormir près du brasero à côté d’un mur de son ou se geler dans une tente. Pour nous aider à choisir, on gratte un pétou à une jeune meuf du coin, qui vient juste d’arriver en stop. (Il est 23h30)

Un mec s’assoit littéralement sur nos pieds. Il a surement froid mais bon quand même il est sur nos pieds.

A notre droite, un couple se forme, ils sont mimis. Elle nous parle : « il est pas trop beau ce mec ? ». « Ah ouais grave » répond-on, un peu pour lui faire plaisir, on avoue.

Nous voilà foncedés. Une meuf vient s’allonger sur un banc derrière nous, elle a pas l’air bien. Ses potes arrivent, ils attendent avec elle les secours. Pendant qu’elle agonise, des gens à côté s’amusent à marcher sur les mains. Les pompiers arrivent. Rien de cassé ? Apparemment si, une jambe. Force à elle.

Le son passe de l’électro à la Cumbia au post-punk au reggae town, transitions douloureuses, (mais c’est peut être juste parce qu’on est foncedés.)

Après deux heures de réflexion, on décide de prendre l’option tente. On a mal dormi.

Le dimanche :
Clope. Café. Pendant qu’on est assis et pas très beaux à regarder, un gars, vraisemblablement sous LSD, s’assoit avec nous. Il nous parle de désacraliser le pont du Gard, on comprend pas bien mais il nous dit qu’on est hyper stylés alors ça passe.

On doit reprendre la route. À l’entrée, deux mecs sont derrière un stand. Il y a des badges floqués du même message que celui inscrit sur notre braséro : No Bassaran. Souvenir du marais.

En sortant, on croise pas mal de copains : attention, les gendarmes fouillent les bagnoles et relèvent les identités des gens qui partent de La Rochénade. On sent la braise et la transpi mais pour nous, c’est passé crème.

Pétou & Brasero

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