Viser l’occlusion

État des lieux de l’aval de la filière nucléaire et enjeux de la piscine d’entreposage centralisé

paru dans lundimatin#255, le 21 septembre 2020

Transmise par le « Comité centrales », un « collectif d’enquête, de production et de diffusion de contenus théoriques, informatifs et artistiques contre le nucléaire, ses réseaux intelligents et son monde atomisé », cette enquête revient en détail sur la filière française de traitement des déchets nucléaires. Et c’est pas du propre.

Alors que cette semaine nous fêterons tristement l’anniversaire de la catastrophe de Lubrizol et que les rouennais.e.s sont toujours ignoré.e.s et laissé.e.s pour compte par les autorités [1].

Alors que des feux dévastent nos forêts et menacent des sites industriels dangereux, comme par exemple Tchernobyl au mois d’avril [2], à toutes les latitudes du globe.

Alors que Beyrouth vient de se faire ravager par l’explosion d’un stock de nitrate d’ammonium 50 fois inférieur à ceux qui sont stockés par Yara sur les ports de Montoire de Bretagne ou d’Ambès [3].

Peut-être va t-on commencer à comprendre que nous vivons au-dessus de nos moyens ?

Malgré elle, l’industrie nucléaire française est en tout cas forcée de s’en rendre compte alors qu’elle peine à se relever d’une petite pandémie et de trois mois de confinement [4]. Les incidents se multiplient sur tous les sites [5], près de la moitié des réacteurs sont à l’arrêt et l’usine de retraitement de La Hague a perdu un temps précieux en tournant au ralenti plusieurs semaines [6].

Ce dernier point s’avère crucial car dans les dix années à venir les piscines d’entreposage de La Hague déborderont et aucune solution sérieuse n’a encore été mise en œuvre pour répondre à ce problème. Tout juste existe t-il un projet de Piscine d’Entreposage Centralisé (PEC) qui s’élabore ces derniers temps dans l’urgence. Pourtant, cela fait plus de dix ans que l’Autorité de Sûreté Nucléaire (ASN) alerte EDF de la situation [7].

Après des années de silence, EDF s’est retrouvé forcé à communiquer sur le sujet lorsque, en Février 2018, son intention d’installer cette piscine sur le site de la centrale nucléaire de Belleville-sur-Loire a été révélé dans Reporterre contre son gré [8]. Cette fuite d’information aura eu le mérite de réveiller toute la région Centre Val-de-Loire, ses militant.e.s antinucléaires associatifs et politiques, ses vigneron.ne.s, et ses élus régionaux PS et LR [9]. Ces derniers estimant que la région prenait déjà sa part avec ses quatre centrales et n’avait pas à accueillir en plus les rebuts de tout le pays sur leur territoire. Difficile par les temps qui courent en effet de faire accepter de laisser refroidir pour 100 ans 10 000 tonnes de déchets radioactifs sur les bords de Loire. [10]

Alors que le projet de PEC devait légalement être proposé d’ici la fin de l’année et qu’il ne le sera visiblement pas, EDF déjà en retard a donc été contraint de battre en retraite, sous la pression des forces ligériennes d’une part [11], et des syndicats de La Hague d’autre part [12]. Ce sera donc de nouveau à ces paysages splendides du Nord-Cotentin et aux êtres qui le peuplent de payer les conséquences politiques de la non-maîtrise industrielle de la filière du retraitement des combustibles usés, héritage empoisonné des années 70. En effet, ce projet d’installation nucléaire d’EDF, nous dit-on, constituerait la solution miracle de dernière minute pour perpétuer la folie de cette filière ingérable [13]. Pourtant, et plus que jamais, au vu de la situation économique actuelle, cette filière du retraitement est un gouffre qui pourrait bien accélérer dans les années à venir la faillite d’Orano, d’EDF et avec eux de l’État français qui les biberonne.

Le degré d’absurdité atteint et le pognon de dingue nécessaire sont tels qu’il semble ne pas pouvoir en être autrement. Encore faudrait-il que le sujet soit enfin pris en compte au niveau où il devrait l’être. Malgré la médiatisation récente autour du projet d’enfouissement à Bure, le sujet des déchets reste peu connu et le pouvoir aménage l’ignorance par le lavage de cerveaux de la jeunesse et l’organisation de débats publics inaudibles. Pourtant, le futur de cette industrie, ne serait-ce que pour la prise en charge de ses dettes, le démantèlement de ses centrales et la gestion de ses déchets, est un poids qui, dans le pays le plus nucléarisé au monde, pèsera longtemps encore sur l’économie nationale. Plus que dans n’importe quel autre pays, penser au monde d’après sans mettre les impasses de cette industrie au cœur de nos projections pour l’avenir, est un dangereux déni tant les enjeux écologiques, économiques, sociaux et civilisationnels qu’elle implique sont considérables.

A cet égard, le travail de contre-expertise mené par de nombreux collectifs est essentiel. Ce savoir reste pourtant le pré-carré de militant.es expert.es, âgé.es, et souvent isolé.es, inaccessible au plus grand nombre. C’est pourquoi il est urgent de constituer un savoir populaire sur ces questions. C’est ce qu’une nouvelle génération antinucléaire, principalement née dans la Meuse ces dernières années, tente de bricoler depuis les pratiques anti-autoritaires, décoloniales, anti-racistes et féministes. Par exemple la semaine qui aura lieu du 5 au11 Octobre à Bure sur les pratiques et les histoires des luttes antinucléaires [14].

L’aval de l’industrie nucléaire

L’industrie nucléaire peut-être comparée à un organisme. Cet organisme commence par une mâchoire coloniale et extractiviste qui mâche le minerai d’uranium brut violemment extrait pour en faire une poudre, le yellow cake, que l’estomac atomique enrichit chimiquement en plusieurs étapes pour en faire un combustible opérationnel. Tout au long de son cycle, cet organisme produit des rejets chimiques et radioactifs intermédiaires : de multiples cheminées, orifices de dégazages douteux, ainsi que de nombreuses clarinettes, une pour chaque centrale, qui tiennent le rôle de vessie pour les rejets liquides. Il est également doté d’un intestin sans anus, au bout duquel s’accumule depuis 70 ans des matières radioactives indigestes qui affluent à la pointe nord-ouest du Cotentin, à La Hague.

La Hague vue du ciel

Sur cette falaise est construite l’usine de retraitement d’Orano – ex-AREVA (2006-2018), ex-COGEMA (1977-2006), ex-CEA (1966-1977) – ainsi que le Centre de Stockage de la Manche géré par l’Agence Nationale de gestion des Déchets Radioactifs (ANDRA). Cette usine est une des plus grande installation nucléaire de la planète. Elle est la plaque tournante de ce qu’on appelle l’aval de l’industrie nucléaire : tous les combustibles usés qui sortent des centrales nucléaires passent par La Hague. Étant donné la concentration de radioactivité entreposée et transformée sur le site, elle peut être considérée comme l’un des endroits les plus dangereux sur terre. Aujourd’hui s’y accumulent la plupart des déchets de production et de retraitement des réacteurs français. En particulier, les produits de fission, rebuts les plus radioactifs, vitrifiés et destinés à Bure. Ainsi que des quantités de plutonium entreposés sur des étagères, qui ont perdu toute valeur depuis le traité de non-prolifération des armes nucléaires, et dont on ne sait pas faire grand-chose, à part du combustible MOX. La Hague partage le fardeau avec la plateforme Orano sur le site de la centrale nucléaire du Tricastin dans la Drôme. Cette plateforme pourrait être considérée comme le foie de l’industrie nucléaire, puisque c’est là, dans l’usine TU5, qu’on stabilise le nitrate d’uranyle liquide, sorte de bile issue du retraitement à la Hague, en oxyde d’uranium qu’on entrepose ensuite dans les parcs uranifères du Tricastin.

Site du Tricastin

Cet anus manquant, on martèle que c’est à Bure qu’il faut le fabriquer, sous la forme du Centre Industriel de stockage Géologique (CIGEO), le plus grand projet industriel en Europe actuellement. 3000 hectares de terres pour un tombeau qui centraliserait soit-disant tous nos déchets les plus radioactifs. Ou presque : les 10 000 tonnes de déchets nucléaires qu’EDF souhaite mettre dans la PEC n’ont pas été comptabilisés, et représenteraient à eux seuls l’équivalent d’un deuxième CIGEO [15]. Ces 10 000 tonnes sont ce qu’il y a de plus encombrant pour EDF aujourd’hui, ce sont les rebuts qui ont été obtenus par le retraitement de matières combustibles déjà usées. Ils ont la particularité d’être très chauds, très radiotoxiques et inutilisables. C’est pourquoi ils s’entassent dans les piscines de La Hague. Il s’agit des combustibles usés des types suivants :

→ Le MOX, partiellement utilisé dans 22 réacteurs, les plus anciens. Ce combustible est fabriqué dans une usine spécifique, située à Marcoule dans le Gard, appelée Melox. Il implique un cycle industriel à lui tout seul, pour le produire on utilise : de l’oxyde d’uranium issu du retraitement de l’uranium appauvri. Cet uranium appauvri est obtenu lors de l’enrichissement de l’uranium opéré pour produire les combustibles classiques à Uranium Enrichi (dit UNE) à l’usine W au Tricastin. Puis l’uranium appauvri est retraité dans une usine spécifique, située à Lingen en Allemagne, avant d’être renvoyé à Melox où il est mélangé à de l’oxyde de plutonium issu du retraitement des combustibles UNE usés à l’usine de La Hague.

→ L’Uranium de Retraitement (URT), expérimenté de 1994 à 2013 sur les réacteurs de la centrale de Cruas en Ardèche. Ce combustible est produit à partir de l’oxyde d’uranium issu du nitrate d’uranyle engendré lors du retraitement des combustibles UNE usés à l’usine de La Hague. Pour l’obtenir c’est là aussi toute une histoire car la seule usine capable de le produire se situe en Russie. EDF compte de nouveau en produire dans les années 2020 pour diminuer son stock qui s’accumule dans les parcs uranifères du Tricastin.

→ Le combustible des Réacteurs à Neutrons Rapides (RNR), expérimenté de 1985 à 1998 dans le réacteur Superphénix en cours de démantèlement à Creys-Malville en Isère. C’est un combustible de type MOX avec un taux de plutonium beaucoup plus élevé.

Ce dernier combustible est important car c’est en réalité pour lui que la filière de retraitement des combustibles usés a été choisie dans les années 70. Au cœur de la guerre froide, le retraitement était un savoir-faire ultra-stratégique puisque nécessaire à la fabrication de la bombe. C’est pourquoi la France a misé dessus, pour devenir et rester expert sur le sujet, en expliquant que c’était un choix lié à l’usage civil de la technologie nucléaire pour produire de l’électricité. En effet, il existe un type de réacteur théoriquement capable de consommer à l’infini ses propres déchets retraités et qui ne serait ainsi plus dépendant de l’extraction minière en Afrique et ailleurs d’uranium naturel : les réacteurs à neutrons rapides, dits surgénérateurs. C’est le mythe de Superphénix et du nucléaire résilient qui aura structuré et structure encore l’imaginaire des nucléocrates qui auront embarqué notre société dans le délire d’une technologie qu’ils ne sont jamais parvenus à maîtriser.

Ces réacteurs ont la particularité d’être difficiles à piloter car ils utilisent comme liquide de refroidissement du sodium, produit très inflammable et explosif. Si certains pays sont parvenus à développer et à faire fonctionner de petits surgénérateurs expérimentaux (ex : Phénix en France, opérationnel de 1973 à 2010), le déploiement à grande échelle pour une production électrique industrielle s’avère beaucoup plus complexe. Les américains l’ont complètement abandonné ainsi que les allemands, les anglais et les japonais. Seuls les russes progressent lentement mais sûrement sur leur filière de surgénérateur avec le BN-600 qui fonctionne depuis les années 80 (mais pas à plein régime) et le BN-800 qui a démarré en 2015.

Dans les années 70 la France a énormément misé, en créant une dynamique à l’échelle européenne, pour développer une telle filière. C’est l’épopée [16] du réacteur Superphénix, qui s’avère avoir été un immense échec. Le réacteur n’a jamais fonctionné en bonne et due forme et il a été abandonné après des années de galère par le gouvernement Jospin en 1998.

Plus récemment en 2018, quelques mois après l’annonce du projet de piscine à Belleville-sur-Loire, le Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) a également abandonné son programme expérimental de surgénérateur ASTRID, héritier de Superphénix [17]. C’est bien dommage car la filière à neutron rapide reste la seule justification tangible de l’ensemble de la filière de retraitement des combustibles usés.

Pourtant, le tout-retraitement, modèle de gestion des combustibles usés que seule la France a choisi parmi les pays nucléarisés, est inutile, coûteux, et extrêmement dangereux. Mais, en plus des enjeux militaires, dans l’esprit des années 70, on voit les choses différemment : bien vendu, retraiter les combustibles d’uranium usés, cela peut devenir un business et donc permettre de faire d’une pierre deux coups, économique et stratégique. Ce sera, à partir de 1978, le rôle de la bien nommée Compagnie Générale des Matières Radioactives (COGEMA), entreprise privée qui remplace les militaires du CEA pour faire du fric sur l’extraction d’uranium ainsi que le transport, l’enrichissement et le retraitement de matières radioactives. Ce à quoi elle va largement échouer à tous les niveaux.

C’est tout juste si les activités d’enrichissement parviennent encore aujourd’hui à faire rentrer un peu d’argent dans les caisses. L’activité minière, archétypale du néocolonialisme à la française, aura été l’objet d’un des plus grands scandales de la 5e République avec l’affaire autour de la filiale d’Areva Uramin, fausse entreprise minière mais vraie machine à corrompre les élites internationales pour leur vendre des EPR. Cette affaire aura fini par coûter des milliards à la France sans engranger de bénéfices ni jamais faire juger Anne Lauvergeon [18]. La Hague, pour sa part, va devenir un trou financier immense dans l’industrie nucléaire, trou dans lequel elle risque de s’enfoncer, et nous avec, si nous ne parvenons pas à obtenir son arrêt définitif pour démantèlement dans les années à venir.

La Hague bloc par bloc.

Tout commençait pourtant pour le mieux pour la COGEMA dans les années 70. Après avoir agrandi l’infrastructure militaire du CEA, existante sur ce site depuis les années 60, l’élan du plan massif de construction de réacteurs français décidé en 1974, ainsi qu’un carnet de commande rempli de combustibles usés venus de toutes l’Europe, et même du Japon, amène la COGEMA à construire deux nouvelles chaînes jumelles d’ateliers de retraitement dès 1980 : UP2-800 et UP3. UP2-800 est principalement chargée des combustibles français, tandis que UP3 s’occupe exclusivement des combustibles des pays étrangers. Ces derniers s’engagent à financer entièrement l’ensemble des investissements pour construction de l’usine en plus du coût du retraitement en lui-même. Ils s’engagent par la même dans une drôle d’aventure industrielle qui va connaître de multiples rebondissements dans les décennies suivantes.

En effet, l’enthousiasme atomique des années 70 va vite retomber. Les coûts de cette industrie, que ce soit pour la gestion des risques comme celle des déchets, ou encore pour la recherche qui se traduit par exemple par l’échec des surgénérateurs, sans compter l’inacceptabilité populaire historique à l’atome, sont autant d’éléments rédhibitoires à la poursuite du nucléaire. Dès les années 90, la plupart des pays étrangers occidentaux cherchent à se désengager de cette manne de problèmes. Toutes ces tensions se focalisent autour de l’usine de retraitement de La Hague, quintessence qui résume à elle seule toutes les difficultés que peut connaître l’industrie nucléaire.

S’en suivent de nombreuses tractations, tout particulièrement avec l’Allemagne, autour du retour des déchets au pays, l’imprécision des contrats ayant laissé plané le doute à ce sujet. Sans rentrer dans le détail [19], on peut synthétiser toute cette histoire ainsi : la France aura vendu une solution de retraitement sur un mensonge et une promesse qui ne sera jamais tenue. Le mensonge de l’avenir certain des surgénérateurs ; la promesse de prendre en charge intégralement les déchets des pays étrangers en remettant à plus tard la question du retour des déchets prétendument recyclés. Car en réalité La Hague ne recycle pas les déchets : le retraitement ne fait que les séparer les uns des autres avant de les stocker, de manière plus ou moins définitive, sur de multiples sites répartis dans tout le pays. Et quand elle produit un combustible à partir de ces déchets de retraitement, c’est pour ne plus savoir quoi en faire une fois usé.

Ce lieu maudit n’est rien d’autre qu’une immense usine d’apprentis alchimistes, qui ont cru dédier un site à la production de la pierre philosophale moderne : le plutonium. Ils ont en réalité construit un véritable enfer sur terre. Pour s’en rendre compte il faut prendre le temps d’imaginer cette usine au savoir faire si particulier, dont on appréciera toute la poésie transuranienne lorsqu’elle est factuellement décrite :

« Les usines de retraitement de La Hague comprennent plusieurs unités industrielles, chacune destinée à une opération particulière. On distingue ainsi les installations de réception et d’entreposage des assemblages de combustibles usés, de cisaillage et de dissolution de ceux‑ci, de séparation chimique des produits de fission, de l’uranium et du plutonium, de purification de l’uranium et du plutonium et de traitement des effluents, ainsi que de conditionnement des déchets. À leur arrivée dans les usines, les assemblages de combustibles usés disposés dans leurs emballages de transport sont déchargés soit « sous eau » en piscine, soit à sec en cellule blindée étanche. Les assemblages sont alors entreposés dans des piscines pour refroidissement. Les assemblages sont ensuite cisaillés et dissous dans l’acide nitrique, afin de séparer les morceaux de gaine métallique du combustible nucléaire usé. Les morceaux de gaine, insolubles dans l’acide nitrique, sont évacués du dissolveur, rincés à l’acide puis à l’eau et transférés vers une unité de compactage et de conditionnement.

La solution d’acide nitrique comprenant les substances radioactives dissoutes est ensuite traitée afin d’en extraire l’uranium et le plutonium et d’y laisser les produits de fission et les autres éléments transuraniens [20]. Après purification, l’uranium est concentré et entreposé sous forme de nitrate d’uranyle UO2(NO3)2.

Par ailleurs, les opérations de retraitement décrites précédemment mettent en œuvre des procédés chimiques et mécaniques qui, par leur exploitation, produisent des effluents gazeux et liquides ainsi, que des déchets solides. Les déchets solides sont conditionnés sur le site, soit par compactage, soit par enrobage dans du ciment. Les déchets radioactifs solides issus du traitement des assemblages combustibles usés dans des réacteurs français sont, selon leur composition, envoyés au Centre de stockage de l’Aube ou entreposés sur le site Orano Cycle La Hague dans l’attente d’une solution pour leur stockage définitif. Les effluents gazeux se dégagent principalement lors du cisaillage des assemblages et pendant l’opération de dissolution. Le traitement de ces effluents gazeux s’effectue par lavage dans une unité de traitement des gaz. Les gaz radioactifs résiduaires, en particulier le krypton et le tritium, sont contrôlés avant d’être rejetés dans l’atmosphère. Les effluents liquides sont traités et généralement recyclés. Certains radionucléides, tels que l’iode et le tritium, sont dirigés, après contrôle, vers l’émissaire marin de rejet en mer. Cet émissaire, comme les autres émissaires du site, sont soumis à des limites de rejets. Les autres effluents sont dirigés vers des unités de conditionnement du site (matrice solide de verre ou de bitume). » [21]

La Hague en vue !

On pourrait se dire que si les horribles activités ci-décrites sont bien pratiquées quelque part, c’est qu’elles sont essentielles. Or, comme on l’a vu, ce n’est pas le cas et le retraitement des combustibles usés handicape l’industrie nucléaire française plus qu’autre chose. Ainsi, les dirigeants d’EDF se sont régulièrement montrés sarcastiques ces vingt dernières années à l’égard de ceux d’AREVA et de leur usine inutile [22].

La réalité est claire : aujourd’hui cette usine n’a plus pour raison d’être que sa propre continuation alors que ses piscines débordent et que son démantèlement fait peur à tout le monde, surtout à ceux qui tiennent les cordons de la bourse.

En effet, avec 67 milliards de dette brute ainsi que 10 milliards de dettes hybrides, la situation financière d’EDF est désastreuse [23]. Et le coronavirus n’aura pas amélioré les choses en révélant au grand jour l’extrême fragilité de cette industrie en cas de crise ainsi que sa dépendance à la sous traitance. Pendant le confinement, EDF aura du faire tourner ses centrales avec des effectifs extrêmement réduits tout en ayant recours de manière certainement illégale à 80 % de sous-traitants [24] pour la maintenance, souvent laissés sans protection de la part de leurs employeurs [25]. Alors qu’une recapitalisation d’EDF et une nationalisation de la filière nucléaire se prépare certainement pour 2021 sous la forme du plan Hercule [26], en plein confinement ce sont donc les sous-traitants qui assurent le service public de l’énergie.

Financièrement le problème se pose de la même manière chez Orano : la partie aval de la production est un trou financier que la partie amont ne parvient pas à compenser. C’est pourquoi se prépare également, trois ans après la recapitalisation d’Areva, un plan Hercule version Orano dénommé PEARL. PEARL amènerait à séparer les activités aval et amont, comme le montre ce tract de la CFDT Orano que nous nous sommes procurés [27]

]]. Ce plan révélé en janvier dernier, et sur lequel la direction d’Orano s’est montré très discret, aura probablement lieu en 2021 également.

Pendant ce temps on ne s’occupe pas du tout de comment mettre fin à cette filière moribonde. Au contraire suite à l’abandon de la PEC à Belleville-sur-Loire, c’est bien sur le site de la Hague qu’EDF semble devoir être obligé de se retrancher sur ses arrières, non loin de là où l’électricien connaît pourtant bien les misères que l’on sait à Flamanville. Profitant du vent peu favorable pour la piscine dans le Centre, les salariés de l’usine, craignant pour leurs emplois, semblent avoir obtenu gain de cause dans leur revendication portée lors d’une visite à l’Elysée en Novembre 2019. Dans les dix années qui viennent, le chantier d’une méga-piscine bunkerisée, conçue pour perpétuer l’activité du retraitement et des centrales, risque bien de voir le jour et maintenir ainsi une activité conséquente sur le site.

Presse de la Manche, 14/11/2019

Cette nouvelle, si elle se confirme, constitue une petite révolution, car il s’agit in fine d’étendre encore l’emprise du site de l’usine de retraitement sur le cap de La Hague. Pourtant Greenpeace alerte depuis des années a propos de la surexposition du site en terme de sécurité [28]. Que penser des transports radioactifs incessants depuis le terminal ferroviaire de Valognes jusqu’à l’usine, de la fragilité des structures abritant les piscines existantes, du risque d’attaque terroriste alors que le site est très éloigné de toute base aéronavale militaire ? Sans compter la pollution due aux énormes rejets de radioactivité dans l’air et dans la mer tout autour du site. Est-il bien raisonnable, au vu des bouleversements en cours et à venir, de se lancer dans la construction une piscine qui centraliserait pour 100 ans les déchets les plus toxiques, ceux qui doivent refroidir et être confinés plusieurs décennies avant qu’on puisse en faire quoi que ce soit et pour lesquels on a même pas provisionné d’espace à CIGEO ?

C’est ce dont nous discuterons ce week end du 24 au 26 septembre à Saint-Amand-en-Puisaye dans la Nièvre [29], pour fêter l’abandon de la piscine sur les bords de Loire, et pour penser la suite de cette lutte hautement stratégique pour l’ensemble du mouvement antinucléaire. En effet, le moindre blocage du projet de piscine, qu’il soit dû à des événements comme le confinement [30], la perte de sûreté des évaporateurs des ateliers de retraitement due à la corrosion de ceux-ci, ou à une lutte active sur le terrain, pourrait avoir des conséquences irrémédiables sur l’industrie nucléaire toute entière. Comme l’analyse justement l’Association pour le Contrôle de la Radioactivité dans l’Ouest (ACRO) : « en tout état de cause, une diminution des capacités de traitement de ces usines pourrait conduire à terme à la saturation des entreposages des combustibles usés » [31].

Ne serait-il pas temps de repeupler le Nord-Cotentin ? Alors qu’il ne reste plus que 7 % d’espace libre dans les piscines de La Hague, si la PEC n’est pas opérationnelle d’ici moins de dix ans, l’industrie nucléaire fera face à un sérieux problème d’occlusion intestinale. Le compte à rebours est lancé. A nous de faire les bons calculs pour précipiter celle-ci, de multiples et joyeux modes opératoires sont envisageables.

comitecentrales@tutanota.com
https://twitter.com/centralescomite

Comité Centrales est un collectif d’enquête, de production et de diffusion de contenus théoriques, informatifs et artistiques contre le nucléaire, ses réseaux intelligents et son monde atomisé. Contre la folie des échelles industrielles, pour des autonomies énergétiques, alimentaires et politiques locales. Résolument situé.e.s, c’est depuis la Loire et les terres de son bassin-versant que nous nous ancrons dans les luttes écologiques et sociales de la région. N’hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez enquêter avec nous !

[2Euronews

[9La plupart desélus du conseil régionalde la région Centre Val de LoirePS comme LR se sont opposé au projet de piscine, de nombreux autres élus de tous bords s’y sont également opposés au cours des deux dernières années.

[12Le Berry Républicain : EDF confie désormais être « dans l’attente du résultat de l’étude de faisabilité pour l’implantation de cette nouvelle piscine à La Hague »

[13C’est ce qui est clairement énoncé dans le Dossier d’Option de Sûreté (DOS) (LIEN) comme objectif de la PEC : «  prendre le relais des piscines de la Hague et de Superphénix » et « augmenter les capacités d’entreposage de combustibles usés (...) pour poursuivre l’exploitation du parc »

[16La lutte contre Superphénix a constitué l’apogée et le début du déclin de la la lutte antinucléaire. A ce propos Pièces et Mains d’Oeuvres a produit un texte essentiel, Memento Malville, une histoire des années 70, qui retrace l’histoire de cette lutte qui a elle seule permet de comprendre les enjeux, encore actuels, de la lutte antinucléaire en général.

[20Il faut imaginer d’immenses cuves dans lesquelles se mélange en permanence ce mélange d’acide et de métal lourd hyper radioactif, une belle vision de l’enfer du retraitement.

[22Au débuts des années 2000, François Roussely, alors président d’EDF, aurait dit, dans le cadre d’une visite de la Hague avec Anne Lauvergeon, et en présence de journalistes, qu’il était prêt à lui racheter l’usine de retraitement pour la fermer.

[26Le plan Hercule consiste en la nationalisation du nucléaire en échange d’une privatisation accrue des renouvelables et de la branche commerciale d’EDF, Enedis. Voir la série d’article du journaliste Marc Endeweld sur le sujet.

[27Voici le PDF du tract en question :

[31ACRO

lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :