#manu tentionnaire

Missive du futur et chanson d’aujourd’hui

paru dans lundimatin#376, le 31 mars 2023

Salut manu.

je t’envoie une petite missive du futur (si si maintenant c’est possible) pour te souhaiter du courage pour les 44 ans à venir (oui parce que le bazar avec les retraites... ça c’est pas bien terminé. Enfin pour toi en particulier... et pour Élisabeth. Quand je visionne les archives stellaires de sa fin tragique j’avoue que j’ai quand même des hauts le cœur. C’est moche. Bon, en même temps vous l’aviez un peu cherché. A force de provocation, de mépris, et de bons conseils à tous ces pauvres, ces fainéants et ces irresponsables qui n’avaient qu’à se mettre au travail et ... y rester jusqu’à la fin des haricots, ça a quand même fâché un sacré paquet de monde. Même des qui se fâchent pas d’habitude. Ça, c’était puissant, bravo ! Non, c’est vrai, venant de toi, avec ce joli parcours de champion du monde du dentifrice [1], certains se sont dit non mais, est-il bien légitime ? Je reprends cette citation parce qu’à cette époque c’est un mot que tu employais beaucoup...

peut-être parce que tu l’étais pas trop justement, légitime (?).Oui oui, je sais, on a tous tendance à faire ça : essayer de faire croire que c’est pas moi c’est les autres, surtout pour parler de soi. Les psychologues de comptoir du futur disent que c’est lorsqu’on a un problème avec le sujet en question qu’on a tellement besoin de le mettre sur les autres. Je te cache pas que ça s’est un peu vu. Mon moi de l’époque a vraiment trouvé ça excellent. A part ça, on continue de bien rigoler quand on diffuse le moment où un agent de la BRAV-M a mis un bon gros coup de poing, bien bien gros, à Eric Dupont-Moisi en transe qui faisait des doigts d’honneur à tout le monde en pleine manif, hurlant « manifester est un trouble grave à l’ordre public » parce qu’il avait oublié que c’était un droit constitutionnel. C’était un peu gênant, parce qu’en vrai, c’était le garde des sceaux. Alors ça vous a fichu un soupçon de plomb dans l’aile, mais je tiens à te dire qu’aujourd’hui c’est devenu une pièce de théâtre fameuse, très jouée dans l’archipel. On en a aussi tiré des enseignements et on fait expérimenter la méthode dans nos cercles de praxis pour bien se souvenir de ce qu’il se produit quand on met au pouvoir des personnes qui méprisent les fondements de ce dont ils ont la responsabilité (qui ont rien compris, quoi) et qui ont un rapport pathologique à la domination. D’ailleurs, nous, on donne le pouvoir à ceux qui n’en veulent pas…et le résultat est plutôt chouette. J’en reviens à toi et à cette période troublée que tu vis. Tout a dégénéré quand tu t’es rétamé au JT de 13h. Ça aussi, c’est resté dans les annales. D’ici, on appelle ça l’étincelle, l’élément déclencheur. Le « on passe trop par la loi, dans notre république, » après 49.3 et bras d’honneur aux parlementaires, couplés aux annonces d’investissements dans l’armée et la gendarmerie sur fond de répression violente de la population poing-pieds-matraque-lbd-lacrymo-insultes-et-j’en-passe en boucle même sur les chaînes affiliées au gouvernement... fallait oser. L’autoritarisme, tranquillou bilou. Je me suis même demandée un moment si c’était pas une mauvaise farce du type qui écrit tes discours, genre un couteau dans le dos, tu vois ? Quand j’ai fouillé dans les archives de votre époque je suis tombée sur une vidéo tournée avec ce que vous appeliez pataudement téléphone portable dans un PMU on y voit la répression poing-pieds-matraque-lbd-lacrymo-insultes-et-j’en-passe sur un écran physique et ton discours sur un autre écran, à côté, avec le son. C’est rigolo. Bon, les gens devant les écrans ne bougent pas. Ils sont peut-être déjà morts ou alors c’est un contrôle d’identité au gaz paralysant j’ai pas réussi à trancher (je sais plus si ça date de votre époque ou si je confond avec la période de contre-révolution-pour-tous plus tardive). Bref, en tout cas, ce qui devait arriver arriva enfin : une révolte rondement menée et ton gouvernement renversé. C’est ici que les copaines vous ont capturé, avec Elis’, pour ensuite vous inciter définitivement et fermement, à travailler pour de bon, à produire. Quelques dizaines d’années, en tant qu’agent de production et manutentionnaire en 3/8, dans une fonderie à Cuges-les-pins, avec des horaires qui changent tous les 15 jours, 25 minutes de pause-repas et des collègues au poil (ou à poil, j’arrive pas à déchiffrer correctement cette partie de l’archive textuelle, d’autant qu’après il y est question de jeux, de fauve, de lion qui seraient des animaux et là j’avoue que mes références du futur ne me permettent pas de comprendre ce dont il s’agit. Un peu plus loin on lit cirque et là je vois très bien car c’est un art majeur ici dans le futur, pour ne pas oublier et être. J’adore. Du coup je me disque ça a quand même dû être grandiose comme final). Bref, on va pas s’appesantir outre mesure sur tout ça mais ça ne s’est pas bien fini. Du tout. Déjà, t’avais plus les moyens pour la C et puis faut avouer qu’Elis’... bon…elle a jamais profité de la fameuse retraite. Ici, dans le futur, c’est un mot rare, plus très usité, sauf dans l’acception traiter ou traire une deuxième fois, puisqu’on a aboli le travail.

J’ai beaucoup digressé dans cette lettre et je m’en excuse, d’autant que son motif premier était de te partager une petite chanson vintage écrite par mon moi de l’époque pour donner de la voix dans les manif’ et les soirées. Et parce que ça va quand même mieux en le disant. Un cadeau pour toi. Ça s’appelle Gun de crasse. C’est un tantinet lourdingue mais avec un peu de son ça passe pas si mal. Ecoute.

Au plaisir,

Je t’e.

éléa ma

Gun de Crasse

De déchets j’me camoufle
Les miettes que t’as laissé
J’pourrais t’les faire bouffer
Prends garde à tes pantoufles

Je suis très en colère
Ta gueule de balayure
Me r’vient pas ça c’est sûr
C’est vieux c’est millénaire

Révolte poubelle
Dans ta face maquerelle
Ça finira dans le dur
En forme de pourriture

T’as pris la place du prince
Tu t’accroches au perchoir
Pour l’jour où tu vas choir
J ’prépare un lit de ronce

J’ fabrique des guns de crasse
Avec tout mon amour
Attendant le grand jour
Où j’ferai de toi une trace

Révolte poubelle
Dans ta face maquerelle
Ça finira dans le dur
Au milieu des ordures

[1Démission (Pour Claire),Les Vilars

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