« Si la machine n’est pas pilotée par des hommes, la machine devient elle-même l’élément moteur et la direction même. »
Le texte qu’on va lire peut être lu comme une sorte de testament, de testament théorique. Son auteur est une amie, Sandra Göbel, autonome allemande s’il en est, emportée l’année dernière, à 50 ans, par le cancer d’une certaine vie. Elle était en train de reprendre cet article lorsque la maladie l’a emportée. On ne reviendra pas ici sur une existence commencée à Russelsheim dans l’enfer de la Ruhr, puis très vite les Wagenplatz, le punk, les squats de Berlin, les 1er Mai révolutionnaires, le Wendland, la lutte contre la mafia du nucléaire et ses transports Castor, Gênes et les contre-sommets du mouvement anti-globalisation, l’anti-militarisme et l’internationalisme militants et, pour finir, la joie d’emmener pâturer son troupeau de chèvres dans la montagne. Une existence brève - certains diront « violente », faite en tout cas de déplacements impétueux, jusqu’au déplacement des déplacements : la décision d’un certain enracinement. La question de la cybernétique (et de la technocratie) hantait Sandra au point d’aller en chercher la matrice en amont même des conférences Macy comme des domaines techniques où celle-ci s’épanouira d’emblée : dans un débat anthropologique et politique qui oppose en 1941-1942 deux époux aux rapports orageux, Margaret Mead et Gregory Bateson. « Si la machine n’est pas pilotée par des hommes, la machine devient elle-même l’élément moteur et la direction même. » C’est peu dire que la phase d’offensive technologique échevelée que nous subissons forme un contexte propice à méditer ces dernières pensées de Sandra. La colonisation du futur se déchaîne plus que jamais, et c’est bien depuis là que nous sommes encore et toujours gouvernés. Ce texte est à paraître aux éditions Divergences, le 29 mai dans le deuxième numéro de la revue Liaisons, intitulé « Horizons brisés » - une saine médication en cette époque de spéculations aussi démentes qu’impuissantes sur tant de « mondes d’après » qui n’auront jamais lieu.
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