Wuhan : Etat d’urgence épidémique [2/4]

Journaux de siège 封城日记

paru dans lundimatin#231, le 24 février 2020

Ici les journaux de bord des internautes exposent la vie quotidienne des personnes dans une ville, Wuhan, et une province, le Hubei, entièrement bouclées par les autorités. Ces journaux de bord ont été appelés par leurs auteur.e.s 封城日记 à savoir « journaux quotidiens de la ville bouclée/fermée », que nous avons traduit par « journaux de siège », qui est devenu un nouveau genre littéraire et numérique de publication sur la toile. [1]

Les photographies ajoutées sont tirées des textes originaux et prises par leurs auteurs. L’autorisation des auteurs pour la traduction et la publication a préalablement été sollicitée par les membres de la plateforme. La photo de Une est de Xavier Malafosse.

Journal du siège, notre vie pendant la « pneumonie » (26 janvier)

— par Hanzi (Douban, 27/01, 02:19)

C’est la première fois de ma vie que je ressens ce genre de panique, et j’espère que je ne la ressentirai plus jamais. Il ne s’est écoulé que cinq jours depuis le 21 janvier, pourtant j’ai l’impression qu’une vie entière me sépare de cette date. J’ai l’intention d’écrire et de noter tout ce que nous avons vécu, et si je relirai ces notes dans cinq ans, je ne sais pas ce que j’en penserai.

26 janvier, sept heures du matin, je suis allée chercher Maomao aux premières lueurs du jour. On se préparait à partir en empruntant la route nationale 347, tout avait l’air normal quand nous avions regardé hier soir. Notre but était de sortir du Hubei pour pouvoir emprunter l’autoroute et s’éloigner d’ici. Il était sept heures, il n’y avait personne dans les rues, de temps en temps surgissait une ou deux voitures, portant des plaques d’immatriculation du Hubei. Au moment de tourner vers la 347, au niveau de Liuzuoxiang, la route était bloquée, elle était coupée par des tas de sable et de pierres. La plupart des voitures faisaient demi-tour. Le GPS a calculé un nouvel itinéraire en nous faisant traverser Liuzuoxiang par les petites routes, mais quelques kilomètres plus loin, la route était de nouveau bloquée et les véhicules revenaient tous en sens inverse. Cette fois-ci, ils avaient des plaques du Zhejiang et du Jiangsu. On a tourné un peu dans le village, sans trouver de moyen de rejoindre la nationale 347. Puis on a eu peur que la route du retour ait peut-être été bloquée aussi, alors on s’est dit qu’il valait mieux faire demi-tour. Effectivement, la route dans l’autre sens avait effectivement été coupée, un gros camion était garé en travers pour barrer l’entrée de la nationale. Nous avons alors perdu tout espoir de pouvoir sortir, la seule chose qui nous a rassurées, c’est que les autres voitures avaient l’air aussi perdues que nous. J’ai décidé d’appeler le 110 [numéro de la police] mais ils ont dit qu’ils ne s’occupaient pas de ce genre de choses, et ils m’ont raccroché au nez. Alors je les ai insulté intérieurement un milliard de fois, ce qui n’a bien sûr rien changé à notre situation, malheureusement.

Nous avons vu plusieurs voitures qui se dirigeaient vers nous en circulant sur les bords de la route, et nous avons hésité un peu avant de les suivre. Heureusement que Maomao était avec moi, pour me dire de conduire prudemment, et heureusement aussi que le camion ne bloquait pas complètement la route, nous avons ainsi pu passer sur le côté. Maomao a souligné que même si on n’avait pas réussi à s’échapper, on aurait au moins fait de sacrés progrès en conduite (ma dernière épreuve de conduite remontant à cette route à double-sens, qui part des plaines du Zhangbei puis grimpe à flanc de montagne avec une côte à trente degrés).

Regardez donc avec quelle ingéniosité les gens ont barré la route.

Sur le chemin du retour, la mère de Maomao nous a envoyé un SMS pour nous dire que les routes allaient être rapidement barrées chez nous aussi, nous mettant au risque de ne pas pouvoir rentrer à la maison. On a donc accéléré et on a fini par arriver sur les coups de vingt-deux heures, non sans une certaine déception, de ne pas avoir réussi notre mission. J’ai regardé ce qu’il y avait à la télé, mais franchement, rien ne m’intéressait, alors je suis allée au lit pour me reposer un peu. Je me suis réveillée le lendemain vers midi, j’ai bu un verre de vin jaune, que mon ami Haiyan avait d’abord envoyé à Hangzhou puis rapporté ici. Juste un verre, mais ça m’a quand même fait un peu d’effet. Ensuite, j’ai repris mon portable pour regarder quelles étaient les nouvelle de l’épidémie. J’ai vu que selon les chiffres officiels, le nombre de personnes infectées était monté à 2071, et le total était encore en train d’augmenter. J’ai regardé les messages sur les groupes et sur les réseaux, avant de m’endormir une nouvelle fois.

À seize heures, j’ai reçu un message de maman, qui me disait que toutes les routes du villages étaient bloquées, et qui me demandait aussi d’aller voir depuis le balcon si les routes avaient également été barrées de l’autre côté. Je n’ai pas voulu aller voir. Je suis restée cachée dans mon lit, et même les émissions de télévision que je regardais d’habitude ne me semblaient plus avoir aucun intérêt. […]

À dix-sept heures, il commençait à faire nuit, et la pluie ne tombait plus. Je suis allée voir sur le balcon, et effectivement, la route était barrée, un moyen tangible de nous couper du reste du monde. Une voiture blanche essayait d’entrer sans succès, tandis qu’une mobylette-triporteur n’arrivait pas à sortir, les deux se regardaient en chiens de faïence. Si jamais quelqu’un tombait malade dans le village, je me demande comment l’ambulance pourrait arriver jusqu’à lui dans ces conditions. Avec ces mesures d’isolement, on n’est plus sûr de rien

Maomao disait qu’elle voulait venir chercher un peu de vin jaune de chez moi, parce qu’elle n’avait plus que du Bai Yun Bian [une marque d’alcool fort]. Mais étant donné que les routes reliant nos deux villages étaient bloquées, il fallait qu’elle vienne à pied pour venir le chercher. Wang s’est moqué en disant qu’on pourrait boire l’une en face de l’autre au niveau de la barricade, en plein milieu la route, qu’on pourrait lever nos verres au passé, et à la lune. Je lui ai dit d’aller se faire foutre.

Le soir, les choses ont encore changé. Un ordre officiel du village de Maomao a décrété que tout le monde devait rester à l’intérieur, que personne ne devait sortir. La salle de mahjong [jeu de société qui se joue à quatre] n’est plus autorisée à ouvrir, et ceux qui ne se plient pas aux ordres seront arrêtés. Du coup, l’idée de se retrouver pour boire un coup est tombée à l’eau, mais en même temps, j’étais aussi un peu contente que les gens du village ne puissent plus jouer à leur mahjong, enfin !

À vingt-deux heures, je faisais défiler les messages et les posts de Weibo [réseau social chinois] sans trop d’intérêt. J’ai vu qu’une « conférence officielle d’informations » avait été organisée à Wuhan, j’ai vu que les internautes se moquaient du maire de la ville, parce qu’il portait son masque à l’envers pendant la conférence. J’avais du mal à le croire, alors je suis allée voir la vidéo. Vraiment, du grand n’importe quoi. Ça doit pas facile, une heure de conférence comme ça, quand on sait qu’on va devoir démissionner. Ils ont dit qu’un travail important avait été réalisé, et d’après l’impression qu’ils donnaient, on ne manquerait de rien. J’imagine que dans l’hôpital en bas, le personnel médical a dû péter un câble en entendant cela, vu qu’ils ont déjà commencé à recourir massivement aux dons de la société civile devant la quantité de choses qui manquent.

Je ne sais pas si, dans les temps à venir, ces dirigeants de Wuhan se sentiront coupables de ce qu’ils ont fait. Parce que tout le peuple de ce pays paye actuellement le prix de leurs erreurs. On peut dire que toute cette histoire n’a rien d’une catastrophe naturelle, c’est un désastre créé par l’homme. Un grand nombre d’usines ont arrêté leur activités, et les conséquences directes sur l’économie vont rapidement se faire sentir. Et dans le monde, les efforts pour donner une image positive du pays vont être ruinés une nouvelle fois. Moi, je suis prisonnière de mon village natal sans pouvoir rentrer chez moi [en ville].

Lorsque l’épidémie se sera calmée, je voudrais bien voir si ces personnes du gouvernement sauront quoi faire et quoi dire. Les gens de ce pays ont besoin d’une explication. Aujourd’hui, pour résumer, j’ai eu une journée bien remplie, pleine d’aventures.

Journal du siège, notre vie pendant la pneumonie (29 janvier)

— par Hanzi (Douban, 30/01, 00:21)

En une nuit, il y a eu 840 nouveaux cas dans le Hubei, ce qui fait un total de 3554 contaminés. Huanggang a compté 111 nouveaux cas, soit le double des 59 cas d’hier, portant le total des contaminés à 324. Il semble que le nombre de nouveaux cas déclinent dans l’ensemble de la province du Hubei, et tous les canaux officiels applaudissent cette décrue, comme si on avait déjà atteint le point de bascule. Mais ce que je vois, moi, c’est que les chiffres dans les plus petites villes grimpent en flèche. Et même ces chiffres-là sont douteux de toute façon, vu nos moyens limités et la façon dont on les utilise. Parce que les tests conduits dans les districts doivent être envoyés à Huanggang ou à Wuhan pour un examen final, ce qui fait qu’il est plus difficile et plus lent d’établir le nombre de cas confirmés dans les districts. Hier, dans le district de Huangmei, on a diagnostiqué l’infection du directeur de l’hôpital de médecine traditionnelle.

Le soleil se lève, le ciel est bleu pâle. On croirait un hiver comme les autres, alors qu’en réalité celui-ci est bien différent.

Les gens commencent à sortir pour prendre l’air, une ou deux motos passent de temps à autres. Certains sont bien tentés de jouer au mahjong, même si cela a été interdit. Quelques femmes se rassemblent à l’entrée du village, se demandant chez qui aller pour qu’il soit quand même possible d’y jouer. Ma tante, en pyjama, parle avec deux autres de son envie d’aller faire quelques courses dans la rue Zhanghe, personne ne porte de masque. Mon voisin joue à chat avec les enfants dans la cour. Je lis, assise sur le tabouret que j’ai apporté sur la terrasse, face au soleil d’hiver qui diffuse une chaleur un peu fraîche. Tout serait magnifique, s’il n’y avait ce virus.

Mon livre, L’Égypte en quatre mille ans, devait être une préparation à mon voyage en Égypte que, heureusement, je n’ai pas fait. Il est publié aux Éditions Littéraires du Zhejiang et traduit par Yang Lingfeng, assez moyennement je dois dire. Pas très agréable à lire, mais on apprend des choses sur l’Égypte.

J’ai vu sur un compte public [sur WeChat] que, sur une famille de six personnes, trois membres avaient été infectés, tout ça parce que la mère avait été mystérieusement contaminée lors d’une petite opération à l’hôpital juste avant le Nouvel an. Avaient suivi le père, puis le grand frère, le reste de la famille comprenant la fille et sa belle-sœur ainsi que son neveu. La mère avait finalement succombé, en quarantaine qui plus est, toute seule dans sa chambre. J’ai vu qu’elle avait appelé son fils pour qu’il vienne la voir à l’hôpital, mais elle avait rendu l’âme alors qu’il était enfin arrivé à bout de la file d’attente des malades. Je me suis mise à pleurer. La fille et le fils n’ont pas pu faire leurs adieux qu’à la voiture qui emmenait le corps de leur mère au crématorium. Je pense à la mère qui a quitté ce monde seule dans son lit, au fils qui a attendu si longtemps sans laisser sa place dans la file, on est si impuissant face à de tels désastres. Un désastre qui n’a rien de naturel, en l’occurrence. Cela fait longtemps maintenant que nous avons connu le SRAS, ou le sida, pourquoi l’histoire continue-t-elle de se répéter, où est-ce que ça a merdé à la fin, et qui en est responsable ?

Je suis allée me dégourdir les jambes dans la cour après le dîner. J’ai fait une série d’exercices, la séquence numéro huit, et j’ai pris quelques photos.

Maomao m’a dit ce soir que quelqu’un revenu de Wuhan et contaminé par le virus était arrivé dans le village à côté du sien, et qu’il était mort aujourd’hui. Elle m’a envoyé une photo de son corps emporté au crématorium, le corps de quelqu’un dans sa cinquantaine. L’ambiance est devenue un peu plus lourde, c’était le premier mort de la pneumonie aussi proche de moi, ça a jeté un froid parmi nous. Maomao m’a dit qu’à partir de demain, elle resterait barricadée chez elle. La route menant au village a été barrée à nouveau. Sur une vidéo qui a circulé dans notre groupe de tchat, on voit des policiers embarquer des gens qui jouent au mahjong. Quelqu’un dit dans la vidéo : « On peut déjà pas aller voir notre famille pour le Nouvel an, c’est quoi le problème avec le mahjong ?! »

D’après mes amis, le nombre de gens contaminés devrait atteindre les vingt mille personnes à terme. Personnellement je n’en sais rien, tout ce que je sais, c’est que l’infection se rapproche de moi petit à petit. Finalement, j’aurais moins peur si j’étais à Hangzhou, où la situation médicale est largement satisfaisante. Mais à Huangmei, un petit district de quatrième ou cinquième catégorie, et dans la région la plus touchée par le virus, on ne peut même pas être sûr qu’il y ait suffisamment de lits d’hôpital pour accueillir tous les malades infectés.

On ne reçoit la vie qu’une fois, et dans cette vie parfois, un seul fil nous sépare de la mort.

Journal du siège, notre vie pendant la pneumonie (30 janvier), province du Henan [province frontalière du Hubei]

— par Hanzi (Douban, 31/01, 01:26)

30 janvier, il fait beau. Cela fait cinq jours que nous ne sommes pas sortis.

Je me lève assez tôt cette année, et la première chose que je fais, alors que je suis encore sous les draps, c’est de regarder les chiffres : 1032 nouveaux cas pour le Hubei, 356 à Wuhan, 172 à Huanggang. Contrairement au nombre de nouveaux cas qui décline à Wuhan, celui des plus petites villes est en augmentation. Je sais bien, pourtant, que ces chiffres ne sont pas exacts, car cela fait trois jours que mon district de Huangmei n’a pas recensé de nouveaux cas, ce qui est impossible. J’ai compris plus tard que mon district n’avait pas les capacités suffisantes pour dépister convenablement les malades. Qu’il n’avait pas d’autre choix que d’envoyer les patients dans des unités plus compétentes pour un diagnostic définitif. Or ces établissements de Wuhan et Huanggang sont déjà bien trop occupés avec leurs propres malades, comment pourraient-il avoir le temps de prendre en charge ceux des hôpitaux plus petits ? En réalité, bien que le district de Huangmei manque de personnel et de matériel, six médecins ont malgré tout été affectés en renfort à la municipalité. À Huangmei, les cent nouvelles chambres d’isolement ont été remplies en une journée, par des cas suspects qui n’attendent que d’être confirmés.

Il semble que ma mère se soit résignée face au bouclage de la ville, notre vie s’organise un peu différemment maintenant. Elle commence à faire à manger à huit heures et termine quand je me lève à neuf heures. Aujourd’hui, elle avait fait du bœuf avec des légumes. Après manger, nous jouons aux cartes jusqu’à midi, puis elle prépare le déjeuner. On se repose un peu après manger, puis on continue notre partie de cartes. À quatre heures, il n’y pas plus de soleil dans la cour, c’est l’heure de préparer le dîner. Dans l’après-midi, j’ai posté un message sur les réseaux : « On fait comme si c’était une super journée ! ». Après tout, s’il n’y avait pas cette épidémie, passer des jours entiers à jouer aux cartes en famille, cloîtrés à la maison, à boire du thé en papotant, ça ressemblerait bien à une super journée !

Sauf qu’en fait, pas du tout. Mon collègue à Hangzhou m’a envoyé une photo d’une affiche dans leur village qui interdit de louer des appartements à des personnes venant du Hubei. Les magasins gérés par des gens originaires du Hubei sont mis sous scellés avec interdiction d’y pénétrer. Tout ça me fait prendre conscience que, même si cela fait dix-neuf ans que j’habite dans cette ville, que j’y paye les taxes et la sécurité sociale, que je respecte les lois, que je dis à tous mes amis que c’est une belle ville, en fait, je me sens toujours comme une étrangère. Mais ce sentiment n’a rien à voir avec mon malaise quand je vois cette pancarte « Attention, des Wuhanais habitent ici » dans un village du Henan. Je ne sais pas combien de personnes vont se sentir blessées par ces photos si pleines d’hostilité.

Mon entreprise a envoyé un formulaire à chaque employé, qu’on doit remplir en renseignant toutes les villes qu’on a traversées récemment, ainsi que le moment où on a retrouvé notre famille et celui où on est rentré chez nous. C’est Wuhan qui figure comme adresse sur ma carte d’identité, une information suffisante pour affoler tout le monde dans le quartier pour un bon bout de temps, alors même que cela fait six mois que je n’ai pas mis les pieds à Wuhan.

Dans l’après-midi, une association de consommateurs a annoncé qu’un stock de masques provenant de la province du Guizhou était disponible. En effet, la première réponse officielle avait été de réserver les masques à l’administration, et les particuliers devaient laisser la priorité aux achats du gouvernement, si bien que les masques que nous pouvions nous procurer en ville étaient tous importés. Cela me rappelle que mon ami He avait abordé la question des masques hier, car il en avait besoin pour aider un hôtel réquisitionné par le gouvernement afin d’héberger des groupes venant du Hubei. (Tiens donc, je me suis dit, et pourquoi le gouvernement s’occupe-t-il plus de réquisitions que de distributions ?) J’ai partagé l’information sur mon groupe de tchat, et j’ai alors appris que le prix habituel d’une dizaine de yuans pour une boîte de cinquante masques était passé à deux yuans pour un seul masque. Mais les gens ont beau en avoir profité pour gonfler les prix, on est bien obligé d’en acheter. Les entreprises en commandent des millions, même si c’est cher. Et puis qu’est-ce que c’est deux yuans par rapport à une vie ? [note : le port du masque est devenu obligatoire]

Ce soir, je suis allée prendre des œufs dans la cour, neuf en tout. Maomao m’a dit qu’ils avaient mangé tous les leurs à la maison, je lui ai demandé si elle voulait venir en prendre quelques-uns. Haiyan a cru avoir été peut-être infecté, il nous a demandé la liste des symptômes sur notre groupe, je lui ai dit que c’était quand on avait de la fièvre, quand on toussait et qu’on avait des douleurs musculaires, mais il avait juste mal à la tête. En fait, moi aussi une fois je me suis sentie fatiguée, et je me suis demandée si je n’avais pas été infectée. J’ai retracé soigneusement ce dont je me souvenais de mes derniers jours : j’étais allée à Hangzhou en voiture le 21, puis je n’avais vu personne qui revenait de Wuhan après cela. On avait fermé les portes de la cour le 25, et je n’avais plus été en contact avec quiconque de l’extérieur. Là, si j’avais réussi à gagner le gros lot, il fallait que j’aille jouer au loto !

C’est impossible de rester tranquille, en sachant les pauvres ressources médicales qu’on a dans notre district, et sans compter que nos hôpitaux sont déjà bondés. D’ailleurs, on peut sûrement se retrouver infecté en y allant juste pour une consultation et sortir de là malade alors qu’on est entré sans infection. Cela fait peur rien que d’y penser.

Ces derniers jours, je n’ai pas arrêté de réfléchir à la vie et à la mort. On est bien fragile devant un tel cataclysme. Et face aux mesures imposées par le gouvernement, qui bloque par exemple les routes, même si on veut se croire capable de tout, on se retrouve sans pouvoir rien faire.

Demain, je ne sais pas à combien s’élèvera le nombre de malades confirmés à Huanggang.

Journal du siège, notre vie pendant la pneumonie (2 février)

— par Hanzi (Douban, 02/02, 16:48)

Neuvième jour, Huanggang est désormais la deuxième plus grande zone infectée, le virus aurait gagné plus d’un millier de personnes, les chiffres dénombrent 1002 personnes au total. Ici, à Huangmei, on annonçait aujourd’hui 73 nouvelles personnes infectées, 88 cas en tout. Comparé à l’ensemble de la population de Huanggang, ce chiffre n’est sûrement pas considéré comme très élevé, mais j’imagine que demain il aura déjà augmenté.

Mon journal d’hier n’a pas passé la barrière de la censure, ils disent qu’il ne « correspond pas aux règles de publication de la communauté », mais je n’ai aucune intention de le modifier.

En 2003, j’étais en deuxième année de fac lorsque le SRAS a éclaté, la fac avait été fermée, mais je ne me souviens pas que les choses avaient été si difficiles, peut-être parce que l’université avait pris de bonnes mesures de protection. Parmi mes souvenirs, c’est l’odeur du vinaigre qui revient le plus. Mais cette catastrophe qui s’abat sur nous en 2020, je n’y étais pas préparée et je n’ai pas su quoi faire. Je saurai comment m’y prendre à l’avenir.

Hier soir, Maomao a dit qu’elle voulait préparer des pains farcis, elle voulait savoir s’il y avait de la levure chez moi. J’ai demandé à ma mère, qui m’a dit qu’il n’y en avait plus, alors elle a proposé avec enthousiasme d’aller en acheter en ville. À moins d’un kilomètre. J’ai bien vu que tout ce qu’elle voulait, c’était juste sortir un peu.

Pour encourager ma mère à cuisiner plus de légumes, parce que ces derniers temps on mange surtout de la viande et du poisson, je lui ai raconté ce qui se disait sur le virus, et ce que j’avais appris à propos des derniers cas à Huangmei. Alors, je lui ai expliqué que cette maladie n’avait pas encore de remède, que l’important était d’avoir une bonne immunité. « Pour combattre ce virus, lui ai-je dit, il faut augmenter ses capacités de résistance immunitaire.

— Alors on doit manger des œufs et de la viande » m’a-t-elle répondu. Bon...

Aujourd’hui, ma tante était sortie et elle est passée chez nous, ma mère voulait absolument sortir avec elle, mais je l’en ai empêché. Elle l’a alors chargée de lui ramener du sucre mais deux heures plus tard, ma tante est revenue les mains vides. Finalement, les magasins étaient tous fermés, sur ordre des autorités locales.

Dans un de nos groupes en ligne d’amis de la fac, une vidéo a circulé, elle montrait l’arrestation de plusieurs habitants du village de Zhulinwo qui avaient été pris en train de jouer au mahjong ensemble. Les gens continuent à jouer malgré les interdictions répétées. Selon mon cousin, « il est difficile de contrôler le virus si les gens persistent à vouloir sortir et jouer au mahjong. » C’est comme cela que ça se passe à la campagne, les gens n’ont peur de rien. Mais ceux qui habitent en ville, comme Haiyan par exemple, ont tendance à respecter scrupuleusement les conseils des spécialistes, ils se lavent les mains chaque jour, désinfectent leur maison, ne sortent pas, prennent leur température. Finalement, on dirait parfois que l’on vit dans deux mondes complètement différents.

Je discutais avec un ami hier, il disait que les gens réagissaient de manière beaucoup trop disproportionnée, et que cette maladie était simplement comme une grippe classique, et que les chiffres des morts étaient même inférieurs à ceux des morts de la grippe saisonnière. Mais ces explications sont complètement inutiles, maintenant que la panique diffusée par les canaux officiels a gagné l’ensemble du pays.

Malgré la panique dans les villes, les gens de la campagne, ceux qui sont loin des centres urbains, ont encore la chance de pouvoir aller faire un tour et prendre l’air. Ces derniers jours la situation de Huanggang a attiré un peu plus l’attention, alors des amis ont commencé à me demander comment ça se passait par ici, si on avait besoin de quelque chose. Je les remercie, mais ici, honnêtement, nous allons encore relativement bien, nous avons fermé la porte de la cour depuis le 25 janvier, mais nous avons un peu d’espace devant et derrière la maison, et dans le jardin nous avons un petit étang dans lequel il y a des poissons, et puis sinon des poules et des canards qui nous donnent au moins huit œufs par jour. Nous avons aussi quelques légumes du potager.

La seule chose qui nous manque vraiment, pour le moment, ce sont les masques. Nous n’osons pas aller en ville, et puis même là-bas il n’y en a plus en stock, et les livraisons ne sont pas possibles non plus. Nous sommes comme sur une île coupée du monde, mais bon, heureusement sur notre île, on peut s’échanger des messages, et il nous reste encore de quoi tenir.

Quand les voitures ne roulent plus, ville du Wuhan

— par J. Cheng (Douban, 25/01, 20:34)

Aujourd’hui cela fait trois jours que la ville était bouclée. Comme d’habitude, mon père a pris sa voiture pour aller au travail, pendant que nous autres, cinq adultes et deux enfants, sommes restés à la maison. Nous avons projeté dans la matinée le film Lost in Russia pour nos deux mères sur le mur, j’ai fait une sieste dans l’après-midi, puis j’ai sorti du frigo la dernière carotte ainsi qu’une orange et j’ai commencé à préparer les gâteaux du lendemain matin.

Alors que je versais la purée de carotte dans l’huile d’olive en mélangeant énergiquement, SK [son mari] a lancé un « Merde alors ! » depuis le salon.

À partir de minuit ce soir-là, les véhicules privés ne seront plus autorisés sur les routes.

Sale affaire que cette circulaire du Centre du commande contre la pneumonie, cela nous a mis dans une colère noire. En être réduit ne plus pouvoir utiliser sa propre voiture. Il faudrait donc transporter à force de bras tous les produits de réapprovisionnement ; plus grave encore, un malade qui aurait besoin de voir un médecin n’aurait que ses pieds pour faire le trajet (à moins d’appeler une ambulance). On comprend bien sûr qu’en cas de léger mal de tête ou de coup de chaud, mieux vaille rester confiné chez soi et ne pas se rendre à l’hôpital où l’on risque de se transmettre des infections. Mais avec à la maison un octogénaire et un enfant de deux ans, l’intérêt d’avoir une voiture, c’est bien de pouvoir l’utiliser en cas d’urgence, non ? De ne pas pouvoir le faire, cela nous laisse sans voix.

Sillonner la ville en voiture pendant le bouclage ne faisait vraiment pas partie de nos projets, mais ne pas en faire le projet et ne pas en avoir l’autorisation, ce n’est quand même pas la même chose.

J’étais toujours en train de digérer cette nouvelle, et je commençais à me demander vaguement si cela ne signifiait pas qu’un événement bien plus terrible était arrivé, quand ma belle-mère a déboulé dans la cuisine en disant : « il va falloir retourner au supermarché acheter des carottes ! »

SK essaya de raisonner ma belle-mère : si on se rendait au supermarché à cet instant, on verrait sans aucun doute les gens dans leur voiture se ruer dans les magasins, et ce n’était pas sûr qu’on puisse trouver ce qu’on cherchait, sans même compter les files d’attentes interminables à la caisse. Il valait mieux avoir confiance dans le gouvernement, dans leur capacité à garantir la protection des dizaines de millions de personnes dans cette ville. Ma belle-mère s’est immédiatement moquée de nous et de nos craintes, proclamant qu’elle n’avait pas peur de la mort, et qu’elle irait à pied jusqu’au Walmart le plus proche.

J’ai changé mes vêtements pour une tenue de ville que je n’avais pas enfilée depuis des jours, j’ai mis un masque et des lunettes, pris des baskets qui me faciliteraient la tâche dans les magasins bondés, et je suis sortie avec SK. J’espérais pouvoir nous ravitailler en légumes verts et en œufs, mais le plus important, c’était de prendre des carottes, des patates douces, et de la courge.

J’avais entendu dire, deux ou trois jours auparavant, que seules quelques voitures roulaient en trombe sur les routes, assez dégagées pour qu’on ait la place d’y danser comme dans les parcs. Comme nous, tout le monde se dirigeait vers le grand supermarché d’à côté (car le supermarché Zhongbai du coin de la rue était déjà en rupture de riz, de farine, d’huile et d’œufs, sans que l’on sache ces derniers jours quand il serait réapprovisionné). Nous sommes d’abord allés au Walmart de l’avenue Xudong. Le centre commercial au-dessus du Walmart était complètement silencieux, il avait l’air fermé, et pourtant le parking au rez-de-chaussée était plein à craquer, les voitures devaient se garer jusque sur la route, comme en temps normal.

Après avoir laissé tomber de ce côté-là, nous avons roulé le long de l’avenue Xudong vers le sud, pour voir s’il n’y avait pas un peu d’espoir chez Metro. Nous sommes passés devant Qunxing Plaza, fermé lui aussi, de même que le supermarché Beijing Hualian au premier étage. Arrivés à une nouvelle intersection, nous avons découvert que les voitures qui faisaient la queue devant Metro occupaient deux files entières sur l’avenue, sous le pont surélevé de Xudong. Nous avons abandonné là aussi, faisant demi-tour pour nous diriger vers la rue Liyuan, nous avions décidé de tenter notre chance chez le grossiste Wushang de l’avenue Huanle.

Sur la route, nous sommes entrés dans un Lawson, pour essayer d’acheter des nouilles instantanées, mais tous les rayonnages étaient vides. Nous avons tout juste eu la chance de tomber sur une épicerie qui passait totalement inaperçue sur la rue Yuanyang South, et qui vendait encore beaucoup de fruits, à notre grande surprise. Nous avons acheté des kiwis, des œufs, des pamplemousses, des pommes, des oranges, mais en petite quantité, et nous n’avons dépensé que 291 yuans. Nous avons chargé nos courses dans la voiture, c’est alors que j’ai remarqué la patronne de l’épicerie au visage souriant, sans masque. Après quoi, nous avons encore une fois été témoins de scènes de razzia devant le grossiste Wushang, avenue Huanle, puis nous sommes rentrés à la maison.

SK prévoit de demander au personnel du supermarché Zhongbai devant chez nous de nous réserver un peu de légumes verts. Ce que j’aime le plus chez lui, c’est bien son optimisme !

En arrivant à la maison, j’ai appris que ma mère, diabétique, avait débarqué armée jusqu’aux dents chez le primeur du quartier, et qu’elle avait achetée quelques grands sacs de fruits, en plus d’avoir fait main basse sur toutes les pâtes instantanées qui restaient dans le magasin. Ce n’était pas plus mal. S’il n’y avait vraiment plus rien à manger, nous pourrions toujours nous rassasier avec des fruits et des nouilles « minute ».

Notre balcon est maintenant chargé de piles de légumes et de fruits, presque moitié-moitié. Personne ne sait quand la situation va s’améliorer.

Après le dîner, mon père a téléphoné pour demander à ma mère de lui préparer des affaires propres pour quelques jours. Il allait venir les récupérer en voiture sans tarder, et se rendrait directement dans les logements de son unité de travail. Il n’était pas du tout sûr de pouvoir rentrer à la maison avant la fin de l’épidémie.

Être en vie, ce n’est qu’une question de chance, ville de Wuhan

— par J. Cheng (Douban, 01/02, 12:49)

Aujourd’hui, cela fait dix jours que Wuhan est bouclée.

Un collègue de mon père avait demandé un congé deux jours avant le confinement de la ville. Il avait convenu avec ses amis de fêter le Nouvel an en beauté à Beihai, les deux familles, douze personnes, étaient parties dans trois voitures différentes. Ils avaient prévu de rentrer quatre jours plus tard, mais alors qu’ils arrivaient à Beihai, la situation a pris un tour inquiétant. L’hôtel qu’ils avaient réservé ne les a pas laissé rentrer, les voitures immatriculées à Wuhan ne pouvaient plus emprunter l’autoroute. Douze personnes étaient ainsi laissées comme des chiens sur le trottoir. Après bien des difficultés, ils sont parvenus à trouver refuge chez un ancien ami connu à l’armée.

Par chance, ils ont pu rentrer à Wuhan avant-hier, en roulant à toute allure pendant tout le trajet sur l’autoroute, avec interdiction de rentrer dans une station-service (sauf sans doute pour prendre de l’essence). Mais les choses ne se sont pas arrêtées là, le père de ce collègue était resté passer les fêtes à Wuhan et n’avait pas participé au voyage à Beihai avec les jeunes, mais pendant qu’eux étaient bloqués plusieurs jours sur la côte, lui avait contracté le virus. Le diagnostic avait été établi dans un hôpital communautaire qui disposait déjà de boîtes de test, mais malgré son infection confirmée, il ne pouvait être pris en charge nulle part. Ce collègue de mon père est un vieil habitant de Wuhan et connaît beaucoup de gens ici, il a d’ailleurs déjà eu l’occasion d’aider ma famille, mais cette fois, tous les coups de téléphone du monde restèrent sans effet, pas moyen de trouver un hôpital pour son père. Ce dernier ne put que rester confiné à la maison, tandis que son fils qui vivait normalement avec lui dut appeler à l’aide un ancien ami de l’armée qui avait de la place chez lui pour sa femme et son propre fils. Un nouvel an mouvementé !

Rien ne dit que les trains ou les avions seront à nouveau en service bientôt, mes beaux-parents deviennent fous à la maison. Ma belle-mère n’est déjà pas très stable émotionnellement quand tout va bien, alors avec cette épidémie surnaturelle qui nous tombe dessus, elle a encore plus du mal à gérer la situation. Depuis deux jours, elle se met en colère pour tout et n’importe quoi, contre SK qui ne va pas rafler des marchandises tous les jours comme elle le voudrait, contre ma mère dont pas un mot ne convient à son humeur, contre moi qui nettoie la cuisine avec une serpillère plutôt qu’agenouillée avec un torchon comme elle le ferait. Si elle ne sermonne pas son fils, c’est à son mari qu’elle s’en prend, sans même s’embêter à chercher une excuse ces derniers jours. Parfois, rien ne vient troubler l’atmosphère, et la seconde d’après, elle commence à injurier tout le monde à grands cris. Elle clame sans cesse que, si elle le pouvait, ça fait longtemps qu’elle aurait pris le large. Et moi donc ? Je vous garantis que j’achète le premier billet de retour pour eux dès que les trains et les avions reprennent du service.

Ma mère vit dans la même résidence que nous mais dans un autre immeuble, dans un autre bloc, elle est du côté nord, et nous du côté sud. En temps normal, elle vient chez nous très tôt le matin pour m’aider à s’occuper de la maison et du bébé, et elle rentre chez elle après le dîner. Notre bonne est rentrée chez elle avant les fêtes pour ses vacances (mais elle ne rentrera sûrement pas vu la situation), mes beaux-parents sont arrivés de Chengdu, et cela fait neuf jours que père est de garde dans son unité de travail et qu’il n’est pas rentré à la maison. C’est ma mère qui a pris la responsabilité de nous faire à manger. Heureusement que SK et moi sommes en congé à la maison, où on peut se charger de faire le ménage et de s’occuper du bébé.

Et maintenant, arrêtons de dire n’importe quoi, voici un compte-rendu de ce que ma mère a vu et entendu chaque jour lors de ces allers-retours entre chez elle et chez nous.

1. Notre résidence dit prendre la température des gens qui entrent et sortent, ce qui en fait, comme ma mère l’a vu, consiste pour un garde à prendre la température et pour un autre à prendre une photo avec son portable, et ma mère s’inquiète de ce que le thermomètre soit en contact avec tous les fronts, et que peut-être la maladie puisse se transmettre par la peau, et qui sait si les gardes ne se seront pas volatilisés dans quelques jours ?

2. Notre résidence dit vouloir diffuser toute la journée par haut-parleurs des messages de lutte contre l’épidémie et des consignes d’hygiène, mais ma mère a vu là encore que cela consistait pour un garde à parler dans l’appareil et pour un autre à prendre des photos et des vidéos avec son portable, et depuis, plus de nouvelle de ces haut-parleurs.

3. Ma mère a reçu un appel de la résidence un jour, qui voulait connaître l’état de santé des habitants dans l’appartement, et qui demandait d’ajouter le numéro d’un compte WeChat de service. Mais en l’ajoutant, elle s’est aperçue que le compte venait en fait de son ancienne résidence à Hankou. Notre résidence ne nous a pas appelés une seule fois pour juger de la situation.

4. La porte du bâtiment nord est cassée depuis plus d’un an et n’a toujours pas été réparée. Depuis que la ville est bouclée, aucune mesure n’a été prise pour contrôler les allées et venues des gens par cette porte, tandis que celle du bâtiment sud n’était plus en service pendant un laps de temps pour satisfaire les résidents. Ils ont repris une garde stricte depuis, et il faut pour rentrer enlever ses gants en touchant l’écran tactile, et enlever son masque pour la reconnaissance faciale. Personne ne comprend à quoi riment toutes ces mesures contre-productives dans la même résidence.

J’ai pris conscience que toute notre vie jusqu’à présent n’avait été qu’une illusion : nous pensions être l’objet d’une quelconque attention, nous pensions être protégés. Moi qui me moquais intérieurement de ma belle-mère tellement égocentrique qui me soutenait de manière si absurde que l’épidémie était la faute des Wuhanais, je me suis rendue compte soudain que nous aussi, nous avions placé notre confiance dans l’agence immobilière, la résidence, ou quelque institution plus importante qui serait responsable pour nous. Nous avions tous tort.

Journal d’une ville sous les verrous, onzième jour

— par Lin Gu (Douban, 04/02, 23:44)

J’ai pleuré
Pas parce que le nombre de personnes diagnostiquées a doublé depuis hier
Pas parce que le taux de décès des médecins et des infirmiers dans mon village natal est devenu l’un des plus élevés
Pas parce que le père de l’ami d’un ancien camarade de classe a quitté ce monde et que sa mère ne trouve pas de lit à l’hôpital
Pas parce que tant de commerces et de petites entreprises sont sur le point de s’écrouler
Pas parce que ce « virus créé par l’homme » brouille la frontière du vrai et du faux
Pas non plus parce qu’aujourd’hui encore, nous sommes à bout
Pas parce que l’hôpital de Huoshen Shan [nouvellement construit] n’accueille que quarante-cinq malades
Pas parce que des propriétaires de Wuhan ont fait don de leur magasin par dizaines de milliers pour les transformer en locaux de quarantaine
Pas non plus parce que nous n’avons pas encore atteint le pic de l’épidémie
Mais à cause de cette vidéo
Un petit garçon, à l’aéroport de Pudong, est tombé par terre
Au milieu des passants
Sa mère a l’air terriblement inquiète
La foule pressée y jette parfois un œil mais ne s’arrête pas
Je pleure cette société si froide
Ces sentiments humains si simples et déjà disparus
Lorsque je parle de politique avec les autres
Les autres me disent de changer de sujet
Je dis qu’éviter le sujet, c’est aussi prendre position
Alors on parle de l’épidémie
Je leur dis que l’on devra sûrement reprendre le travail d’ici le 14
Mais que la bataille continuera, et se poursuivra peut-être encore jusqu’en mai
Les autres rigolent
Je leur dis, ceux qu’on appellent les « huit menteurs » [ceux qui avaient été accusés à tort de diffuser des rumeurs au début de l’épidémie] se battent toujours en première ligne
Alors qu’aucune excuse publique ne leur a été faite
Les autres disent que la stabilité est plus importante que le reste
Je leur dis qu’Ali [la firme Alibaba] s’approvisionnerait aux quatre coins du monde et récolterait ce qu’il faut pour combattre l’épidémie
Que les marchandises seraient déjà en route
Les autres disent, « ne va pas encore inventer des histoires »
Je leur dis que je ne peux même plus distinguer le vrai du faux, que je ne peux même plus croire à ce qu’on m’a appris
La vérité et le mensonge se retrouvent au coude à coude
Les autres m’ont dit, « de la peine et des difficultés va renaître la nation »
J’ai gardé le silence
Je me suis alors rappelée ce que Szymborska avait écrit :

« Il s’est passé tant de choses,
Des choses que l’on ne pouvait pas même imaginer,
Et ce que nous avions imaginé,
N’est pas arrivé
Nous avions pensé que le bonheur, le printemps, ne nous quitteraient plus
Nous avions pensé que la peur s’en irait, bien au-delà des montagnes et des vallées,
La vérité, devant le mensonge, finira par éclater »

[1La présentation de cette série de quatre articles se trouve en introduction du premier : Témoignages du « chaos systémique » 组织性失序et chronologie

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