Willy se meurt

L’Orque désenchantée (depuis son bassin)
Stéphanie Chanvallon

paru dans lundimatin#342, le 6 juin 2022

L’Orque désenchantée (depuis son bassin)
murmure à qui sait l’entendre
sa soif d’Océan.

L’Orque au bout d’elle-même (depuis la Seine)
murmure désespérément
la Mer en péril.

L’espace se resserre.
Et vous n’entendez pas.

Ah oui, le drone sonorisé pour guider l’animal. C’est vrai qu’avec les nouvelles technologies tout espoir est permis, pour ne pas voir l’absurde.

Ah oui, la fameuse autopsie. Une x-ième donnée scientifique. Sa mort va servir la science, une occasion de comprendre. Vous allez découvrir depuis vos laboratoires de quel mal souffrent les cétacés. Et alors, vous allez les soigner ? Vous allez demander aux pollueurs d’arrêter leurs manufactures, aux sous-marins leurs ondes sonores, aux ingénieurs leurs constructions en pleine mer ? Vous allez arrêter le réchauffement des océans ?

Soleil bleu à l’heure du premier chant de l’oiseau, et puis “Soleil vert”. Mais il n’y a pas ici de secret à révéler. Observer, écouter, s’immerger, sentir. La Mer souffre et les êtres océaniques se meurent. Nous le savons. Il n’y a pas d’enquête à mener. Vous n’entendez pas. Depuis quand la science écrit-t-elle la vérité du monde ? Vous attendez quoi ?

Nous sommes impuissants, aussi impuissants que vous. Mais nous n’avançons pas les yeux rivés vers le ciel. Nous savons la folle course en avant, l’écologie 2.0 et la numérisation polluantes et énergivores, l’invisibilité de ce qui ronge. La vie des clics permanents, connexions et puçages.

Mais peut-être bientôt des animaux sauvages pucés. Certains sont déjà équipés de caméras quand ils ne sont pas des artefacts, engoncés dans des réserves. Il ne manquerait plus que des ingénieurs fabriquent un jour des robots-cétacés pour amuser les derniers consommateurs de mers. Des magic dolphins, et ces cris depuis les pontons : “Oh, on dirait des vrais ! Qu’est-ce que c’est bien fait !”

Il y a eu “Willy”, pour de faux, et puis il y a eu le dauphin Jean-Floc’h (Finistère) et l’orque Luna (Colombie-Britannique), pour de vrai. Les mêmes histoires d’humains incapables de s’entendre, des rencontres inter espèces gâchées. Nous aurions pu apprendre de ces multiples “Nous”. Cette fois seulement, ce n’est pas un cétacé qui se présente pour un commun possible, c’est un être qui se meurt. Le seuil est franchi. Nous ne pourrons plus guérir à nous-mêmes, nous n’aurons plus la possibilité d’apprendre depuis cet Autre. Il disparaît, et avec lui notre horizon.

L’Orque au bout d’elle-même
murmure désespérément
la Mer en péril.

Un pan de notre psyché s’effrite.
L’espace se ferme.
Et vous n’entendez toujours pas.
Nous n’entendrons bientôt plus.

Même les goélands désertent les falaises aux embruns. Et les Fous de Bassan, seront-ils au rendez-vous des sardines ? Pourrons-nous encore nous fondre dans le chant de la baleine à bosse, nous émerveiller du surf des dauphins dans les vagues, éclater de rire sous leurs éclaboussures étincelantes ? Nous offriront-t-ils encore l’expérience de leur rencontre, l’immersion dans leur regard, la con-spiration dans leurs souffles ?

Mémoires profondes lovées en eux, mystère de millions d’années d’évolution qui nous traversent nous aussi. Mais nous n’avons pas su reconnaître le magnifique et incommensurable partage-don de la vie. Nous sentions-nous trop petits, ou trop frêles pour l’accueillir ?

Il n’y a plus d’Orque pour murmurer désespérément la Mer en péril.
Il n’y a plus d’espace.

Stéphanie Chanvallon

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