Vide la ville

paru dans lundimatin#347, le 11 juillet 2022

Les grandes rues
Vides
De cette ville
Le grand vide des rues
De cette grande ville
Le vide des grandes rues
Vidant la ville

Oh si pleines pourtant, grouillantes,
Hurlantes de petits bonheurs des dames et
Des messieurs
Boutiqués astiqués lessivés du sang
De l’Enfant-Roi

Sueur des rues hémorragie des artères
Dépressions multiples le pouls bat trop
Trop vite trop fort ou trop lentement
La grande ville en sueur se vide
De son sang

Blancheur d’albâtre en plein midi
Plus chatoyant de couleurs tu meurs
Plus pâle et transparent tu brûles
Les derniers restes de ton corps abandonné
De tous les corps abandonnés
Qui t’entourent

Par le plein détournement de plénitude
La grande ville fait le vide dans ses rues
Toutes ces rides jamais vues de la ville jusqu’alors
Soudain apparues
Toute la ville rit de se voir si vieille
En son brillant miroir d’été

Au calme des cimetières
La conférence des morts
Honneur gloire et vengeance
Pour l’amour défunt
Des pauvres de la Terre

Père Mère Frères et Sœurs
Maintenant orphelins enfin
Pissant au pied du drapeau
Puis les uns sur les autres grimpés
Y mettant le feu

Les grandes rues de la ville se vident
De tous leurs défilés
Dans l’arrière-cour on conspire
La haine on transpire
Il faut que le corps exulte
Et faire gicler l’abcès
« Les loups sont entrés dans la ville »
89 sagement assis sur des bancs
De velours rouge
Le poil lisse parfumé le nez aux aguets
Qui renifle dégageant visible
La pointe des crocs

L’animal est trop beau, pauvre loup
Non ! Des humains
Tout bêtement comme les autres
Sagement assis sur des bancs
De velours rouge
La tête sertie d’une couronne de serpents

Les rues vides de la ville
Grouillante s’emplissent
D’une rumeur sourde
Indéchiffrable
Le grand vide additionne les unités
Innombrables précipitées vers
L’Avenue des Abattoirs

Grand rue ruelles et impasses
Boulevards et dessertes
Périphérique et 4 voies
Aux confins du ban désolés isolés
Là-bas
Fume le macadam
Après l’averse du soir

Fraîche douleur de juillet
Ici là-bas peut-être s’annonce
Le grand lendemain

Tout l’aujourd’hui se vide
Aspire siphonne jusqu’aux
Librairies refuges déçus
D’où s’écoulent des flots
De pages d’encre et de papier

Les grandes rues vident la ville
De son sang d’encre, des fleuves de livres
Coulent rapides tumultueux sous les ponts
Les eaux barbares civilisent
Le dernier effroi

De bouche en bouche « Et maintenant ?
Et maintenant ? Et maintenant ?
Et maintenant ? Et maintenant ? Et maintenant ? »

Passe le poète aux yeux exorbités « là où croît le péril… »
Se prend aussitôt une grande baffe
Se vautre dans le caniveau
Son corps flotte parmi les immondices
Dans les grandes rues de la ville
Qui n’en finit pas de se vider
De son vide

Deux amoureux enlacés
Têtes inclinées l’une vers l’autre
Avancent lentement nonchalamment vers
Le « futur gris » qui s’ouvre devant eux
A l’infini

Dans leurs poches chacun tient
Un révolver chargé
Qui sait
Si les keufs décidaient d’écraser
La fleur d’Amour
Manifestée

Le Horsain

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