Vague d’arrestations en France dans les milieux écologistes

Quand l’antiterrorisme vole au secours du cimentier Lafarge et de Gérald Darmanin

paru dans lundimatin#386, le 6 juin 2023

Nos lectrices et lecteurs s’en souviennent probablement, samedi 10 décembre dernier, à Bouc-bel-Air, dans les Bouches-du-Rhône, 200 personnes s’étaient rendues sur le site de l’usine du cimentier Lafarge pour y entamer son démantèlement. 15 personnes sont actuellement en garde à vue, a priori pour ces faits. Nous republions ci-dessous le communiqué et le reportage photo que nous avions publié à l’époque.

On se souvient aussi des déclarations tonitruantes du ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin, qui n’avait pas hésité à qualifier les activistes écologistes d’éco-terrorisme. Nous écrivions à l’époque qu’il s’agissait de tout évidence d’une opération de police et de communication : préparer l’opinion quant au traitement que l’État s’apprête à réserver à celles et ceux qui prennent la question de l’environnement au sérieux. Pour que le concept d’éco-terrorisme fonctionne, encore fallait-il produire de l’éco-terroriste, c’est chose faite depuis ce lundi 5 juin. En effet, selon nos confrères et consoeurs de Mediapart et Reporterre, une quinzaine de personnes ont été perquisitionnées puis placés en garde à vue à Montreuil, Lyon, Toulouse, Dijon, Marseille, Bayonne et dans deux villages du Tarn-et-Garonne. Pour le moment, la qualification terroriste n’est pas retenue, mauvais souvenirs du fiasco de Tarnac oblige, c’est néanmoins la Sous-Direction Anti Terroriste qui est à la manœuvre avec tous les moyens que confèrent l’association de malfaiteurs et la « bande organisée ».

Pour le moment, ni le parquet ni le ministère de l’Intérieur n’ont communiqué sur les éléments à charge concernant les personnes interpelées. Sous-couvert d’anonymat, une source proche du ministère relativise : « S’il n’y a pas de communication officielle, c’est qu’il n’y a pour l’heure aucun élément probant. Une affaire ça se construit, il faut laisser du temps aux enquêteurs et espérer que les perquisitions et gardes à vue permettent de combler les trous, voire de construire l’armature ».

En attendant d’en savoir davantage et dans la mesure où il s’agit ici d’une opération policière et politique, se pose la question de ses effets à court et moyen terme. L’épouvantail en construction sera-t-il suffisant pour effrayer un mouvement écologiste conséquent en plein essor ? Ou bien est-ce que cette opération répressive consolidera le sentiment déjà bien ancré que l’État et sa police choisissent systématiquement de défendre les bétonneurs plutôt que la terre ?

Pour le moment, le mouvement écologiste semble résolu à ne pas se laisser intimider et à soutenir quoi qu’il en coûte et quoi qu’ils aient fait les personnes interpellées.

Dans un communiqué, les Soulèvements de la Terre précisent « Assimiler aujourd’hui à du terrorisme l’usage légitime de la pince coupante, de la masse et de la clef à molette en vue de neutraliser des infrastructures est un inacceptable retournement ! Les centrales à béton sont des armes d’artificialisation massive des terres agricoles et de destruction de la biodiversité, des bombes à retardement climatique. Il est donc plus que jamais légitime et nécessaire de les désarmer » et mettent en garde « Par cette criminalisation, c’est bien l’association de malfaiteurs qu’il constitue avec les industries mortifères que le gouvernement révèle. »

Marseille : l’usine Lafarge de la Malle envahie et sabotée par 200 activistes


Vidéo, communiqué et reportage photo

Samedi 10 décembre, à Bouc-bel-Air, dans les Bouches-du-Rhône, 200 personnes se sont rendues sur le site de l’usine du cimentier Lafarge pour y entamer son démantèlement. En effet, l’entreprise est mondialement connue pour quelques prouesses : être parmi les plus gros pollueurs et émetteurs de CO2 en France, une mise en examen pour financement du terrorisme, une autre pour complicité de crime contre l’humanité, tout en continuant de se présenter comme l’un des fleurons de l’industrie française et à couler du béton par millions de tonnes. Si certains ne manqueront pas de s’interroger sur les moyens mis en œuvre par les activistes, les raisons, elles, n’auront échappé à personne. Une courte vidéo nous a été transmise, ainsi qu’un communiqué explicatif et ce que nous pourrions qualifier de roman-photo de ce samedi où le cimentier a perdu son incinérateur, plusieurs de ses engins de chantier, beaucoup de sacs de ciments et quelques armoires électriques. « Un jour, tout se paye » conclut un tag laissé sur site.









































































Communiqué

Ce 10 décembre 2022 à 18h, 200 personnes ont envahi et désarmé par surprise l’usine Lafarge de la Malle à Bouc-Bel-Air dans les Bouches-du-Rhône. Dans une ambiance déterminée et joyeuse, l’infrastructure de l’usine du cimentier pollueur a été attaqué par tous les moyens : sabotage de l’incinérateur et de dispositifs électriques, câbles sectionnés, sacs de ciments éventrées, véhicules et engins de chantiers endommagés, vitrines des bureaux abîmées, murs repeints de tags...

Lafarge-Holcim, est un des plus gros pollueurs et producteurs de CO2 du pays. Visé par plusieurs procédures judiciaires anti-terroristes, la multinationale cherche systématiquement à étouffer les attaques qui lui sont faites. Ici à Bouc-Bel-Air, les fours qui ont été ciblés, longtemps alimentés par des déchets industriels et des pneus sont aujourd’hui le symbole du greenwashing. La pollution atmosphérique est considérable et a été maintes fois dénoncée par toute la presse et les riverain•e•s. Pour autant, les cheminées crachent toujours leur venin.

En France et en Suisse, cela fait trois ans que des actions de plus en plus déterminées visent Lafarge-Holcim : blocages « Fin de Chantiers » en 2020, occupations simultanées et sabotage de 4 sites par des centaines de personnes en juin 2021 lors de l’opération « Grand Péril Express », mobilisations successives contre la destruction du bocage de Saint-Colomban par Lafarge en Loire- atlantique, Zad de la Colline contre une extension de carrière Lafarge en Suisse.(voir liens et vidéos sur ces actions ci-dessous)

Après les échecs cuisants de la COP27 et prévisibles de la COP15 Biodiversité et sans attendre une COP 2050 et 3 degrés de plus, nous sommes revenu•e•s aujourd’hui en visant à se donner dès maintenant les moyens d’arrêter ces industries de la construction qui détruisent la terre.

« Lafarge et ses complices n’entendent rien à la colère des générations qu’ils laissent sans avenir dans un monde ravagé par leurs méfaits. Leurs engins, silos et malaxeuses sont des armes qui nous tuent. Ils ne cesseront pas sans qu’on ne les y force. Nous allons donc continuer à démanteler ces infrastructures du désastre nous même. Nous appelons toutes celles et ceux qui se soulèvent pour la terre à occuper, bloquer et désarmer le béton. »

Pourquoi viser Lafarge ?

Le groupe Lafarge Holcim, aux milliards de chiffre d’affaire ne recule devant rien pour continuer sa course délirante au profit et cela au mépris de toutes les conséquences écologiques et sociales engendrées. Poursuivi dans plusieurs pays, Lafarge et ses dirigeants ont fait preuve de leur cynisme à travers leur implication dans le financement de l’Etat Islamique en Syrie. Condamnés par les Etats-Unis en octobre 2022, à 778 millions de dollars pour avoir soutenu Daech, ils sont toujours mis en examen en France pour complicité de crimes de guerre contre l’humanité. Dans cette affaire, la succession de choix tactiques faits par l’Etat français, à travers des échanges entre la DGSE et Lafarge démontrent une fois de trop que la bonne tenue du capitalisme nécéssite que l’Etat et les industriels marchent ensemble.

Extraire la roche sous protection de l’Etat quitte à alimenter la guerre. Vendre le ciment pour reconstruire ce que les guerres auront démoli. Et au passage, détruire nos conditions de vie et nos environnements pour y ériger un monde de béton et de mort, fut-il fait de greenwashing à base de neutralité carbone ou ciments bas carbone produits par incinération des déchets. De l’extraction du sable, à la production de ciment et béton, et aux grands projets inutiles, toute la chaîne de l‘industrie de la construction représente une catastrophe écologique. Le secteur du BTP, de sa chaîne de production à son utilisation, est responsable de 39 % des émissions de CO2 au niveau mondial. Ici à Bouc-Bel-Air l’entreprise n’a jamais hésité à faire du lobbying pour dépasser les normes environnementales en matière de poussières et de d’oxydes de soufre fixées par l’Union européenne. Sur les 50 sites les plus polluants de France, 20 sont des cimenteries dont cette usine qui produit plus de 444 464 tonnes de CO2 par an et alimente ses fours de milliers de vieux pneus et toutes sortes de déchets toxiques.

Dans nos paysages comme dans nos imaginaires, le béton est devenu la norme sous la pression des lobbies et la complicité des pouvoirs publics. Il est au coeur des projets les plus aberrants de la dernière décennie : Chantiers du Grand Paris et des JO 2024, aéroport de Notre-Dames-des-Landes, extension de la carrière de Château-Gontier en Mayenne, ou encore à quelques kilomètres d’ici, bétonnisation des terres agricoles de Pertuis.... Puisque le pouvoir se crispe sur ses ressources et ses grands projets, puisqu’il invente même le terme d’éco-terrorisme pour légitimer sa traque des militant•e•s écologistes, puisque aujourd’hui
rien ne les arrête, nous les arrêterons nous mêmes. Mettre en échec par les moyens adéquats les projets écocidaires d’aménagement du territoire et détruire les infrastructure qui les rendent possibles sont les seules options pour rendre le monde à nouveau désirable.

Nous ne voulons pas d’éco-capitalisme colonial, d’économie de guerre ou d’une transition écologique cynique et manipulatrice. Voilà pourquoi nous avons attaqué Lafarge-Holcim aujourd’hui.

Bouc-Bel-Air, le 10 décembre 2022

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