« Pour un déconfinement néolibéral »

Ce qu’Emmanuel Macron annoncera ce soir

Jacques Fradin - paru dans lundimatin#238, le 13 avril 2020

Partons d’une proposition initiale :
Le coronavirus s’est « échappé » du laboratoire politico-économique du néolibéralisme, déforestation, agriculture industrielle, déplacements accélérés et hors limites, délocalisation des chaînes productives, la grande externalisation, la globalisation.
Nous supposerons cette proposition démontrée.

[La suite de cet article a été publié ce mardi : Ce que Macron n’a pas annoncé lundi soir.]

Proposition qui n’a rien à voir avec une thèse complotiste : le laboratoire politico-économique désigne le gouvernement économique du monde globalisé, dont on peut, soit raconter l’histoire, erratique ou chaotique, soit formuler une analyse plus théorique, l’analyse du néolibéralisme autoritaire, ce qu’il faut nommer despotisme économique [1].
L’épidémie virale est un effet externe du développement économique en régime néolibéral de globalisation ; et où la destruction méthodique des systèmes de santé publique joue un rôle prépondérant.
Raisonnons alors en termes économiques et en respectant la logique du gouvernement néolibéral.
Le développement économique, la croissance, ne peuvent être mis(es) en cause ; ils (elles) sont indiscutables.
Ce développement, utile et nécessaire, génère des effets externes ; comme la pollution ou le réchauffement climatique, effets plus ou moins dommageables ou coûteux.
La seule question étant celle du coût économique ; la question du « coût humain » n’étant qu’un appendice de la question du coût économique, celui de « la valeur de la vie » (valeur au sens comptable, évidemment).

Le grand problème, compliqué, est, alors, celui de l’évaluation des dommages (style compagnie d’assurance), puis de l’intégration de cette mesure dans une comptabilité coûts / avantages.
On connaît bien les dogmes, les analyses, les méthodes qui permettent l’intégration de « l’environnement » ou des problèmes environnementaux (les cas typiques d’effets externes) dans la comptabilité économique.
On parle « d’internalisation » des effets externes.
Sans rentrer dans le détail de la cuisine économique, disons que le pivot de cette évaluation et intégration internalisation est la mesure (ou la détermination de la valeur économique) de la vie humaine.
L’économie étant, de principe, inégalitaire, férocement inégalitaire, il est évident (!) que toutes les vies n’ont pas la même valeur !
Et que cette valeur comptable est déterminée par le « revenu monétaire », as usual.
Celui qui gagne beaucoup ou dont la fortune est plus élevée « vaut », évidemment, plus que celui qui gagne peu ou n’a rien.
Ce principe élémentaire s’applique partout.
Appliquons-le donc à cet effet externe qu’est l’épidémie virale.
D’abord, parler d’effet externe signifie que la marche de l’économie est la chose essentielle ; entre crise sanitaire & crise économique le choix cornélien est tranché en faveur de l’économie ; combien coûterait une crise économique, même en termes de vie humaine ?
Montrons, maintenant, que cette épidémie est certainement une bonne méthode, quoiqu’involontaire, pour résoudre le casse-tête des retraites ou, plus exactement, de l’allongement de l’âge moyen de la vie.
Travaillons donc comme un économiste.
Et commençons par poser le problème le plus général, celui de « la compétition » entre la crise virale, une grippe un peu violente et surtout concentrée, et la crise économique, découlant du confinement sanitaire.
Alors, est-il « justifié », économiquement ou en termes comptables, d’interrompre la circulation économique, le travail, le développement, pour une grippe, peut-être pas si désastreuse que les médias excités ont pu le clamer ?
Travaillons en économiste.
Regardons les statistiques.
Puis, sur cette base de données empiriques précises, effectuons un calcul de risque.
Globalement le taux de mortalité n’est pas très élevé ; guère plus qu’une grippe violente, le problème étant celui de la concentration, le fameux problème « des pointes ».
Maintenant, ce taux de mortalité est très différencié.
Et c’est cela qui importe.
La mortalité, ou la surmortalité, augmente avec l’âge.
Grossièrement le risque de mort augmente après 60 ans et fortement après 70 ans.
On peut donc décomposer la population en DEUX groupes.
Le groupe à risque, grossièrement les retraités.
Or ces retraités ne travaillent pas ou moins ou mal. On peut donc les exclure.
En leur imposant un long confinement, justifié par le risque et « l’humanité du gouvernement », qui aime tant les vieux !
Par exemple, un confinement pour les plus de 65 ans (mettre l’âge de la retraite) jusqu’à la découverte d’un vaccin ou d’une thérapie supportable (d’ici un an ?).
Maintenant, l’effet mortel du virus sur les populations âgées (ou en EHPAD) peut être considéré comme « une bonne nouvelle » évangélique ; là se trouve une solution, disons partielle, du problème des retraites.
Vive le coronavirus !

Arrivons alors au second groupe, de risque moindre ou faible (mais pas nul).
Il n’est plus justifié de maintenir le confinement : le travail peut et DOIT reprendre.
Et les écoles doivent rouvrir si l’on veut que les parents travaillent convenablement ; ou même plus « récupèrent » le temps perdu.
Le déconfinement doit donc être décomposé en deux groupes de risque.
Les « jeunes » qui vont reprendre le travail.
Cependant sous menace virale ; cette menace virale pouvant servir à accroître l’autoritarisme patronal ou gouvernemental.
Les « vieux » que l’on maintiendra en confinement. Et qui ont été soumis à une « purge », hélas partielle, quoique bénéfique pour le système économique.
La gestion économique de l’épidémie pourra alors se centrer sur la manipulation de la PEUR (gestion de crise typique).
Peur dédoublée.
Peur de la mort virale ; mais qui ne concerne plus les économistes, maintenant qu’ils ont « dompté » l’épidémie, en la réduisant à des comptes.
Peur de la mort économique : chômage, faillites, endettement, rupture des chaînes, etc. Et c’est cette seconde peur, la seule qui concerne les économistes, qui devra être mise sur le devant et monter en puissance.
Pour faire accepter, plus, réclamer, le retour au travail, sous surveillance à la chinoise, des « jeunes » à faible risque (statistique).
On peut même imaginer que « le droit de retrait », pour raison sanitaire, soit invalidé systématiquement (toujours le calcul du risque).
Le gouvernement néolibéral a été pris par surprise par cet effet externe et, surtout, par son effet médiatique (pourquoi une grippe déchaîne-t-elle les passions ?).
Mais, désormais, la reprise en main avance correctement ; après de nombreux cafouillages, si classiques des bureaucraties.

Et le gouvernement pourra dire : ouf ! ce virus a été notre meilleur ami pour la transformation, de plus en plus autoritaire, du gouvernement du despotisme économique.

[1Lire Lundi Matin, LM 203 à 206, du 6 août 2019 au 9 septembre 2019, Qu’est-ce que le despotisme économique ?

Jacques Fradin Économiste anti-économique, mathématicien en guerre contre l'évaluation, Jacques Fradin mène depuis 40 ans un minutieux travail de généalogie du capitalisme.
lundimatin c'est tous les lundi matin, et si vous le voulez,
Vous avez aimé? Ces articles pourraient vous plaire :