Une guerre et un vagabond

« Pour en finir avec ce monde et son langage, ceci est une contribution à la guérilla en cours. »

paru dans lundimatin#105, le 23 mai 2017

[Texte construit en parti par la déconstruction de : Artaud, Le Théâtre et son double - l’Ombilic des limbes. Bataille, Histoire de l’œil. Blanchot, La part du feu. Burroughs, Les garçons sauvages. Lautréamont, Les chants de Maldoror. Nietzsche, Le crépuscules des idoles- Généalogie de la morale. Walser, Le Brigand. Marc, L’évangile.]
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Pour en finir avec ce monde et son langage, ceci est une contribution à la guérilla en cours. Un paysage de lave morte et de poussière d’ossements, la nuit qui résonne en permanence ; le tombeau est désormais creusé. Les temps messianiques ont frappé ; les temps des derniers hommes. Ceux qui s’obstineront à comprendre n’auront rien compris. Quand vous lirez ceci, je serai déjà loin, parti pour Croatan.

*

LUI- Je parle à présent de ce qui pourrait bien être une dépravation, une force de destruction et de dissolution de l’humanité, un attentat contre l’avenir de l’homme, l’innocence du devenir.

ELLE - Ne savez-vous donc toujours pas vous-même ce que vous voulez dans la vie ? Pourquoi êtes-vous là ?

LUI –La vie n’a aucune espèce d’existence choisie, consentie, déterminée ; elle ne demeure qu’un instant incomplet. C’est une maladie, mais au sens où la grossesse en est une. Comment réagiront mes organes ruinés ? Je ne sens pas la vie, la circulation de toute idée morale est pour moi comme un fleuve asséché. Même pour arriver à l’état de suicide il me faut attendre le retour de mon moi.

*

Un certain nombre de choses dans ces pages paraitront encore mystérieuses au lecteur, comme je l’espère bien, disons-le, car si tout était déjà bien en place, ouvert à la compréhension, le contenu de cet écrit vous ferait déjà bailler ; quelque chose passe ou ne passe pas. Il n’y a rien à expliquer, rien à comprendre, rien à interpréter. Ce texte s’adresse aux confus de l’esprit, aux aphasiques par arrêt de la langue nés d’un père syphilitique. Pour construire mécaniquement la cervelle d’un conte somnifère, il ne suffit pas de disséquer l’intelligence du lecteur de manière à rendre ses facultés paralytiques pour le reste de sa vie (il n’y a donc pas à compter sur le néant pour en finir). À présent je me calme, je m’adoucis, je me fais tout petit…

*

ELLE - Quel est votre nom ?

LUI- Mon nom est légion, car nous sommes nombreux.

ELLE- Alors êtes-vous un être humain ?

LUI - Qu’est-ce que tu veux que ça me foute ? Nous sommes tous fous, désespérés et malades.

ELLE - Qu’y a-t-il donc en vous pour que vous puissiez encore vous supporter ?

LUI - Une espèce de déperdition constante du niveau normal de la réalité.

ELLE - Racontez-moi comment ça vous est arrivé ?

LUI - Après quinze ans de débauches de plus en plus graves, j’abouti au camp de torture. Assis sur un meuble informe, je n’ai pas bougé mes membres depuis quatre siècles. Mes pieds ont pris racine dans le sol et composent, jusqu’à mon ventre, une sorte de végétation vivace, remplie d’ignobles parasites, qui ne dérive pas encore de la plante, et qui n’est plus de la chair. Autour de moi tout pu l’amour, la viande et la merde. Je préfère porter ma main aux seins des jeunes filles plutôt que de m’accrocher à quelque chose comme l’amour ou l’espoir.
Elle le regarde comme si elle allait dire : « Encore ce type impossible ».

ELLE -Que faites-vous exactement ? Vous gardez les trésors du roi d’Arthurzoulatacosie ? Hein ? Vous ne dites rien ?
Il lui donne un coup de pied et lui fend un œil. L’infâme vilain, le visage souillé de salive et de sang, prend la fuite. Un peu plus loin, face à l’immensité, il s’arrête.
LUI (criant des insanités comme pour annoncer le monde à venir) - Nous sommes les loups hurlants aux portes de la cité, derniers d’une race maudite. Ceci est notre prophétie ; tolérant seulement désordre et excès. Notre existence est la condamnation de l’empire de l’Un. Viendra la nuit de la folie, sabbat des mutants, l’impersonnelle énergie insurrectionnelle du désir qui mettra fin à la domestication. Le temps est arrivé, abandonnons le monde à l’énigme et au chaos. Livrons-le aux sorciers et à l’intoxication. Assumons notre dégénérescence, notre abomination, notre abondance de mauvais sang. Nos meutes se répandront comme la peste, voyageant vers l’inconnu, mettant les villes à sac, pillant tout sur notre passage ne laissant que ruines derrière nos orgies.

*

Les survivants, devenus hystérique suite à la prolongation démesurée de ces pages, prirent le maquis, d’autres partirent dans le désert ou dans les montagnes et y développèrent plusieurs formes-de-vie et de nouvelles techniques de combat. Ils avaient brisés les chaînes et broyés les entraves, et personne n’était capable de les dompter. La nuit est longue et sombre pour ceux qui attendent la fin d’un monde.

Les enfants de Denis Vanier, Montréal

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