pestant, pestant, pestant,
contre le fait du prince,
contre les abus des pourris,
et tu ricanes jaune acide,
le cœur splash, le cœur splash, le coeur splash,
tu tournes en rond dans ta carrée,
tu t’arrêtes devant la fenêtre,
le soleil rasant brique le schiste mouillé des ardoises,
le bleu inhabituel du ciel te désaxe,
tu es une planète sans orbite divaguant dans l’espace intersidéral,
tu rêvasses dans le plus simple appareil,
tu t’habilles,
le caleçon,
les chaussettes,
le pantalon,
la chemise,
le cuir nickel,
les bottines cirées,
tu es tout beau tout propre,
tu te gomines,
tu brilles comme une pierre de lune dans le caniveau,
tu fourres ton Bukowski dans la poche de ton cuir,
jouer du piano ivre,
comme d’un instrument à percussion,
jusqu’à ce que les doigts saignent un peu,
et tu aimes,
cynique,
vulgaire,
brutal,
et tendre,
si tendre,
tu aimes,
putain que tu aimes cette putain de vie,
même si parfois comme chacun l’envie de te tirer une balle te démange,
vite une rasade de rhum dans le gosier pour pouvoir encore,
putain que tu aimes cette putain de vie,
et go go go t’y go.
Vers la parodie de quelque part un gogo s’en allait incognito.
Travelling sur la vitrine aux paons en éventails.
Au loin les lions rugissent sur les étendards qui claquent aux rafales.
Tu longes le parc du rectorat et descends l’interminable
Rue Cap,
dans ton dos irradie un soleil fraise,
l’horizon est rouge d’un sang qui n’est pas le sien,
prière pour inhumer l’inhumain en chemin,
les oiseaux twittent à tire-larigot,
tu n’es ni triste ni allègre,
à peine désespéré.
Tu shootes dans un sac poubelle en levant les yeux au ciel avec un sourire satisfait,
os de poulets,
pots de yaourt,
épluchures moisies,
gras de jambon
marc de café,
mégots.
A hauteur du 152,
tu croises un fou piqué à la poésie,
tu ne le salues pas,
peur de réveiller le fantôme du borgne universel mangeur de sel sommeillant dans les ruines de sa raison.
La raison qui rend dingue et flingue.
La raison qui rend dingue et flingue.
La raison qui rend dingue et flingue.
Place Villers,
tu ramasses un fer à repasser dans l’herbe,
et un joint pas fini,
tu t’assois sur le banc de l’abribus,
tu rallumes et finis le joint
dans tes mains le fer accroche les derniers rayons du soleil,
le fer brille,
tu aimes son éclat,
sa poignée est du même bleu que le bleu inhabituel du ciel,
tu aimes ce bleu,
tu le retournes dans tous les sens,
c’est un fer de marque SIPRATIC,
tu mates sa molette avec des crans et des mots,
arrêt,
nylon,
rayon,
soie,
laine,
coton,
toile,
tu tournes la molette,
dans un sens et dans l’autre sens,
et encore,
et encore et encore,
jusqu’à t’arrêter sur Arrêt,
le câble reliant ton beau fer bleu SIPRATIC au réacteur nucléaire est cisaillé net,
pas grave,
tu ne repasses jamais,
comme l’histoire,
tu ne repasses jamais,
ni les plats ni les torchons,
ni l’amour ni rien.
Tu restes un peu,
assis là,
sur le banc de l’abribus,
ton beau fer bleu à la main,
des électrochocs vrillent tes nerfs,
une main poilue broie ton cerveau
comme une vulgaire paire de couilles
à faire passer aux aveux
dans les affres obscures d’une cave illibérale,
et tu souris en cédant ta place
à une belle femme enceinte.
Ton beau fer bleu SIPRATIC à la main,
tu descends l’interminable
rue Cap.
A hauteur du 93, tu entends hurler à travers les murs de l’hôpital psychiatrique :
Vas en enfer avec ton amour en conserve !
Vas en enfer avec ton amour en conserve !
Vas en enfer avec ton amour en conserve !
A hauteur du 83, tu croises un regard implorant planqué dans une bouche d’égout.
A hauteur du 75, l’éternel chien agonisant somnole sur le trottoir.
Tu marches sur des œufs pour ne pas faire d’omelette avec la vie alentour.
Tu te recoiffes devant la vitrine aux froufrous.
Et tu entres à l’Antirouille,
le bar de quartier du quartier.
Tu poses ton beau fer bleu SIPRATIC au coin du comptoir,
et ton cul sur un tabouret,
et tes coudes sur le comptoir,
et tu regardes autour de toi.
L’Antirouille déborde et dégueule sur le trottoir ses buveurs bavards et excités.
Du bon vieux son saturé déchire l’air où flottent des nuages de fumée.
Les amants de Mathusalem sont là,
au fond du bar,
penchés l’un vers l’autre,
partageant un avant-dernier café,
s’accrochant des yeux,
suçant leurs gencives édentées,
crachant leurs poumons dans des râles secs.
Le patron te sert une bière forte sans te demander ton avis,
il connaît tes habitudes,
et tes habitudes,
les bonnes comme les mauvaises,
sont l’antidote à l’effondrement qui te guette de tout point de vue.
Des pensées de con te traversent.
Des pensées de con te traversent.
Des pensées de con te traversent.
Tu bois ta bière d’une traite,
tu fermes les yeux,
tu caresses l’acier de ton beau fer bleu SIPRATIK
et tu tombes dans ta tête
comme une fleur arrachée par la tempête
au fond d’une gorge où gisent souvenirs et mensonges.
Tu zones dans la poussière torride d’un bidonville,
dans un air jour et nuit saturé de vapeurs de pneu cramé,
des miliciens patrouillent kalach en bandoulière,
les vautours te font les yeux doux,
les tambours battent,
tu observes les pauvres oser l’impossible pour ne pas crever,
tu as l’intuition qu’il n’y aura jamais de miracle dans la cour des miracles,
la misère t’ouvre grand ses bras maigres et vérolés,
tu bois dans des calebasses de la bière de mil tiède et dégueulasse en mangeant des racines frites,
pour apaiser ta peur tu cours de fille en fille que tu dédommages en échantillons de Chanel,
tu dors où tu t’écroules de fatigue,
tu n’en peux plus,
ça dure des jours et des jours comme ça,
jusqu’au jour où tes lèvres ton nez tes arcades explosent sous les coups d’un boxeur,
tu entends les parieurs hurler à ta mort,
blanc égaré tu enfiles la peau d’un nègre lynché,
tu reviens à la conscience sur un tas d’ordures,
tu penses à Rimbaud,
tu penses que tu n’étais pas sérieux quand tu avais 17 ans,
tu ouvres les yeux et tu souris,
au fond du nouveau verre de bière forte attendant tes mains tes lèvres
un scaphandrier crache des bulles d’or.
Une femme aux yeux fiévreux te regarde,
elle enlève son foulard orné de vanités,
elle s’approche de toi,
elle effleure tes lèvres de ses lèvres,
elle noue son foulard autour de ton cou et s’en va,
te laissant seul dans le parfum du patchouli.
Tu bois ta bière d’une traite,
tu fermes les yeux,
tu caresses l’acier de ton beau fer bleu SIPRATIK
et tu tombes dans ta tête
comme une fleur arrachée par la tempête
au fond d’une gorge où gisent souvenirs et mensonges.
Tu fais l’amour avec un agent du Mossad sous un cèdre du Liban pour payer ton passage en terre sainte,
tu bois dans une taverne clandestine de Nazareth avec un franciscain défroqué qui a beurré les tartines des stars sur le Queen Elizabeth,
tu bois de l’absinthe et fume du kif sur les contreforts du Rif avec un soufi qui te sert de guide dans une transe hantée de djinns et d’équations,
dans le no man’s land du mur de Berlin ouvert aux touristes tu danses avec des voix zombies dans les tripes,
tu es toujours prêt à faire n’importe quoi avec n’importe qui n’importe où,
tu cours gavé de champignons sacrés derrière un sherpa qui porte un frigo dans les escaliers de l’Himalaya,
tu croupis quelques temps dans les geôles de Darjeeling,
tu te baignes dans les bains d’Aphrodite en te branlant comme un damné,
tu entends Zeus citer Dante pour dire qu’il est temps d’arrêter de jouer avec tes fictions,
tu entends un perroquet citer Parménide pour rappeler que le temps est un enfant qui joue aux dés,
tu entends le grabataire Hölderlin répéter en boucle qu’il n’y a plus de saisons,
tu ouvres les yeux et tu souris,
et d’un froncement de sourcils tu demandes une nouvelle bière forte au patron,
marmonnant la même vite sinon le scaphandrier va suffoquer au fond du verre vide.
Un aveugle surgit de la nuit tombée dehors,
canne blanche et lunettes noires,
il s’installe au comptoir auprès de toi,
et il te raconte qu’il a photographié des éclairs une nuit d’orage,
mais ces idiots du labo ont voilé la pellicule,
bref il aurait mieux fait de prendre le train numérique en marche,
et il te balance des trucs et des trucs,
la France va mal,
les femmes sont l’enfer de l’homme,
l’amour est un caniche en flammes,
le monde n’est qu’une copie floue du Monde majuscule,
et il verse une rasade d’un flacon dans son café,
le rhum coule à flots,
le vieux roublard nargue le patron,
le patron qui te sert une autre bière forte,
et tu regardes les sirènes abîmées qui se pavanent dans les bulles qui se dissolvent à la surface de ton verre.
Tu vas pisser dans les chiottes aux murs graffités,
tu vois à moitié double,
et tu retournes vite prendre ta place au comptoir.
Car souvent qui va pisser perd sa place.
Car souvent qui va pisser perd sa place.
Car souvent qui va pisser perd sa place.
Tu bois ta bière d’une traite,
tu fermes les yeux,
tu caresses l’acier de ton beau fer bleu SIPRATIK
et tu tombes dans ta tête
comme une fleur arrachée par la tempête
au fond d’une gorge où gisent souvenirs et mensonges.
Tu penses qu’il y a trop de poètes morts qui nagent dans le labyrinthe où circule ton sang,
et tu revois tes enfants sortir d’entre les cuisses des femmes que tu as aimées,
et tu revois ton père mourir,
et tu revois ta mère pleurer,
et tu revois les visages de tes amis crucifiés au fond des impasses,
et tu repenses à cette grosse liasse piquée à une mémé,
le prix de ta liberté provisoire,
un mal pour un bien,
et tu te dis merde demain matin faut que j’aille trimer,
merde, merde, merde,
demain matin faut que je me lève pour gagner ma pitance,
bordel, bordel, bordel,
et tu ouvres les yeux et tu souris au patron qui te sert une nouvelle bière forte.
Une punk aux cheveux verts que nul n’a jamais aimé
fait l’étoile de mer sur son tabouret
en serrant dans ses branches le spectre d’une star filante.
Tu es le brouhaha !
Tu es le brouhaha !
Tu es le brouhaha !
Tu bois ta bière d’une traite,
tu fermes les yeux,
tu caresses l’acier de ton beau fer bleu SIPRATIK
et tu tombes dans ta tête
comme une fleur arrachée par la tempête
au fond d’une gorge où gisent souvenirs et mensonges.
Tu ne penses plus à rien,
tu es abruti,
tu sors sur la terrasse où les buveurs fument et boivent,
tu tapes une clope à tu ne sais qui,
tu fumes,
ton cerveau danse la gigue et se cogne contre les parois de ton crâne,
tu penses que ce soir tu ne vas pas t’éterniser jusqu’à la fermeture,
ça ne sert à rien,
il ne se passera rien,
ce soir comme tous les soirs l’évidence ne sera pas au rendez-vous,
ni ici ni ailleurs,
tu es trop bourré,
tu regardes la pleine lune qui brille dans la nuit,
tu la trouves tellement belle,
tu le dis à une jeune fille accoudée à l’armoire électrique,
la jeune fille te regarde comme si tu étais un demeuré
elle t’explique qu’elle ne baise qu’avec les étrangers,
les étrangers en ont une plus grosse,
c’est scientifique,
elle abhorre la bite de terroir,
elle porte aux nues la bite exotique,
tu n’as pas d’argument à lui opposer,
tu n’as pas envie de lui dire que tu es plus étranger qu’un étranger,
ni même que tu te fous de ta bite encore plus que du reste,
tu soupires,
tu crois voir un scaphandre abandonné sur le trottoir,
et tu penses que le scaphandrier c’est peut-être toi,
tu ramènes ton verre vide au comptoir,
tu vas pisser,
tu reprends ta place au comptoir,
tu fermes les yeux,
et tu pleurs.
Des larmes de toute nature coulent sur tes joues comme sur tes jours.
Tu sors un gros billet pour payer,
le patron te rend des petites pièces.
Mais il te reste un bout de papier dans les mains,
un bout de papier couvert de mots délavés,
tu les murmures de ta voix étouffée par l’Antirouille
où règne le vacarme de la foire aux monologues
du grand (vendredi) soir :
J’ai grandi parmi les méfaits musicaux des féeries atroces,
Buvant le lait violet des licornes de la damnation,
Pratiquant un érotisme cosmique avec l’impossible,
Bâtissant des palais d’ossements dans les frondaisons du réel...
Mais soudain l’envie de valser hors zone te prend à la gorge,
et tu te casses,
cassé, cassé, cassé.
Titubant vers ta carrée qui pue l’acide intérieur,
entamant ta lente remontée de l’interminable
Rue Cap,
égaré dans des pensées qui fuient comme des seaux percés.
Tout cramer Tout cramer Tout cramer,
vitrines et voitures,
Tout couper Tout couper Tout couper,
câbles et fibres,
Tout casser Tout casser Tout casser,
réverbères au molotov,
caméras à la fronde,
feux à la batte.
Tu marches dans la nuit noire de ta rue comme en terre sainte,
loin de la nature sauvage comme de la campagne bucolique,
loin de la voûte guère étoilée,
loin de tout cinéma,
et tu ne sais pas qui tu es l’as-tu jamais su ?
Tu marches dans la rue noire,
ton beau fer bleu SIPRATIC est resté sur le comptoir de l’Antirouille,
tu titubes raisonnablement sans croiser personne sur le trottoir,
et comme une ardoise arrachée au toit par la tempête,
tu retombes dans ta tête comme au fond d’une poubelle.
Tout hacker Tout hacker Tout hacker,
codes saturant la bibliothèque de Babel,
symboles numéros lettres gribouillis,
portails blindés,
tu as poncé tes empreintes digitales,
tu as trafiqué ton identité numérique,
tu as passé tes iris au laser trompe l’œil,
tu portes un masque plus réel que ton visage,
mais tu ne sais pas qui tu es l’as-tu jamais su ?
Tu résistes à la tentation du dernier kebab avant de sombrer
dans les bras de Morphée
comme dit ta petite pute IA
qui se prend pour une poète éprise de liberté.
Et tu montes les escaliers.
Et tes clés cliquètent en cherchant la serrure.
Et ta porte grince et s’ouvre.
Clair-obscur intérieur propice aux révélations.
Mais c’est toujours la même rengaine.
Poésie partout, poème nulle part !
Poésie partout, poème nulle part !
Poésie partout, poème nulle part !
Tu t’écroules sur ton grabat en marmonnant.
Tu cherches dans ta tête une bonne histoire à raconter à tes semblables.
Mais c’est trop tard,
déjà tu dors,
ivre mort.
Illustration : Sébastien Thomazo