Un nouveau mandat pour Erdogan - la lutte des Kurdes continue

Regard d’une observatrice sur la séquence électorale turque
Nathalie Athina

paru dans lundimatin#386, le 6 juin 2023

C’est en observation du processus de vote à l’appel du HDP, que nous nous étions rendus au Kurdistan turc, dans la ville de Van.
Plusieurs délégations internationales avaient effectué le voyage dans plusieurs villes de Turquie, dans le but d’apporter un regard scrutateur, dans un pays ou la fraude électorale est monnaie courante, et mettre ainsi une pression morale sur le parti de droite autoritaire au pouvoir depuis 20 ans.

Dès l’arrivée au petit aéroport, nous sommes mis au parfum sur le tarmac : “bienvenue au Kurdistan !” nous souffle un agent de piste.

C’est donc bien en terre occupée que nous avons atterri. Les checkpoints que nous traverserons plus tard, attesteront de la surveillance renforcée de l’Etat turc sur cette région où les kurdes sont majoritaires, et donc craints par le pouvoir.

Au fil des visites de villages de montagne, des petits déjeuners pris en commun avec les habitant.es, des danses toujours profondément inspirées par la lutte, des discussions interminables autour du célèbre çaï ( thé ) kurde – il paraît que c’est le meilleur du monde si on en croit les kurdes – on se rapproche peu à peu de la compréhension du calvaire que vit cette population opprimée.

Plus de 42 millions de Kurdes sont répartis dans le monde, et sont pourchassés, niés par les états, sans espoir immédiat de pouvoir vivre en paix.

Les histoires de vie sont toutes chargées de souffrance, même si elles sont racontées avec le sourire, dans des échanges surréalistes, tant ils sont révélateurs de la haine répressive subie quotidiennement.

Chez Mehmet, nous passerons une nuit. Mehmet n’a pas d’âge, il est usé et aveugle, c’est en prison qu’il a perdu l’usage de ses yeux, faute de soins. Il parle fort pour compenser, et répète inlassablement le mot “ kurdish”, comme un mantra réaffirmant l’identité qui lui a été interdite. Sa fille est morte dans un bombardement des trucs sur le Rojava, elle était partie “dans les montagnes” pour combattre, à l’instar de beaucoup de jeunes kurdes qui se vouent corps et âme à la seule chose qui puisse faire bouger les choses. La lutte armée.

Dans la ville d’Erçis, Kadir lui, nous parlera de Danielle Mitterrand ( qui avait soutenu la cause Kurde ). Il voit encore la France comme une alliée inconditionnelle de la cause, et aura les larmes aux yeux quand nous lui dirons “ il est essentiel que les kurdes retrouvent leur liberté”. La moindre manifestation de soutien, prend à ses yeux une importance capitale.

X., jeune anarchiste venu pourtant soutenir la campagne électorale, expliquera que son objectif est de voir la chute du dictateur, mais que dès le lendemain de l’élection et quel qu’en soit le résultat, il se préparera à partir dans les montagnes afin de combattre pour la liberté de son peuple.

La conscience est forte dans la jeunesse, qui globalement avait accepté de participer à un processus auquel elle n’accordait finalement aucun crédit, le vote, dans le but d’ouvrir une fenêtre potentiellement moins répressive. Mais avant tout, pour faciliter potentiellement l’organisation des kurdes, l’autodéfense et la lutte des idées et celle du terrain, le projet démocratique porté au Rojava étant évidemment le fer de lance de cette jeunesse engagée, qui voit l’Etat capitaliste et fasciste, qu’il soit turc ou autre, comme la racine du problème, pour les kurdes et pour le monde.

Un lundi matin amer

Au lendemain du premier tour, les regards étaient fermés au QG du parti Yesil Sol (YSP, parti pro kurde), à Van.

Le YSP est le parti rejoint par les militants du PKK, menacé de dissolution à la veille du dépôt des candidatures officielles.

Il faut comprendre que l’espoir était immense, guidé par la certitude que l’heure était venue pour Recep Tayyip Erdogan (RTE), président éminemment autocratique, installé au pouvoir depuis plus de 20 ans, de partir, si possible honteusement.

En effet, les sondages (très peu fiables en Turquie) donnaient son rival Kemal Kilicdaroglu, (KK) gagnant d’une courte tête.

Il n’en fût rien au terme d’une nuit interminable, émaillée de hauts et de bas, d’informations folles et contradictoires, et de tension nerveuse pour les militants du parti d’opposition. Même si les retours au moment des premiers dépouillements, donnaient une avance conséquente à RTE, rapidement les tendances s’inversaient ou se resserraient. Au QG du YSP, l’espoir aura été présent jusque tard dans la nuit.

Un second tour joué quasi d’avance aura eu raison des espérances électoralistes.

Certes c’était une première pour Erdogan, qui n’avait jamais été inquiété depuis plus de 20 ans, à tel point que la jeunesse n’aura rien connu d’autre que lui.

C’est bien du vote des jeunes, (environ 5 millions d’électeurs) plutôt tournés vers un changement de politique, que les espoirs étaient permis. Ils n’auront pas suffi.

Si l’on constate un affaiblissement de l’hégémonie d’Erdogan, celui-ci reste relatif.

La campagne populiste du président, distribuant de l’argent à des enfants face aux caméras, organisant des distributions de nourriture aux populations, affrétant des bus de tout le pays pour participer au “meeting du siècle” aura fait son effet.

L’intimidation et la répression auront été les armes utilisées quotidiennement : Des journalistes, artistes kurdes auront été emprisonnés tout le long de la campagne. Le jour du scrutin auquel nous avons assisté, la police et les militaires lourdement armés auront joué leur rôle dissuasif.

Une campagne à l’image d’Erdogan, répressive et autoritaire, bien loin de l’idéal démocratique qu’il prétend représenter.

La participation massive au vote ( courante en Turquie ) a montré que même si l’envie par une partie des électeurs de voir Erdogan éliminé, c’est encore la peur de l’inconnu, et le suivisme d’une politique populiste, autoritaire et paternaliste, amplifiés par les profonds clivages de la population turque, qui l’auront emporté.

Il faut dire que l’emprise du président turc actuel sur les médias est totale.

Tous les médias d’opposition (peu nombreux) étant régulièrement censurés, menacés. Les journalistes osant porter une parole critique tout bonnement emprisonnés et traduits en justice, le message porté par l’opposition aura été très peu mis en avant.

La présence médiatique du président est tout simplement énorme, des sources (France Info entre autres) indiquent plus de 32 heures de parole, contre 32 minutes pour son concurrent !

Dans un tel contexte, la bataille était rude. Et pour quelle perspective finalement ? L’entre deux tours aura vu la droitisation du discours de K.Kilicdaroglu, qui s’est illustré en portant un discours en surenchère de violence sur la situation des migrant.es syriens. Rien à attendre de la classe politique dominante, encore et toujours.

L’issue de cette séquence électorale sonne comme un message d’alerte imminente pour les Kurdes, ainsi que pour toutes les populations opprimées en Turquie.

Il est désormais plus que probable que la répression s’aggrave, et que l’exode de populations fuyant la mort ou la prison, continue plus que jamais. Mais aussi que la lutte armée s’organise face à la violence de l’état oppresseur, pour un peuple criant le droit à vivre libre depuis des décennies.

Nathalie Athina

Toutes les photographies présentes dans cet article sont d’Adrien Giraud, voir son compte instagram.

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