Un été en Cisjordanie

Récit

paru dans lundimatin#383, le 16 mai 2023

Le conflit israelo-palestinien fait partie des évenements politiques avec lesquels on grandit et dont on ne voit pas une résolution rapide. Je suis né en 1993, l’année des accords d’Oslo, j’ai vu au 20h les images de la 2e intifada et ma post-adolescence a traversé l’année 2014, sa guerre entre Israël et Gaza, ses manifestations parfois spectaculaires et ses photos chocs. L’année dernière a été l’une des plus meurtrières pour les Palestiniens. Elle nous ramène à un niveau de violence semblable à celui de 2005, pic de violence et conclusion de la 2e intifada. Alors quand on m’a proposé de rencontrer la société civile de Cisjordanie j’ai dit oui. Retour en mots et en photos sur 5 semaines passées en Palestine lors de l’été 2022.

Tout commence à l’aéroport de Ben Gurion . Je devais rejoindre Jerusalem par la gare qu’il abrite pour y rencontrer des palestiniens Jerusalemites, les écouter témoigner de leur situation, expliquer comment ils doivent justifier en permanence de leur existence pour ne pas perdre leurs quartiers, leur ville qui se fait progressivement coloniser par des personnes, en uniforme ou non, équipées de M16. La gare est à l’image de l’aéroport : moderne, cosmopolite, multiconfessionnelle et militarisée. En prenant le train, les teints bronzés par le soleil et les visages détendus par les activités de loisir disparaissent. Ils laissent place à des croyants chargés en symboles religieux et des militaires fournis en matériel de combat : L’ambiance festivalière, disruptive et progressiste de la capitale reconnue laisse place à la tension et à la suspicion palpable de la capitale revendiquée. Car oui, bien que sur le plan international, ce soit Tel-Aviv qui soit reconnue comme capitale de l’État hébreu, pour les différents gouvernements israéliens depuis 1949 il a toujours été question d’établir Jérusalem comme siège du gouvernement, avec toutes les crispations locales et internationales que cela peut entraîner. Quelques gouvernements étrangers sont venus appuyer cette décision, notamment les Etats-Unis et l’Australie, mais la quasi-totalité de la communauté internationale ne reconnaît pas Jérusalem comme la capitale d’un état et réserve un statut particulier à cette ville.

Ce que l’on observe à l’intérieur de la rame du train n’est qu’en fait un avant goût : Cette ville transpire la religion. La terre entière s’est donnée rendez-vous dans les rues de Jérusalem. On y croise des pèlerins de tous les continents et de toutes les confessions qui marchent dans les rues d’un Jérusalem Ouest très occidental, avec sa rue de Jaffa piétonne et pleine de petites échoppes, son tramway et son centre commercial immense. La plupart des bâtiments sont récents, datant d’après la guerre de 1967. Une fois arrivé vers la porte de Damas on observe l’entrée de la vieille ville, Jérusalem Est. Il s’agit là d’un autre monde. Fini les grandes allées partagées entre les piétons et le tramway. On a là un authentique travail de conservation. La vieille ville a gardé ses anciennes rues couvertes, ses marchés traditionnels et une agitation qui a dû la caractériser de tout temps.

Proche de la porte du Lion, on peut voir l’église sainte Anne où Chirac s’était excité en 1996. Depuis, un écriteau y prohibe la détention d’armes. Car la vieille ville en est remplie. En sillonnant les artères pavées, on croise bon nombre de soldats, constituant des cohortes d’uniformes verts olives, qui patrouillent et établissent des checkpoints. Et c’est sans compter les colons israéliens qui se baladent également M16 en bandoulière. Et même sans attributs martiaux, on peut attester en temps réel de la présence israélienne dans ce qui est légalement un territoire palestinien. En levant la tête, dans certaines rues, la bannière blanche et bleue est arborée par certains bâtiments ou s’installent les colons. La vieille ville c’est aussi celle des objectifs
d’appareil, ceux des touristes, mais aussi ceux des caméras de vidéo surveillance. J’ai été impressionné par cette concentration de caméras qui peut rappeler celle de Londres.

La vieille ville a aussi gardé sa population palestinienne. Du moins en partie. Car être palestinien de Jérusalem c’est devoir justifier son existence, c’est prouver qu’on travaille et qu’on vit bien au quotidien dans la ville sainte pour garder son statut de résident permanent. Car les palestiniens jérusalemites ont certains droits spéciaux que n’ont pas les autres palestiniens. Ils peuvent voter aux élections locales, ils ont plus de facilités à se déplacer en Israël, ont accès à certains métiers, peuvent prendre l’avion à l’aéroport de Ben Gourion et ont théoriquement une plus grande chance de se voir octroyer un permis de construire. Si l’administration israélienne considère qu’ils ne justifient pas assez leur présence à Jérusalem ou qu’ils ne sont pas assez loyaux, comme ça a été le cas pour Salah Hamouri, ils peuvent perdre ce titre de résident permanent. Dans d’autres cas, les expulsions se veulent plus massives et ce sont des quartiers entiers qui sont visés par des mesures administratives. C’est par exemple le cas du quartier de Silwan, petit village dans le sud de Jérusalem.

A côté des petites rues exiguës où l’on peut voir des chats sauvages et des fresques à l’effigie de Shireen Abu Akleh, se situe le centre de jeunesse Al Bustan, sorte de centre aéré où les enfants pratique du taekwondo, dessinent ou s’amusent, proche physiquement, mais loin en pensée, du tumulte provoqué par les décisions administratives et les uniformes.

à suivre..

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