Un contre-G7 au sommet de l’absurde

Retour sur le contre-sommet de Biarritz depuis le Pays basque

paru dans lundimatin#206, le 9 septembre 2019

Nous recevons in extremis ce second récit de la semaine de contre-sommet qui s’est tenue à Biarritz. Si le contenu de ce texte recoupe un certain nombre des constats proposés dans notre autre article « Le pire contre-sommet de l’histoire » - Biarritz ou le triomphe de la non-bataille, l’auteur nous précise la manière dont la plateforme contre le G7 s’est constituée avant d’être selon lui, sabordée par la gauche et recontextualise les évènements dans la réalité politique du Pays basque.

[Photo de Une : Patxi Beltzaiz]

Samedi 24 août à Bayonne. Les rues sont désertes. Les commerces, bars, banques sont barricadées. A chaque coin de rue, sur chaque pont, des camions de gendarmerie, des patrouilles, des fourgons, des barrières anti émeute. Les seuls sons perceptibles sont le bourdonnement des 2 hélicoptères dans le ciel, et le bruit du moteur de la trentaine de voltigeurs qui parcourent la ville.
Bayonne est en état de siège. Depuis environ un mois, l’occupation policière et militaire sur tout le pays basque nord est devenue insupportable.
Seuls face à ce néant, les gens se questionnent, « quelle intérêt à tenter quoi que ce soit, que faire quand la machine répressive et militaire est tellement puissante que rien n’est possible ? ».

Pour répondre à cette question, il faut revenir sur tout le déroulement du contre sommet, et sur les problématiques politiques qu’il a créé.
Car oui, bien qu’il ne se soit rien passé pendant les contestations, la semaine de camping du contre sommet s’est avérée être un véritable laboratoire politique. S’y sont côtoyés altermondialistes, autonomes, indépendantistes, gilets jaunes, anarchistes, socialistes, et tant d’autres militants de tout bords, une expérience inédite.

Mais revenons sur un an de mobilisation au pays basque.
Juin 2018, l’organisation du G7 à Biarritz est officialisée, mais bizarrement l’information fait moins de remous que prévus. Pendant tout l’été, le G7 ne sera qu’un simple sujet de discussion autour d’un événement qui paraît encore lointain.
Vers novembre, une plateforme regroupant 35 organisations, partis, groupes, syndicats se crée et annonce sa volonté de lancer une mobilisation anti G7. La nouvelle passe là encore inaperçue, noyée sous la vague d’évènements entourant le début du mouvement des gilets jaunes. Pourtant, la charte de la plateforme semble prometteuse, il y est précisé que toutes les formes de luttes et modes d’actions seront tolérées, bien que la plateforme n’y prendra pas part. Les altermondialistes locaux, comme « Bizi ! » ou « Alternatiba » décident de ne pas prendre part à cette plateforme (ce qui, il faut le dire, est un soulagement pour la plupart des autres membres).

Le 18 décembre, première visite officielle, Jean Yves le Drian vient à Biarritz pour préparer le sommet. En pleine mobilisation des gilets jaunes, une grande manifestation est organisée, qui se solde par une blessée grave, et des dizaines de blessés dus aux flash-balls, grenades et gaz. C’est la première répression d’ampleur du G7 (et celle qui a fait le plus de blessés, plus que pendant le contre-sommet) et elle soulève un vent d’indignation au pays basque. Les gilets jaunes locaux décident à ce moment-là de se mobiliser tout au long de l’année contre ce sommet.


En janvier, un mouvement de jeunes contre le G7 se créé, nommé « Oldartu ». Impulsé par la jeunesse indépendantiste basque, il est présenté comme une dynamique ayant pour objectif de rassembler les jeunes basques venus de différents courants politiques du pays basque nord. Jusqu’en mai, il ne se passe pas grand chose d’intéressant. La plateforme organise, mobilise, cherche longtemps un endroit pour organiser un campement et des conférences. A partir de mai-Juin, des doutes commencent à se faire sur la réelle volonté des organisateurs de la plateforme de mobiliser massivement et de contrer le G7. D’une part un collectif « Bloquons le G7 » est créé avec la promesse d’organiser 7 points de blocages autour de Biarritz le 25 aout, mais d’autre part, les discussions en interne de la plateforme et des organisations politiques basques laissent planer certains doutes sur cette intention.
Une fuite de mail, (jusqu’à présent jamais révélée) montre des consignes envoyées par Sortu (principale organisation politique de la gauche indépendantiste institutionnelle) à ses militants, insistant sur le fait qu’une nouvelle phase d’activisme politique commencera avec le G7, symbolisé par des liens renforcés avec les altermondialistes de Bizi, et en reprenant leur stratégies de lutte.

Bizarrement, après l’envoi de ce mail, les militants de la gauche indépendantistes changent soudainement de comportement. Jusqu’ici conciliant avec leurs ennemis politique pour organiser un contre G7 digne de ce nom, ils prennent leurs distances. Dans la même logique, ils poussent à la dissolution de la dynamique jeune contre le G7 « Oldartu » et arrêtent complètement de s’y impliquer. L’ère des compromis politiques semble terminée pour eux. Ce changement de stratégie de la gauche indépendantiste influencera beaucoup le déroulement du contre sommet, mais nous y reviendrons plus tard.

Pendant tout ce premier semestre, les appels à se mobiliser se multiplient. La semaine intergalactique (traditionnellement faite fin août à la ZAD de NDDL) sera déplacé pour l’occasion à Hendaye pour le contre sommet, annoncent les autogestionnaires du réseau « Aman Komunak ». On comprendra au fur et à mesure de l’évolution de l’organisation que cette semaine serait entièrement intégrée au programme de la plateforme.
Faisons un petit saut dans le temps, nous nous retrouvons au 13 juillet, à Biarritz, pour la première « Grande manifestation » contre le G7. Il s’agira d’un flop non assumé. Un millier de personnes à peine, alors que les appels du Pays Basque sud mobilisent d’habitude beaucoup plus de monde. Les altermondialistes de Bizi, à leurs habitudes, après n’avoir en rien participé à l’organisation de la manifestation, se ramènent avec des centaines de drapeaux verts de leurs logos, et se positionnent sur les premières lignes. Le défilé ressemble plus à une marche funèbre qu’a une manifestation, tant il ne s’y passe rien (à l’exception d’une banderole déployée, avec le message en basque « Face à ceux qui détruisent nos communes, insurrection ! »).

Et nous arrivons dans la dernière ligne droite, le dernier mois avant le contre sommet.
A quelques semaines du G7, alors que tout le travail pénible de la plateforme avait été fait, Bizi et Alternatiba décident finalement d’intégrer la plateforme. Ni une, ni deux, la société civile basque, les journaux, les radios, jusqu’à là assez muets sur le sujet, se mettent à multiplier les interviews de militants altermondialistes, à présenter la plateforme et le contre sommet. Et malheureusement, l’arrivée de Bizi suppose un nouveau discours médiatique complètement remanié. La tolérance de toutes les formes de luttes est remplacée par un « consensus d’actions » et un discours dominant ne parlant que de pacifisme et de non violence. Parallèlement, les gilets jaunes annoncent l’acte 41 à Biarritz mais ne communiquent quasiment pas sur le sujet. Mais comment la plateforme a-t-elle pu se laisser envahir par ces altermondialistes ? Eux qui en quelques réunions, venaient en nombre pour pouvoir putscher les décisions ?
Ils ont été intégré avec l’aval de la gauche indépendantiste qui leur préparait le terrain depuis un bon moment (Gauche indépendantiste qui tenait un bon nombre d’organisations et syndicats présents dans la plateforme).
En un mois, le nouveau politburo de la plateforme s’occupera de défaire tout ce qui avait été construit d’intéressant, s’embrouillant avec la legal team, supprimant des financements pour le village des gilets jaunes, et concentrant toutes les arrivées d’argent sur le financement des conférences dans un bâtiment luxueux de Irun.
Pendant la semaine avant le début du contre sommet, la présence policière devient invivable. Beaucoup de basques partent en vacances. Avec l’aide des polices espagnoles, de drones, d’hélicoptères, la police contrôle un territoire très vaste. Dans le village d’Ascain, une mobilisation spontanée se fait contre l’occupation policière. Au village d’Ustaritz, une effigie du G7 et des palettes sont brulées devant un lycée hébergeant des militaires. Un sentiment populaire d’envie de bloquer se G7 commence à se sentir.

Et c’est ainsi que commence le contre sommet, avec l’ouverture du campement le 19 août. Les cantines bénévoles s’occupent de préparer des milliers de repas pour les arrivants qui se font de plus en plus nombreux (la nourriture est entièrement préparée gratuitement, la plateforme ayant décidé de mettre toute l’argent dans l’invitation de Cécile Duflot ou autres intellectuels autoproclamés à ses conférences). Le premier jour, rien de très intéressant, le montage du camp et du contre sommet prend beaucoup de force à tout le monde, des amis se retrouvent, les gens se rencontrent, les infiltrés infiltrent.

Mardi 20 août :
Des tensions se font sentir au sein du camps, les gilets jaunes découvrent la cohabitation avec des militants traditionnels, et le moins que l’on puisse dire, c’est que la rencontre est spéciale. Les phrases qui fusent montrent le fossé entre deux mondes qui ne s’étaient jusque là côtoyés que pendant les manifestations (« ça va une main au cul faut pas en faire tout une affaire, il était bourré », « c’est quoi ces conneries de non mixité » ). Bref, la semaine s’annonce tendue… d’autant plus que la plateforme instrumentalise les dérapages de certains gilets jaunes pour s’attaquer à leur stratégie de lutte au sein du contre-sommet.
Mais les gens commencent à se poser des questions sur ce camp de vacances, qui, au lieu d’être un vrai camp de contre-sommet, ressemble à un chant des sirènes perdant les arrivants dans une ambiance épurée et reposante.
Le soir, l’ambazadatxoa (structure en bois amenée depuis NDDL pour la semaine intergalactique) est installée au campement pour y organiser des assemblées de luttes, pour palier au manque d’actions anti-G7 organisées par la plateforme.
Cette assemblée est un moment féérique pour quiconque n’était pas venu au camping pour bronzer. Les gens prennent tour à tour la parole, et l’ambiance devient festive. Quelqu’un propose d’envoyer un message de soutien aux hong-kongais, un autre propose de soutenir un concert sauvage devant un lycée abritant des militaires, il est décidé de descendre l’ambazadatxoa jeudi matin à Hendaye et d’organiser pour l’occasion un manifestation, il est proposé d’organiser une action de blocage économique le vendredi, et d’utiliser les prochains soirs cette assemblée pour organiser ces actions et les actions de blocage massif du dimanche.
Les gens vont se coucher des étoiles dans les yeux.

Mercredi 21 aout

Début du contre-sommet officiel, les conférences commencent à Hendaye et Irun, la semaine intergalactique au Port Caneta. Mais tout de suite, les gens sentent un malaise, une sorte d’anormalité. Les conférences, les ateliers de formations politiques semblent en total décalage avec l’occupation policière et la colère des gens contre ce sommet. Le campement devient le refuge de tous ceux qui ne sont pas venus pour assister à des conférences, tandis que Hendaye devient un village ou se côtoient touristes se dorant la pilule et militants professionnels venant se former auprès d’intellectuels périmés.
Au sein de la plateforme, les nouvelles de l’assemblée de la veille font peurs. Et si les gens venus au Pays basque découvraient qu’ils pouvaient s’organiser sans les bureaucrates de la plateforme ?
Le soir, l’assemblée est donc entièrement récupérée par des militants sans fantaisie, altermondialistes et plate-formistes. Un ordre du jour est mis en place, un tour de parole, et l’effervescence de la veille laisse la place à une moralisation de la part des militants pacifistes, et à des embrouilles de milieux sans grand intérêt.
Les gens vont se coucher en colère de voir que les institutionnalistes basques, les altermondialistes et les membres de la plateforme ne viennent au camp que pour y prendre le rôle de la police, tandis que la vie du camp est organisée par des autogestionnaires.

Jeudi 22 août

Le campement se lève avec une gueule de bois, outre les soirées de la veille, le campement a été entièrement tagué. Sur un grand mur blanc, un slogan qui sera partagé partout : « Le pacifisme collabore ».

Le divorce entre les radicaux du campement et les militants traditionnels du contre-sommet est entièrement consommé. Désormais il y aura au campement les gilets jaunes, les anarchistes et les gens voulant s’organiser, et il y aura à Hendaye les gens perdus dans un folklore de contre-sommet au milieu de conférences soporifiques.
Cela tombe bien, il était justement prévu de faire une manifestation de 7km, depuis le campement jusqu’à Hendaye (afin d’essayer d’apporter l’ambiance du campement vers la ville).
La manifestation est vivante, les slogans inventifs, le basque, le français, l’anglais et l’allemand se côtoient, se mélangent, et donnent un aspect de mélange inédit à cette marche. Au passage de l’hôpital, les manifestants soutiennent les grévistes, et vice versa. Mais une fois arrivés en ville, l’accueil est froid. Au loin, les regards des militants dogmatiques sont pleins de haine et de mépris. Les militants de la plateforme assistent à une manifestation qu’ils n’ont pas pu gérer ou récupérer, et surtout dont ils ne voulaient pas.
L’après midi, une manifestation féministe non mixte est organisée, et les retours en sont très bons. Pour beaucoup ce sera la seule irruption d’une anormalité dans une ville balnéaire où les touristes continuent à faire du tourisme.

La manifestation féministe se termine dans un gigantesque bain, ou les femmes vont, nues, se baigner sur la plage touristique de Hendaye.

Le soir venu, il est confirmé qu’une action aura lieu le lendemain, et qu’une assemblée générale est prévue à 15h au camping.

Vendredi 23 aout

A 15h, grande assemblée au campement pour organiser l’action de blocage économique. Au départ, environ 700 personnes étaient motivées pour y participer. Et c’est pendant cette assemblée que la gauche indépendantiste organise un de ses sabotages les plus odieux. Des membres des organisations font un discours pour culpabiliser les gens participant à cette action, en leur disant que participer à des actions radicales, c’est ne pas respecter la situation et l’histoire politique du Pays basque (comprendre, le processus de paix imposé par ces mêmes organisations). Après une assemblée où les bureaucrates prennent la parole à tour de rôle pour démotiver les gens à participer à ce blocage, environ 400 personnes s’engagent dans une longue marche pour rejoindre le plan de blocage. On entend certains basques grommeler contre ces militants bureaucrates imposant leur pacification. « Quand je pense que des gosses de prisonniers politiques basques sont maintenant à collaborer avec l’état français en évitant tout débordement, ça me donne la gerbe » peut-on entendre en tendant l’oreille… Ambiance.
Malgré tout, la marche de 6 heures rassemble des gens de tous les horizons, et donne enfin une possibilité de commencer à bloquer le G7. L’objectif de bloquer l’autoroute est stoppé en route par des gendarmes mobiles arrivés en masse. Peu importe, la manifestation continue à bloquer l’axe routier d’Urrugne, très fréquenté au Pays basque nord. Sur la banderole de tête, on peut lire « Welcome to Paradise », clin d’œil évident au « Welcome to Hell » de Hambourg pendant le G20 de 2017, qui avait provoqué des émeutes immenses.
Finalement, après plusieurs détours, et alors que les jambes commencent à fatiguer, il est décidé de retourner au camp, en passant par la route de la corniche d’Urrugne, un des plus beaux points de vue de la côte. En route, la manifestation croise deux motards qui recevront un petit coup de pression et s’enfuiront assez vite.
Mais quelques minutes plus tard, des dizaines de voltigeurs suivis de dizaines de fourgons de gendarmes mobiles se mettent à poursuivre la manifestation.
Première charge.
Les voltigeurs roulent, les manifestants courent. Face aux moteurs, les souffles sont bientôt coupés, et la manifestation se retrouve coupée en deux. Premières arrestations.
Puis les charges se multiplient, charges où les voltigeurs ont pour objectif de faire courir les manifestants comme des petits lapins. Un voltigeur écrase un manifestant tombé au sol, les GM gazent sur la corniche, la mort de Steve vient aux esprits de tous quand les gens courent vers la falaise en pensant pouvoir s’échapper par cette voie-là.
Finalement la manifestation arrive au campement, mais les tensions se renforcent à l’entrée du camping entre la police et ceux qui refusent de partir.
Pour mieux comprendre ce qui va suivre, il faut comprendre la géographie du lieu. Depuis la route de la corniche, il faut tourner à gauche pour entrer au camping du contre-sommet. Mais entre la route principale et l’entrée, il y un gigantesque champ et un village « Pierre & Vacances ». Jusque là, le village vacances avait été épargné de toutes dégradations.
Sauf qu’à force de tensions, la police a gazé et est remonté jusqu’au village de vacanciers (choqués) face à l’entrée du camping du contre-sommet.
En quelques minutes, la rumeur court que la police va expulser le camping.
En quelques minutes, des centaines de gens qui étaient dans leurs tentes sortent, tous de noirs vêtus, cagoulés, organisés, et construisent des barricades et chargent la police.
Le mobilier du village vacance se transforme bien vite en barricades mobiles. Les manifestations à Hong Kong semblent avoir inspiré les manifestants qui chargent avec des parasols Nestlé sur la Bac. En une heure, l’entrée du camping, le village vacances et le champ sont dévastés et gazés. Des barricades brûlent et des dizaines de groupes organisés chassent la police.
Dès lors, les gens présents au contre-sommet à Hendaye ne peuvent plus rentrer au camping, la route étant entièrement bloquée par la police.
A l’intérieur du camp, c’est une véritable insurrection qui a lieu. Une insurrection locale. Les chefs de la plateforme n’ont plus aucun pouvoir, n’arrivent plus rien à gérer. Dans une panique totale, ils envisagent même l’annulation de la manifestation pacifique du samedi matin !
Leur camp a été débordé spontanément, et les images qui commencent à tourner démontrent qu’ils ne tiennent plus du tout un camp habité par des révoltés.
Ce sera malheureusement le dernier coup d’éclat de cette semaine.

Samedi 24 aout, début du G7
Environ 6000 manifestants défilent à Hendaye (15 000 selon les organisateurs, qui ne survivent plus que par les chiffres de mobilisation). Entre les flics d’Alternatiba épiant tous les manifestants et le cordon humain de Bizi et Attac défendant les banques, la manifestation ressemble à un dernier soubresaut d’une gauche qui semblait avoir disparu.
L’après midi, à Bayonne, malgré des centaines de contrôles policiers et une ville bunkerisée, environ 600 manifestants se jettent dans la gueule du loup, et passent la soirée dans la nasse géante qu’est le petit Bayonne.
Sur les médias, les altermondialistes décrètent que la mobilisation est une réussite. BFMTV annonce que le maintien de l’ordre est une réussite, et ne parle même pas de la manifestation qui se déroule à Bayonne !

Le soir au camp, tout le monde rentre, frustré. On compte les arrêtés, une centaine environ. Personne ne comprend ce qui s’est passé, ou plutôt ce qui ne s’est pas passé. Ou sont les milliers de manifestants promis par les gilets jaunes du village jaune ? Ou sont les émeutiers du monde entier censés venir en masse à tous les contre-sommets ?
Où est le contre-G7 que tout le monde avait tant espéré ?
Dans la foulée, il est annoncé que les actions de blocage du lendemain sont annulées. « Ernai », la jeunesse indépendantiste institutionnelle basque du sud, prévient tous ses militants, la mobilisation est terminée, ils peuvent rentrer chez eux. Les plate-formistes abandonnent complètement le camp.
S’ensuit alors une soirée digne d’une expérience de néant extrême. Le nihilisme poussé à son paroxysme.
Des centaines de personnes, frustrées de ne pas avoir eu leur coup d’adrénaline de la journée, vont construire des barricades et aller chercher la police pour recréer artificiellement l’émeute de la veille. En risquant de faire virer le camp. A ce moment là plus rien n’a de sens. Les gens vont construire des barricades par simple réflexe, les rats ont quitté le navire et plus rien n’est géré sur le camping. La police n’interviendra même pas, se moquant des « commandos » de manifestants envoyés pour les attirer. Dans un coin du camping, un jeune joue de l’harmonica. La scène fait penser aux violonistes continuant à jouer alors que le Titanic coule.

Le dimanche et le lundi, rien ne se passera. La place aura été entièrement laissée aux altermondialistes, pour qu’ils puissent organiser leurs spectacles. La marche des portraits le dimanche, ou bien la marche vers Biarritz le lundi. Tout le monde ressent la fadeur et l’artificialité de ces actions.

Le contre-sommet est mort, vive le contre-sommet !

Mais alors que c’est il passé ? Pourquoi ce que tout le monde attendait comme une émeute historique n’est pas arrivé ?
Pourquoi, alors que c’était le premier sommet organisé dans l’État français depuis la loi travail et les gilets jaunes, rien de significatif n’a pu se passer ?
Certains diront que le dispositif policier en était arrivé à son paroxysme et que toute tentative serait bloquée, et ils auraient partiellement raison.
D’autres diront que la gauche a trahie, et ils n’auraient qu’à moitié raison.

Le Pays basque est dans une situation spéciale. C’est un laboratoire de pacification de l’État français depuis des années. Alors qu’aucune mobilisation d’ampleur n’avait eu lieu depuis 10 ans, ce sommet a permis de montrer quelles avaient été les évolutions.
La gauche indépendantiste n’a jamais voulu de ce contre-sommet. Cependant, ne pas y participer relevait d’un suicide politique, dans un territoire avec une telle histoire de luttes. Ils ont alors soigneusement organisé une stratégie militaire pour empêcher tout débordement. Ils ont noyauté la plateforme pour préparer l’arrivée de Bizi et d’un discours non-violent hégémonique. Ils ont créé la fausse promesse d’une action de blocage le dimanche pour catalyser toutes envies radicales, et avaient prévu depuis bien longtemps de l’annuler au dernier moment.
Depuis la fin de la lutte armée, la gauche indépendantiste s’institutionnalise, veut devenir respectable. Elle s’allie avec la CGT, avec Attac ou Alternatiba. Elle s’implante dans une société civile contre-révolutionnaire. Sa victoire pendant ce contre-sommet, c’est le cadeau politique qu’elle a fait à Macron. Elle a réussi à démontrer qu’elle tiendrait le territoire pacifique, qu’elle éviterait tout débordement. On peut s’attendre à certains cadeaux du gouvernement dans les mois qui viennent.
Cette stratégie a été utilisée jusqu’à la moelle. Tout ce qui a été organisé avait pour objectif de catalyser les troupes et de les maintenir dans le giron pacificateur de la plateforme. La dynamique jeune « Oldartu » a été pensée et organisée par des militants professionnels de la gauche indépendantistes, permanents payés à organiser une manipulation qui a maintenu pendant des mois les plus radicaux des jeunes dans une dynamique inoffensive. Ces jeunes indépendantistes ont remplacé la police dans son rôle.
Les autogestionnaires de « Aman Komunak » ont été intégré dans le processus de normalisation de la plateforme, et la semaine intergalactique n’a été qu’une groupement d’ateliers, conférences, infokiosques et vente de t-shirt en plus pendant le contre-sommet, mais n’a représenté de menace pour le g7 à aucun moment. Ça n’a été que la répétition d’un folklore militant qui n’avait aucune place à ce moment là.
La gauche indépendantiste a démontré que dans un territoire où tout le monde se connait, elle pourrait utiliser les pires stratégies de manipulations personnelles, les pires pressions sociales et psychologiques pour forcer tout le monde à entrer dans sa discipline de parti.

L’altermondialisme pacifiste d’Alternatiba, ANV cop 21, Bizi !, Attac et autres, après des mois d’inexistence médiatique, a voulu marquer le coup en réussissant une mobilisation à sa manière.

Mais les critiques ne sont pas seulement à donner à cette gauche molle. Au niveau des radicaux anticapitalistes, beaucoup ont démontré leur incapacité à réfléchir à une stratégie et à une analyse pertinente de la situation.
Si le contre-sommet n’a pas fonctionné, c’est parce que tous ont basé leurs attentes sur un fantasme militant des sommets mondiaux.
Le mouvement anticapitaliste, dans sa branlette d’adrénaline émeutière, n’a vu les enjeux de ce contre-sommet que dans une gigantesque émeute, et a voulu répéter le folklore de Seattle ou Hambourg, sans avoir réfléchi à la question.
Face à un tel dispositif, se jeter dans la gueule du loup, à Bayonne, révélait d’une stupidité tactique sans nom. Le vrai ennemi de ce sommet ne résidait pas dans le carnaval de Biarritz, inatteignable, mais bel et bien dans une gauche qui tente de se recomposer à travers des mobilisations pacifistes. Détruire leur mobilisation, les déborder, a été la chose la plus productive qui a été faite cette semaine-là. Ce qu’il fallait faire ? Déborder la manifestation d’Hendaye. Montrer à ce vieux monde qu’il n’a plus aucune place dans le nouveau contexte. Montrer qu’aujourd’hui, des militants ne peuvent plus protéger des banques en faisant des chaines humaines au nom de la non-violence et du consensus d’action.

A ceux qui veulent enterrer trop rapidement la gauche socialiste, ce contre-sommet a démontré que leur pouvoir de nuisance était encore très fort, et qu’ils tenteraient maintenant de se recomposer, dans une alliance entre anciens radicaux et mouvement altermondialistes. Le score éclatant et le coup médiatique des écolos aux européennes étaient un signe.
Pourquoi rien n’était possible ? Car tous ont fonctionné à partir de leurs fantasmes. Les gilets jaunes ont tenu un discours fantasmatique sur le fameux « black bloc » arrivant en sauveur pour sauver toute mobilisation. Beaucoup se sont satisfaits de cette nouvelle image qu’avait pris le black bloc auprès des gilets jaunes après le 16 mars. Nous voyons aujourd’hui à quel point cela a été contre-productif. Les Gilets jaunes ont délégué toute organisation tactique et stratégique à un allié imaginaire et fantasmé.
En face c’était le même problème. Le mouvement anarchiste, autonome et autogestionnaire a seulement attendu que les Gilets jaunes organisent un gigantesque acte 41. Gilets jaunes qui après avoir étonné tout le monde pendant des mois, sont devenus objets de fantasme de la part de beaucoup de monde. Considérés comme une chaire à canon émeutière qui va se battre avec la police sans réfléchir aux risques, tel un Dettinger, toute responsabilité dans les mobilisations lui est maintenant déléguée.
L’incendie de décembre avait permis de sortir de l’impasse du 1er mai 2018. Une impasse qui nous avait montré l’état d’un mouvement anticapitaliste incapable de prendre du recul sur son rôle, et prenant la pose devant les journalistes pour pouvoir ensuite créer des nouvelles collections d’autocollants.
Les contre-sommets, symboles ultime de l’émeute à la Black Bloc depuis Seattle, ne sont plus qu’un représentation périmée de ce fantasme.
Alors que tout le monde est persuadé que la rentrée sociale de septembre sera l’occasion de revivre la révolte de décembre de manière prolongée et artificielle, cette mobilisation n’a fait que démontrer une vérité bien âpre :
Rien ne se fera sans prise de risque, aucun mouvement ne viendra seul. Tandis que personne n’arrive à formuler de nouvelles réflexions politiques dépassant le simple réflexe émeutier (réflexion politique qui était encore très pertinentes il y a quelques années, mais moins depuis que l’émeute s’est en effet démocratisée avec les Gilets jaunes), une nouvelle gauche, bien plus dangereuse que l’ancienne, se construit pour palier à n’importe quelle situation qui pousserait Macron vers la sortie.

Au Pays basque les cartes sont complètement redistribuées. Par sa trahison, la gauche indépendantiste a définitivement prouvé qu’elle avait abandonné tout objectif révolutionnaire et qu’elle n’était devenue qu’un courant politique de plus dans la gauche du capital. Beaucoup de gens sont très en colère, laissent leur carte du parti, affichent ouvertement leur opposition au processus de pacification.

Une idée est formulée par de plus en plus de gens au Pays basque. Il est temps de prendre du recul et d’avoir un grand débat de fond. Le contexte a complètement évolué, les idées ont vieillies, les stratégies sont devenues folklore. Alors, plutôt que de continuer dans un spectacle de la lutte, observons, analysons, construisons.
Ce débat de fond semble pertinent bien au-delà du seul Pays basque…

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