Tout le monde déteste les voitures de police

« C’est ainsi qu’il faut comprendre la fausse accusation de tentative d’homicide avec préméditation requise contre les assaillants de mercredi, l’enquête qui va s’en suivre et finalement tout ce que fait le gouvernement depuis le début du mouvement : Une recherche désespérée de ne pas perdre la main sur ce qui lui est de plus en plus contesté, le monopole de la violence. »

paru dans lundimatin#62, le 28 mai 2016

Depuis le début du mouvement et chaque semaine depuis, des solidarités nouvelles se créent, des gens qui s’ignoraient se découvrent, des façons différentes de manifester vivent ensemble, la peur change de camp et le monopole policier de la violence est contesté. Chaque nouvelle manifestation le montre, la voiture de flics incendiée mercredi 18 mai à Paris n’en est qu’un nouvel exemple. Nul besoin d’être psychologue des foules pour comprendre ce qui anime ce geste, ni d’être un observateur attentif des médias pour voir ce qui se joue derrière cette médiation.

L’information de masse qui capte l’attention du spectateur français distrait est ces derniers jours plus que jamais univoque. Il n’existe évidemment pour le gouvernement qu’une même façon de montrer la lutte qui se joue aujourd’hui ; images d’affrontements déclinées sur de multiples supports, formats, tons. On pourrait aussi dire que les barricades n’ont que deux côtés, on savait déjà lequel disposait des caméras de TV et des dépêches de l’AFP.

Mercredi 18 mai, à Paris et dans quelques autres villes de France, la police manifestait son mécontentement face à « la haine anti-flics » qu’elle subit depuis plus de deux mois. Il est difficile de dire qu’elle n’a pas raison sur le constat au moins, le slogan « tout le monde déteste la police » étant entonné par un nombre toujours plus grand de manifestants depuis le mois de mars. Il faudrait ici rappeler une évidence qui n’a pas sa place dans la vulgate de France Inter et de BFM TV : si la police est tant détestée, c’est qu’elle est la branche armée d’un gouvernement qui pilote désormais son bateau comme une galère : à coups de fouets, de politiques racistes, d’état d’urgence ou de passage en force au parlement. La police est toujours la dernière vitrine qui protège matériellement le gouvernement. C’est ce que les manifestants des cortèges de tête de ces deux derniers mois ont bien compris, tentant manifestations après manifestations de déborder les dispositifs policiers, c’est à dire de faire manifestation, de s’en prendre directement au gouvernement.

Autour de la place de la République, où se tenaient des policiers indignés accompagnés de députés du Front National, quelques centaines de militants se sont donnés rendez-vous pour « nasser la police » et dénoncer une jérémiade plutôt mal placée de la part de ceux qui acceptent de nous gazer, de nous donner des coups, de nous tirer dessus, de nous ficher, quelquefois aussi de tuer au nom de la protection de l’ordre des choses.

Ce mercredi matin, à 10h, la préfecture de police de Paris annonçait l’interdiction de manifester à celles et ceux qui entendaient dénoncer la mascarade policière. Après que les centaines de manifestants aient été dispersés par des gaz, une partie d’entre eux décide un départ en manifestation sauvage. Sur le quai du canal Saint-Martin, coincée dans un bouchon, se trouve la voiture de police dont on a tant parlé le soir et le lendemain, celle qui va finir carbonisée.
J’ai vu les images de ceux qui d’un seul corps se jettent dessus pour faire tomber les vitres du véhicule et y introduire un fumigène ; j’ai vu la sortie du conducteur et un homme le frapper d’un long bâton flexible. On pourra dire que les matraques ça fait beaucoup plus mal, que les gaz c’est pire, que les flics eux ne se privent pas de nous frapper dès qu’ils le peuvent et que ces images on les voit beaucoup moins circuler sur les écrans. On aura raison de le rappeler, mais on n’aura pas beaucoup avancé.

La scène est violente c’est évident, l’image est forte notamment parce qu’on comprend vite que le flic se fait frapper pour ce qu’il est et ce qu’il représente. Qu’est-ce qui fait que cette image est si télégénique ? Qu’elle fonctionne et captive autant toutes et tous, gouvernants comme journalistes, spectateurs comme manifestantes, un temps en tout cas, avant qu’un avion qui vole vers l’Egypte ne tombe du ciel le lendemain ? C’est peut-être que cette image montre plus clairement ce qui se passe en France depuis au moins deux mois : une offensive déterminée contre le gouvernement et ses fondements.

Pour que l’Etat moderne émerge, il a dû au préalable s’occuper de la question de la violence, en faire son monopole. L’Etat s’affirme lorsque la seule violence légitime devient la sienne. A chaque fois qu’une autre force émerge dans son champ, il ne peut que lui déclarer la guerre puisqu’elle menace directement son existence. C’est ainsi qu’il faut comprendre la fausse accusation de tentative d’homicide avec préméditation requise contre les assaillants de mercredi, l’enquête qui va s’en suivre et finalement tout ce que fait le gouvernement depuis le début du mouvement : Une recherche désespérée de ne pas perdre la main sur ce qui lui est de plus en plus contesté, le monopole de la violence.

En réalité, ce qui commença à s’amorcer à la Renaissance, la constitution de la violence comme monopole d’Etat, mit plusieurs siècles à faire civilisation, c’est à dire à devenir une évidence que le citoyen du XXIe siècle n’a plus à questionner. Comment comprendre autrement le plébiscite de l’Etat d’urgence au café du commerce et sur le micro-trottoir à la sortie de l’Apple store ? C’est que l’anti-terrorisme érigé en technique de gouvernement n’a rien d’insupportable pour celles et ceux qui ont déjà accepté tout le reste et en premier lieu d’être des corps désarmés et en permanence contrôlés.

Or, ce que l’on voit en France ces deux derniers mois, c’est que le nombre de celles et ceux qui sont prêts à s’opposer à ce monde ne cesse de grandir. Des solidarités nouvelles se créent, des gens qui s’ignoraient se découvrent, des façons différentes de manifester vivent ensemble, la peur change de camp et le monopole policier de la violence est contesté. Chaque nouvelle manifestation le montre, la voiture incendiée n’en est qu’un nouvel exemple. Il ne s’agit donc pas de condamner l’incendie de cette voiture, quoiqu’on puisse se questionner sur l’utilité du lynchage comme sur le risque que l’on prend à en venir aux mains face à un type armé. Il ne s’agit pas non plus de faire l’apologie de la violence comme le dernier des nihilistes, ou de prendre ce petit éclat de trois ou quatre personnes pour une grande bataille.

Nul besoin d’être psychologue des foules pour comprendre ce qui anime ce geste, ni d’être un observateur attentif des médias pour voir ce qui se joue derrière cette médiation. Il s’agit plutôt aujourd’hui de savoir se saisir collectivement de ce que l’on n’a jamais été : des humains qui décident ensemble de vivre différemment. En se donnant les moyens de notre réussite, c’est à dire en se réappropriant les gestes refoulés qu’on ne nous a jamais appris, tout en essayant de ne pas être ce que tout le monde déteste dans la police.

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