« Tous contre un, par les ex-pères »

Chinoiserie de temps de crise (A tribute to ghosts)

paru dans lundimatin#246, le 9 juin 2020

« Bas les masques les amuseurs publics !!!!
Maintenant que nous sommes tous à terre !!
Maintenant que le spectacle vivant est en mort clinique !!
L’avenir sans joie, et sans liberté !!
La dignité dû à un travail épanouissant, un privilège !!
L’air pur et un environnement préservé un luxe !! »

« Il faut dénoncer le mythe profane du progrès –Croyant être homme de lumière, nous avons avancé dans les ténèbres de l’Histoire qui n’a pas tenu ses promesses et il semble urgent de se souvenir d’une autre source de lumière, d’une autre sorte de promesse qui pourrait bien redresser notre marche et restaurer peut-être ce qui reste sous les décombres ; aujourd’hui, il nous faut parler de sous les décombres »

France Farrago à propos du film Stalker de Tarkovski.

« Le refus a toujours constitué un rôle essentiel. Les saints, les ermites, mais aussi les intellectuels, le petit nombre d’hommes qui ont fait l’Histoire sont ceux qui ont dit non, et non les courtisans et les valets des cardinaux. »
P.P.P, Ecrits Corsaires

Le plus emblématique des poètes insurgés contemporains, Pier Paolo Pasolini, nous alertait déjà dans les années soixante-dix.
Le nouveau fascisme en train d’advenir, le consumérisme hédoniste de masse allait nous ravager.
Aujourd’hui il est là, bien campé et nous consume, littéralement.
Ce n’est plus discutable tant il se renforce et se nourrit jour après jour de notre corruption et de notre soumission.
Nous nous sommes laissés corrompre en nous détournant de la vie même qui est âpre et difficile, nous soumettant jour après jour à un confort croissant, une « qualité de vie » pleines de machines, de robots et de services qui ont suppléé à nos devoirs premiers et originels, à notre force vitale archaïque, à notre besoin de liberté.
Des siècles pour en arriver à ce ruissèlement de nos sens, à cet écroulement de nos vies pour une fin qui s’annonce, apocalyptique.

Aujourd’hui ce constat est patent dans chacun de nos gestes, que ce soit pour nous déplacer, nous nourrir, nous habiller où nous divertir dans nos temples culturels et arpenter le weekend nos temples de la consommation, petits et grands.
Un simple virus, issu de l’infinitésimal de cette nature que nous violons allègrement et méthodiquement depuis des lustres, nous ramène sans crier gare, à cet état premier de la vie précaire et dangereuse.
Nous sommes mortels de la façon la plus bête et naturelle qui soit, en nous aimant, en nous parlant, en nous réunissant ; en vivant tout simplement.
C’est ballot, mais ce virus permet à nos élites les pires manipulations, alors qu’il faudrait tout arrêter, faire table rase.
Le paradigme de la croissance est là, dictatorial et mortifère ; prière de ne pas changer de direction, ni même dans imaginer une autre.
Pour le temps tout au moins qu’il reste à cette civilisation anthropophage de sa jeunesse et de ses ancêtres.
Considérant cette pandémie comme une parenthèse cauchemardesque, nous nous préparons à produire et exploiter encore plus fort et plus vite la planète bleue et ses individus, dans notre marche toujours plus ethnocentriste et vaniteuse.
En vérité ? un pas de plus vers notre anéantissement suicidaire et définitif.

Bien sûr, chacun n’est pas au même degré dans cet état de corruption et encore moins dans cet état de soumission.
Par une règle assez simple à comprendre, le plus corrompu n’est pas forcément le plus soumis et inversement, exception faite qui confirme toute règle :
On peut être également corrompu et soumis.

Je vais parler ici du milieu que je connais, si on veut bien m’accorder « qu’un déconfit ne ment pas ».
Par exemple, un directeur de temple culturel est bien plus corrompu et moins soumis qu’un agent de billetterie, ou une habilleuse.
Ce constat, moyennant quelques adaptations de bon sens, est équivalent à tout directeur de temple et de toute espèce ; que ce soit dans le secteur bancaire, celui de l’immobilier, en passant par celui de l’assurance et bien sûr ; de l’industrie en général.
Face à notre Hubris démentiel, la force du symbolique et la parole des poètes ouvrent encore des horizons que nous ne voyons plus, que nous avons recouvert depuis longtemps de nos fumées industrielles et de sophistique précieuse.
Des horizons qui s’éloignent de nos regards et de nos mains, à chaque « avancée » technologique.

Cet état de corruption et de soumission n’est pas lié à la nature propre de celui qui l’a revêtu, mais à sa volonté, car en acceptant cette fonction de directeur, il sait absolument qu’il participe à la fabrication du consentement et à la bêtification du peuple, voir à son abandon le plus lâche dans les moments de crise ; il collabore.
Que va-t-il faire où dire, à l’heure où les mesures de surveillance et de paupérisation s’accélèrent sans vergogne, propulsées par ceux-là même qui nous obligent à l’enfermement culpabilisant, à l’infantilisation toujours plus grande de notre libre arbitre ?
Au fascisme « soft-ware »

C’est qu’il a travaillé à ce graal de longue années avec constance et sans équivoque possible, même si cette quête l’a dépouillé de ses idéaux de jeunesse.
Il est resté informé de la situation sociale dans toute les dimensions de la réalité, pas à pas et fait autorité dans le landerneau par ses anathèmes bien-pensant, jusqu’à l’annulation même de son royaume, le festival d’Avignon.
Emblématique rendez-vous des temples culturels petits et grands d’où l’esprit de son fondateur c’est enfui depuis longtemps, écœuré des rentes de situation mortifères et de l’entre soi nombriliste.
Un suicide, une retraite, où une obéissance servile aux instructions du gouvernement ?

Historiquement, cette corruption presque naturelle, tant elle a contaminé toutes et tous, qui nous soumet aujourd’hui comme chien en laisse, s’accélère très nettement avec l’élection de François Mitterrand en 1981 et la politique mise en place alors par son ministre Jack Lang.
Elle se poursuit, jusqu’au désastre de la présidence de François Hollande, zélé chargé de mission à l’Elysée dudit Mitterrand.

Et maintenant ?
Nous sommes dans la gestion ubuesque et comptable du vivant, un pur « amacronisme », sorte d’avatar dégénérescent du ni gauche ni droite ; ni rien du tout.
Juste du sang et des larmes, de la répression brutale, de l’asservissement de la République aux intérêts privés de quelques-uns, du spectacle de la soumission des Marquis tolérés.
Une comédie toute droit sortie d’un cabaret Moliéresque, où le roi n’est pas le plus mauvais des acteurs, loin de là.
Et ça pérore et ça caquette pour un résultat effectif nul, sauf pour les premiers de cordée.

Avec l’aide constante et zélée de ce parti socialiste qui n’en finit pas de crever depuis ce dix mai 1981 ; la bête même à terre est tenace, et prête à tous les revirements pour conserver ses privilèges de classe, pour survivre.

Une bonne partie de l’antifascisme d’aujourd’hui, ou du moins ce qu’on appelle antifascisme, est soit naïf et stupide soit prétextuel et de mauvaise foi. En effet elle combat, ou fait semblant de combattre, un phénomène mort et enterré, archéologique qui ne peut plus faire peur à personne. C’est en sorte un antifascisme de tout confort et de tout repos. Je suis profondément convaincu que le vrai fascisme est ce que les sociologues ont trop gentiment nommé la société de consommation, définition qui paraît inoffensive et purement indicative. Il n’en est rien. Si l’on observe bien la réalité, et surtout si l’on sait lire dans les objets, le paysage, l’urbanisme et surtout les hommes, on voit que les résultats de cette insouciante société de consommation sont eux-mêmes les résultats d’une dictature, d’un fascisme pur et simple. P.P.P

Le « Mitterrandisme » dernière grande illusion de cette fin de civilisation et de ce siècle où les cocus et mandarins fraichement élus, se dandinent ensemble chaque 21 juin, comme à la cour de Louis XIV, à la belle époque.
La cour n’est plus à Versailles, mais au centre de Paris.
Aux banquets des sans foi, la table est encore servie par les petites mains, descendant des chibanis et tirailleur Sénégalais, sans oublier les fils d’ouvriers et les déclassés.
La charge, comme pour les titres de noblesse se passe de père en fils, un comble non ?
Liberté,Egalité, Fraternité….
Persistance d’une civilisation blanche et colonialiste, qui crève langoureusement à petit feu, avec des apéro Skype en attendant que le livreur d’Uber où d’Amazon, sonne à sa porte…

N’oubliez pas leur pourboire s’il vous plait !

Insupportable métamorphose cynique, qui a transformé un fol espoir, en une corruption redoutable et continue à coup de subventions et de manipulations, rendant aujourd’hui les hommes de culture libre de leur soumission, c’est-à-dire consentant et docile.
Des écoles d’états pour un théâtre d’état, dirigé par des hommes d’état.
Jusqu’à quand cet avilissement, jusqu’où cette imposture ?
Le « « tout à l’ego » de Debray qui sait de quoi il parle, a remplacé le tous ensemble, la pétition en ligne aux barricades, l’indépendance d’esprit en éréthisme populiste !!

Ce n’est certes pas le moindre miracle de ce consumérisme de masse, dirigé d’une main de velours par les libéraux qui tissent jour après jour les rets de notre asservissement volontaire.
N’omettons pas dans ces miracles, les prouesses numériques distillées par les crétins de la silicone vallée qui nous isolent un peu plus chaque jour en nous faisant prendre des vessies pour des lanternes.
Vous allez voir ce que vous allez voir, la révolution est en marche !!
Après la 3 et la 4, arrive la 5G, en attendant l’IPhone 40
« Chérie débranche un peu, je me refroidis !! »

Nous sommes libres de nous approvisionner, libre de nous divertir, libre de nous émouvoir, libre de faire du yoga, libre de nous indigner, et bien d’autres choses encore que la décence m’oblige à taire ici.
Etre en ligne n’a rien à voir avec être en lien, c’est même exactement le contraire.
En ligne, on pense tous pareil ; en lien on choisit sa communauté et ses contradictions.

Je me souviens d’un trajet de RER de banlieue à banlieue où les seules présences étaient des immigrés et fils d’immigrés, des déclassés, trompés et abusés par les partis de gauche, exploitant à chaque élection leur misère et la précarité de leurs territoires.
Ceux qu’on nomme pudiquement, les oubliés de la république, les minorités visibles et que sais-je encore ?
Toute sorte d’arguties sémantiques énoncés avec componction où solennité ; c’est selon le milieu.
En un mot, pardonnez le gros mot LE PEUPLE.
Tous ces gilets jaunes vilipendés quelques mois auparavant et ô combien plus lucides de cette imposture que les gratte papiers de Saint Germain.
C’est qu’elle est vécue dans leur chair et elle fait mal, de plus en plus mal.
Pour ces hommes et femmes pas le choix, il faut vivre, fusse sans gants et sans masques mais avec dignité, pendant que les petits bourgeois applaudissent à la fenêtre, démontrant leur couardise et leur démagogie.
Où étaient-ils, il y a peu ?
Aux pauvres la rue et l’espace vide, aux nantis les logements spacieux et les applaudissements obséquieux à la fenêtre, dernier espace où l’on se mate comme lors d’une première ou d’un vernissage.
Louis XIV, toujours et encore.
On imagine facilement la teneur de leurs discussions une fois la fenêtre fermée :
« Un autre verre ma chérie ? »
« Non pas tout de suite, les rillettes sont lourdes mon amour et je voudrais écouter les informations !! »

Nous sommes tous responsables, à des degrés divers certes, mais indéniablement et irrémédiablement liés dans cette tragédie moderne.
Que faire alors ?
Bien malin qui peut répondre à cette question tant notre fragmentation et notre esseulement actuel sont exacerbés de haut en bas, et par le haut et par le bas.
Tant la violence exercée sur nous est grande, qu’on peut s’interroger légitimement sur le niveau de violence à exercer à notre tour, pour notre légitime défense.
Cette violence à laquelle nous répugnons bien sûr, car la résistance pour nous est une œuvre d’art et rien d’autre ; à ne pas confondre avec l’industrie du divertissement.
Comme disent nos voisins helvètes ; c’est « tout un ».
A chacun, intimement de mesurer son courage et la force de ses convictions face à ce désastre humain et écologique qui s’amplifie.
Ne vous y trompez pas, il n’y aura pas de rescapés, juste un ordre de passage selon votre classe.
Comment donner corps à notre indignation où ce qu’il en reste, face au tsunami qui avance inexorablement, tel le fatum antique de notre savoir ?
A cette trahison insupportable de la gauche caviar envers les premiers de corvée.
Comment vivre cette colère sourde en nous, qui ne s’apaise plus par des prodigalités « cool and fashion », qui nous empoisonne et monte inexorablement jour après jour ?

La mystification de cette dépolitisation, de ce lavage de cerveau en bien pensance compassionnelle est trop manifeste face à l’urgence, elle nous hante à l’aune de nos nuits et de nos solitudes imposées uniment, elle nous éclate à la gueule, littéralement.

Bas les masques les amuseurs publics !!!!
Maintenant que nous sommes tous à terre !! 
Maintenant que le spectacle vivant est en mort clinique !!
L’avenir sans joie, et sans liberté !!
La dignité dû à un travail épanouissant, un privilège !!
L’air pur et un environnement préservé un luxe !!
Pourquoi nous bercer encore d’illusions sur l’aide de ces prédicateurs arrogants ?
Nous ne croyons plus et depuis longtemps, en leurs mensonges et en leurs schémas d’orientations !!!

« Aucun centralisme fasciste n’est parvenu à faire ce qu’a fait le centralisme de la société de consommation. Le fascisme proposait un modèle, réactionnaire et monumental, mais qui restait lettre morte. Les différentes cultures particulières (paysannes, sous-prolétariennes, ouvrières) continuaient imperturbablement à s’identifier à leurs modèles, car la répression se limitait à obtenir leur adhésion en paroles. De nos jours, au contraire, l’adhésion aux modèles imposés par le centre est totale et inconditionnée. On renie les véritables modèles culturels. L’adjuration est accomplie. On peut donc affirmer que la ’tolérance’ de l’idéologie hédoniste voulue par le nouveau pouvoir est la pire des répressions de toute l’histoire humaine. Mais comment une telle répression a-t-elle pu s’exercer ? A travers deux révolutions, qui ont pris place à l’intérieur de l’organisation bourgeoise : la révolution des infrastructures, et la révolution du système d’information. Les routes, la motorisation, ect., ont désormais uni les banlieues au centre, en abolissant toute distance matérielle. Mais la révolution des mass media a été encore plus radical et décisive. Au moyen de la télévision, le centre s’est assimilé tout le pays, qui était historiquement très différencié et très riche en cultures originales. Une grande œuvre de normalisation parfaitement authentique et réelle est commencée et - comme je le disais - elle a imposé ses modèles : des modèles voulus par la nouvelle classe industrielle, qui ne se contente plus d’un ’homme qui consomme’ mais qui prétend par surcroît que d’autre idéologies que celle de la consommation sont inadmissibles. C’est un hédonisme néolaïque, aveuglément oublieux de toute valeur humaniste et aveuglément étranger aux sciences humaines ».
P.P.P, Ecrits Corsaires

Au-delà de ces propos âpres et visionnaires, l’espoir fusse t’il infime, existe encore dans notre démocratie agonisante.
« L’espérance est un risque à courir » (Bernanos)
Le moindre pas, même tenu, peut-être le signe de notre renaissance si nous sommes unis, nous petits bourgeois de la culture avec LE PEUPLE.

Cette fois, nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas, personne, absolument et sûrement pas aux pupitres de la république, les directeurs de nos temples culturels.

Le théâtre comme la peste est une crise qui se dénoue par la mort ou par la guérison. Et la peste est un mal supérieur parce qu’elle est une crise complète après laquelle il ne reste rien que la mort ou qu’une extrême purification. De même le théâtre est un mal parce qu’il est l’équilibre suprême qui ne s’acquiert pas sans destruction. Il invite l’esprit à un délire qui exalte ses énergies ; et l’on peut voir pour finir que du point de vue humain, l’action du théâtre comme celle de la peste, est bienfaisante, car poussant les hommes à se voir tels qu’ils sont, elle fait tomber le masque, elle : découvre le mensonge, la veulerie, la bassesse, la tartuferie ; elle secoue l’inertie asphyxiante de la matière qui gagne jusqu’aux données les plus claires des sens ; et révélant à des collectivités leur puissance sombre, leur force cachée, elle les invite à prendre en face du destin une attitude héroïque et supérieure qu’elles n’auraient jamais eue sans cela.

Et la question qui se pose maintenant est de savoir si dans ce monde qui glisse, qui se suicide sans s’en apercevoir, il se trouvera un noyau d’hommes capables d’imposer cette notion supérieure du théâtre, qui nous rendra à tous l’équivalent naturel et magique des dogmes auxquels nous ne croyons plus. Antonin Artaud le Théâtre et la peste.

Orlando l’Africain, le 10 Mai 2020.

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