AN ZÉRO (PLAQUETTE) by lundimatin on Scribd
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Profites-en bien, Maxime, avec ce texte, c’est la dernière fois que je te cite : ta personne n’a évidemment aucune importance, il est même possible que tu sois sincère, du moins en partie, mais tu conviendras volontiers avec moi, toi le bon petit gars au cœur sur la main que tu mets en scène dans tes écrits, que, même si ton pédigrée, tes accointances et tes entreprises sont riches d’enseignement, les enjeux de l’opération An Zéro vont bien au-delà des questions de personnes. Et bien au-delà, faut-il ajouter, d’un territoire : même si les réactions ou non réactions des habitants de la Montagne limousine joueront un rôle important, l’opération ne concerne pas que cette région. L’opposition à votre événement, nous ne vous laisserons pas la réduire à un mouvement de mauvaise humeur d’une partie des habitants, votre tâche consistant dès lors à vous ménager les sympathies de l’autre partie, pour que tout finisse dans une ridicule querelle de clocher. Le risque d’une telle manœuvre de votre part n’est pas mince si on voit avec quelle promptitude aussitôt après l’annonce pour mardi 2 juillet d’une réunion organisée par le Comité d’opposants La Bouscule à Faux-la-Montagne, vous qui jusque-là n’aviez jugé bon d’exposer votre projet que dans les journaux et dans des rencontres ciblées de personnalités du coin, vous vous êtes empressés de prendre rendez-vous avec le correspondant de La Montagne et d’annoncer une autre réunion d’information pour… le lundi 1er juillet. Pour des gens qui aspirent à représenter la nouveauté de notre temps, vous savez aussi vous comporter en vieux politicards. Donc, prenez en acte : si nous sommes opposés à votre venue, ce n’est pas seulement en tant qu’habitants de ces lieux, mais aussi et surtout en tant qu’opposants à ce vieux monde dont vous êtes, malgré que vous en ayez, de dignes représentants. C’est pourquoi l’opposition à votre venue ne sera pas que le fait d’autochtones mais fédèrera beaucoup de monde, en France et au-delà.
Ces préliminaires posés, venons-en à l’objet de notre étude. Quelle douloureuse surprise ! Ne voilà-t-il pas que le bon petit gars pratique le double langage ! En effet, dans sa lettre au ton très cœur sur la main, où il n’hésite pas à affirmer sa sympathie pour Lundi Matin, il écrit : « Nous sommes conscients de l’importance d’être radical, d’opposer une résistance au monde qu’on veut nous imposer et qui n’a aucun avenir. Nous ne sommes peut-être pas aussi éclairés ou lucides que vous souhaiteriez que nous le soyons, et n’avons à tout le moins pas choisi les mêmes voies d’action que celles que vous préconisez.
Au demeurant, là où elles vous apparaissent comme ennemies, nous les considérons comme complémentaires », et pour conclure, il nous invite à « doper » l’initiative de nos « bons conseils ». Cette offre de collaboration, émise avec tant d’humilité, entre étrangement en contradiction avec les propos tenus sur Facebook par le même, au sujet des deux textes qui l’ont dérangé : « Ceux qui alimentent aux quotidiens [sic], par leurs tribunes, les désespérés en bonnes raisons de ne plus y croire, n’arrivant pas à mettre en échec les vrais responsables de la situation, prennent pour cibles de modestes initiatives qui tentent d’autres voies ».
Voilà qui est rude. Mais alors, d’où vient qu’après nous avoir accusés de pousser jour après jour les gens au désespoir, le porte-parole de la Bascule tienne tant à dialoguer ? D’où vient cette soudaine affection pour nous ? Serait-ce que la naissance d’une opposition résolue l’inquiète ? Juste crainte, que nous allons nous employer à renforcer en poursuivant notre étude avec l’équanimité qu’on nous connaît. Car si on passe à l’examen de la plaquette An Zéro, ce n’est plus de double langage qu’il faut parler mais de triple. Rostolan croit-il qu’on ignore l’existence de Google dans le Limousin ? : « Vous remarquerez au passage que plusieurs députés seront de la partie, et aucun d’entre eux n’est en marche. », ose-t-il nous écrire alors que sa plaquette annonce la présence de Matthieu Orphelin, « député de la 1re circonscription de Maine et Loire » sans plus de précision mais c’est une pauvre ruse, car il n’est pas bien difficile de vérifier qu’Orphelin a bel et bien a été élu comme député LRM, même s’il joue maintenant les dissidents. On trouve aussi parmi les invités
Delphine Batho qui a attendu 2018 pour démissionner du PS et donc cautionné de facto les beautés du hollandisme, de l’assassinat de Rémi Fraisse à la loi travail et aux exactions policières contre ses opposants, etc. Il y a aussi le maire de Grande Synthe, dont l’action en faveur des migrants est certes méritoire mais que fait-il, avec Marie Toussaint, à EELV, un parti qui considère, à en croire son président, que l’écologie est « compatible avec l’économie de marché », laquelle s’accommode si bien de la terreur sur les exilés ? Et, cerise sur le gâteau, « sous réserve » Nicolas Hulot. Faut-il vraiment insister sur l’absolu nuisance que représente le roi médiatique de l’avalement de couleuvres macroniennes, du maintien de Fessenheim à la domination absolue du productivisme FNSEA sur la ruralité ?
En fait de nouveauté, donc, quelques vieux chevaux de retour de la politicaillerie. De nombreux représentant-e-s de l’écologie présentables à votre beau-père entrepreneur. Et, sans doute un peu distraits, un Paul Ariès, pourtant auteur d’un excellent Ecologie et cultures populaires, qui pourrait se demander comment il peut partager la vedette avec des gens qui traitent la culture populaire au flash-ball, ou Priscilla Ludosky, présentée comme « figure nationale des Gilets jaunes », c’est-à-dire d’un mouvement qui n’a cessé de désavouer ses « figures nationales » et dont on imagine mal ce qu’elle pourrait dire à un Orphelin : « pas dans l’œil s’il vous plaît » ?
Pour saisir quelle vision sont censées partager ces vedettes, au sein d’un nous fusionnel invoqué en introduction de la plaquette (« Dans ce NOUS, il n’est plus l’heure de se ralentir en étant contre mais d’avancer en étant avec »), il est conseillé de ne pas chercher à donner de soi-même du contenu à un discours d’un vide abyssal, puisque c’est cela même que l’entreprise vise : nous faire amener dans sa vaste auberge espagnole nos propres idées pour qu’elles passent ensuite à la moulinette des « stratégies communes ». Comme l’ont démontré les expériences des ZAD, des cortèges de tête et des gilets jaunes, développer des stratégies communes avec des gens ayant des modes d’action différents est non seulement possible mais souhaitable, à condition d’avoir un ennemi commun clairement désigné et que la solidarité joue à plein entre toutes les composantes. Rien de tout cela n’est possible ici, puisqu’on n’est pas « contre » mais « avec ». Ce qui compte, c’est d’être tous ensemble mais pour quoi faire ? La bouillie conceptuelle présentée par le schéma de la page 2 et intitulé « Une force collective » ne nous donne de véritable indication que par son vocabulaire : il s’agit, pour tous ceux qui « implémentent une alternative sociale » de participer à « une cité éphémère » des « solutions innovantes qui encapacitent ceux qui veulent basculer », de créer un « think-tank » et un « laboratoire de formation, de reliance et de mobilisation ». Le mot reliance est d’ailleurs répété plusieurs fois… On aura reconnu ce charabia : c’est celui, précisément, de nos ennemis, les managers. Derrière le mythe de l’entrepreneur qui invente des « solutions innovantes », il y a toujours un manager aux aguets, souvent dans la même personne : une fois l’innovation lancée par l’entrepreneur, le manager va se mettre au travail pour domestiquer les corps et les temps des « collaborateurs ». Les managers, on les a vus à l’œuvre à La Poste, on les voit au travail à la SNCF où l’on propose aux cheminots des séances de yoga pour lutter contre l’angoisse des « déflations de personnel ». Les managers adorent le développement personnel : dans le « village intérieur » de l’An Zéro, on vous proposera un « alignement cœur-corps-esprit » suivant le niais et sempiternel refrain : « la transformation du monde passe d’abord par une transformation personnelle ».
On est contraint ici de répéter cette banalité de base : la transformation personnelle opère toujours de manière collective, à travers les rencontres et les expériences communes. Et la transformation du monde se fera toujours forcément contre. Contre qui ? Eh bien, comme dit l’excellent site frustration : « Avant il y avait les patrons, maintenant il y a les “entrepreneurs” : le mythe des “start up innovantes” [vole] au secours du capitalisme » La transformation personnelle, vous la connaîtrez, chers basculants, quand vous aurez cessé de tourner autour de cet impensé. Et ce n’est pas la peine, comme le tente misérablement Rostolan dans un commentaire sur ma page facebook, de nous chanter l’air de « la violence c’est pas bien ». Pour savoir qui sont les vrais violents, il suffisait de se trouver, plutôt que dans les jardins de Louis-Albert de Broglie, sur la Zad durant l’évacuation, dans les rues et les ronds-points des gilets jaunes ces six derniers mois ou tout récemment sur un pont de Paris occupé par des gens d’Extinction-Rebellion.
Dans un de ses posts, Rostolan couine : « Si tu ne prends pas pour ennemi mon ennemi, alors tu es mon ennemi. Jurent-ils. Autrement dit : si tu coopères avec une entreprise, tu es le diable ; si tu parles avec des membres du gouvernement, tu es le diable. Quel enfer doit être leur monde… »
A part que le diable n’est pas pour nous une catégorie politique, il faut bien dire que oui, si on coopère avec une entreprise (rappelons que, comme exposé dans notre précédent texte, il ne s’agit pas, le concernant, de la coopérative artisanale du coin, mais d’Accor, Casino, Metro, Fleury-Michon, Philips, etc.) on ne peut pas prétendre que cette coopération puisse se dégager de l’imaginaire entrepreneurial, pilier idéologique central du capitalisme qui détruit la planète. Et quiconque parle à des membres d’un gouvernement qui a déchaîné une répression sans précédent contre la révolte populaire et lâché la bride à sa police comme aucun autre auparavant (deux morts si on compte Steve à Nantes, 24 yeux crevés, etc.), quiconque parle à ces gens-là n’a plus rien à nous dire, à nous qui avons suivi de très près, depuis 2016 pour les manifs, et depuis des décennies pour les banlieues, la décimation des révoltés à coups de LBD, de grenades, de gaz et de prison.
Qu’est-ce qui détruit la planète, sinon, en dernier ressort, la production marchande, cette course folle à la marchandisation de tout, à l’accumulation de profits démentiels pour les uns et de misère pour les autres, cette marchandisation qui repose sur l’exploitation de l’homme (et singulièrement de la femme) par l’homme, sur l’exploitation des animaux humains et non-humains et sur l’exploitation industrielle du reste du vivant ? Peut-on croire sérieusement qu’on va combattre la marchandisation et l’exploitation en cherchant comment produire moins de marchandises et exploiter moins ? Ou faut-il enfin se décider à être contre l’exploitation sous toutes ses formes ? Et comment être contre l’exploitation sans se heurter aux exploiteurs ? Qu’il faille ensuite débattre de la manière dont ce heurt doit s’opérer, sous quelle forme, sachant que les exploiteurs ne lâcheront jamais rien que sous la contrainte, qu’ils sont habités d’une immonde cupidité et qu’ils disposent de puissances de feu formidable, qu’il faille ensuite imaginer des stratégies collectives anti-capitalistes, c’est une évidence et une tâche urgente pour les années qui viennent. Mais ce ne sera possible qu’à condition d’avoir reconnu l’ennemi commun.
Dans sa lettre, Rostolan nous assure : « Nous avons reçu de nombreux messages d’habitants du plateau qui souhaitent participer, d’une manière ou d’une autre (pour vendre des repas, du vin, présenter leurs actions...) » Que des marchands veuillent vendre leurs marchandises, y compris idéologiques, rien de plus normal. Mais ce qui devrait être difficile à digérer pour tout estomac un peu rebelle, c’est la tromperie sur la marchandise. Ces repas ne seront que des repas. Si on cherche à nous les vendre comme des repas « qui ont du sens », des repas qui vont sauver la planète, nous finirons toujours par nous retrouver sous la coupe de la fourberie sordide d’un Borello fier de moins payer ses collaborateurs parce que leur tâche « a du sens ». Sauver la planète en utilisant les ressorts de l’économie de marché et l’imaginaire de l’entreprise : le sens de l’An Zéro est un non-sens.
L’enfer et le désespoir, ce serait que ce non-sens-là triomphe.