L’Histoire, choisissant seule les supports pour sa propre reproduction, me pointe aujourd’hui du doigt, exigeant de ma personne le déversement d’un flot de vérité tiède. Mais l’atmosphère brûlante qui m’enveloppe l’esprit m’impose d’aller vite et fort, avant qu’il s’évapore.
Je dois tenir l’équilibre que je dénonce pour encore me faire entendre. Que voulez-vous… Infidèles, nous restons les enfants de la contradiction.
Aussi je crois que la pensée devrait rester liquide. Mais comment résister au blizzard qui fouette chaque mot, paralyse chaque pensée, écorche chaque langue ? Comment délivrer du givre la parole ? La Société est ce royaume de glace qu’il nous faut brûler.
Le symbole, si longtemps soumis à cette entreprise de pétrification des choses qu’on appelle « monde », survivra-t-il encore à ce lourd dévoiement ? Ici on ne peut qu’espérer. Espérer fondre en silence, d’abord. Puis, peu à peu, réentendre le langage comme art du possible : construction infinie de formes aux desseins fuyants, aux lignes fugaces, aux rêves fugitifs.
Entendez : je viens crever les tympans de votre curiosité muette ! Étouffer de mes mains son silence jusqu’à ce que retentisse, enfin, l’antique question — jusqu’à ce qu’elle explose ! Soufflés par ses couleurs vous saisirez alors vos pinceaux, caresserez de leurs poils souples chaque angle cadrant vos vies et, désormais avertis, n’attendrez plus que cela sèche.
I
Quand le gris des murs se cherche une compagnie
Le ciel lui répond de son plus beau silence
Partout le neutre avait vaincu les âmes
Nous l’abritions comme un enfant sans vie
Aujourd’hui sonne le dernier jour
Demain est révolu
À l’unisson les cœurs tordaient un grand sourire
Témoin d’une peine fatiguée de mentir
Le semblant avait quitté les gestes
Nous avions épousé nos ombres et les arbres riaient
Aujourd’hui sonne le dernier jour
Demain est révolu
Nous n’irons plus glaner les vices du grand spectacle
Cramer nos cigarettes au seuil des bars
S’excuser poliment de notre retard — à qui ? pourquoi ?
Quand on y pense… Il fallait être fous !
La rumeur s’évapore
Ses rues sont muettes
Le mal ne fait plus peur
Le soleil de l’avant lavera nos fautes
D’ici là on ne peut que sentir
Et pour la première fois nous allions innocents
Aujourd’hui sonne le dernier jour
Demain est révolu
La mer s’épand comme un linceul sur le cours des vies
La voûte est de marbre
Les galets se préparent au repos
Dans un ultime élan le mouvement se fige
Un creux s’est emparé du monde
La suite ne se paye plus
Aujourd’hui sonne le dernier jour
Demain est révolu
Les vagues respirent encore et les montagnes attendent
On y marche au bord et la terre est fauve
Mon souffle ondule avec tes cheveux
Je joins mes mains à jamais
Priant le vent qu’il nous balaie
Nous commettions notre dernier espoir
Aujourd’hui sonne le dernier jour
Demain n’existe plus
À la fin tout est calme
Le ciel est mou
Et l’horizon retient ses larmes
Ma vie comme une aquarelle mal exécutée
Aux nuances grossières
Sous le feu d’un réverbère qui noircit mes manches
Un curieux s-o-s scintille depuis la lagune
Qu’importe !
Aujourd’hui j’ai choisi d’écouter
Le fatras tant attendu n’est jamais venu
On dit « c’est bien commode »
Mais le langage pleure encore les pluies de la veille
Le paquebot crache son épaisse fumée
Tout le monde attend
Personne ne coule
À la fin tout est calme
Le ciel est mou
Et l’horizon retient ses larmes
Des franges d’écumes qui lèchent la roche
Le temps devrait être à la fête
Mais on a tout dépensé
Je voudrais encore flotter
Longtemps
Jusqu’aux confins du souvenir
La magie y jouerait ses tours et nous
Heureux
N’aurions plus rien à dire
Le mauve étend sa menace
Maintenant
Il est temps de partir
À la fin tout est calme
Le ciel est mou
Et l’horizon retient ses larmes
Si la lumière de feu succède au pastel
Non
Ce n’est pas pour aujourd’hui
Le météore avait gémi tout près de mon oreille
De sa caresse je conserve la cicatrice
Mille pépites de lune constellent mon corps
Depuis demain le jour est multiple
Mais pour le temps on refusait d’y croire
Ce n’était pas de saison
Si la lumière de feu succède au pastel
Non
Ce n’est pas pour aujourd’hui
Le bruit change de matière dans la douceur d’un craquement d’écorce
Le jour est immobile
Il baigne dans la soie
Sur mon épaule repose une mésange
Qui ne partira plus
La nuit a disparue
La vie défie le sol
Le souffle a sévi
On ne voguera plus face au vent
L’allégresse a quitté les masques
Nos lueurs s’épaississent
La pénombre évacue le mal qu’elle tenait de ces vilains démons clamant leur innocence
Les gorges sont sèches car la soif est morte
Chaque suspension produit les drames qui la conduisent au-delà de toute fin
Sa frange qui galope en avant vers le bord
Déroule une sombre humeur
Elle gronde
Les failles du récif
Sensibles à ces saillies
Déversent en continu leur torrent de larmes
À l’arrière
Paisible
Le visage d’un lac
Tempérance hautaine ? Authentique hauteur ?
L’azur demeure immense et les nuages rares
Dans le creux d’une crique un festin se prépare
Photo : Louis Maurel