Talus

« Les poubelles sont pleines, elles débordent. »
Nathanaële Chatelain

paru dans lundimatin#375, le 21 mars 2023

Il faut la lenteur de l’écrit pour décrire la colère – signal perçant qui désarme les discours, les raisons à la raison, les justifications du raisonnable dressées contre le souvenir enfantin des possibles. La naïveté reprend son souffle et son destin en main, elle devient une promesse sur le banc du printemps. Les poubelles sont pleines, elles débordent.

Colère redoublée qui montre le vrac du chaos contre l’oracle vide de l’ordre. La flamme brûle sans mèche. Les murs d’ordures pourrissent et libèrent de l’espace pour une prise de conscience – on hérite de nos déchets. Aucun soulèvement ne se fera sans savoir d’où il monte. Aucune preuve de vie ne prendra visage sans la vie dont elle porte la face arrachée. La masse s’est amassée, et aujourd’hui elle se fragilise en pensées, désirs, rage. Corps brûlés. L’âge de la retraite recalculé par des programmes de modélisation dont le capital sort toujours flambant neuf. Mais la plainte, ici, est bien plus grande que ses revendications proclamées à la hâte : ce ne sont pas les miettes cette fois qui font monter aux créneaux, c’est la honte. La honte d’entretenir les gestes quotidiens qui asservissent au système de l’indifférence organisée, du cloisonnement généralisé, du distanciel envahissant la vie privée. C’est la honte de ne rien faire contre un système qui nous détruit par la force qu’on lui octroie en s’en servant. Et soudain, c’est NON aux arguments publicitaires, à la destruction du silence, à l’abrutissement des mémoires devant les machines qui ont réponse à tout. Vertige du sensible qui a les lèvres sèches comme les sols surexploités. C’est le vivant qui enfle dans les racines du vent. Nuit debout devant l’assemblée emmurée. Ouvrir une brèche et laisser passer le rien qui nous emmure. Devenir la conscience de nos actes dans leurs conséquences. Ne plus vouloir de la valeur marchande, du gain à bas coût qui détruit toutes les ressources de la planète. Voir dans la couleur de nos habits le poison versé dans les fleuves où la teinture dégorge. Devenir l’arbre qui a perdu son ombre dans l’Amazonie dévastée. Devenir les cassures qui nous traversent et penser avec elles. Ne pas croire au rêve organisé, aux laisses des minima-sociaux qui nous contrôlent plus qu’elles nous soutiennent – cache-misères mal intentionnés. Ouvrir une faille dans l’accoutumance, dans l’adaptation qui nous déshumanise. Que les gens ne se battent plus aujourd’hui pour l’augmentation des salaires, mais pour vivre sans recevoir d’ordres en politique d’intégration appliquée, de conditionnement, de formatage à la compétition. Les lobbies font l’inflation parce qu’elle est fort rentable. Manque d’eau, de terre, de temps, de forces vitales – comme les animaux que l’on fabrique en usines pour les consommer. Tout est lié souterrainement par le sang et les larmes. Mais la colère se met à voir – vivre nous manque.

à Paris le 18 mars 2023

Photo : Bernard Chevalier

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