Sur la bienfaisance écologique de la casse et du blocage

« Bloquer est anti-économique. Or l’économie actuelle tue l’environnement. Donc bloquer sauve l’environnement. »

paru dans lundimatin#169, le 14 décembre 2018

On parle trop souvent des casseurs, de leur identité supposée, et moins de ce qu’ils font : la casse à proprement parler. Ou alors, on en parle uniquement du point de vue de la violence des actes (sont-ils trop violents ? cette violence est-elle légitime ?). Comme nous n’avons pas cessé de le relayer au travers d’articles ici, ou , le problème de la violence est souvent mal posé et moins important qu’il n’y paraît. Voici un article amusant bien que tout à fait sérieux qui envisage le casse (et non les casseurs fantasmés de toutes parts) ainsi que le blocage d’un point de vue très différent mêlant des préoccupations pratiques et écologiques.

Dans ce soulèvement, d’aucuns condamnent les moyens des protagonistes pour manifesterleur colère : ces casseurs auraient tout de l’animal, guettant sournoisement l’instant ou la rue seravide de forces de l’ordre – nom coquet pour désigner le bras arme de l’Etat, pourvu de moyens decoercition prétendument non létaux - pour s’en prendre àquelque vitrine se trouvant sur leurpassage, et piller sauvagement les marchandises que celles-ci laissaient entrevoir. Les≪bloqueurs≫,quant àeux, sont sommés de changer de méthode : ils entravent les flux, et c’est mauvais pourl’économie. Sans parler des professionnels du désordre sévissant dans les facs, qui empêchent lesétudiants d’accéder aux cours. Des lors, a quoi tout cela peut-il bien servir ?

Ces deux moyens – la casse et le blocage – possèdent des vertus, qui seront ici vantées. Une

liste des inconvénients qui s’ensuivent et de potentielles solutions est disponible en fin d’article,pour ceux que cela intéresse.

CASSER

D’abord, quand on est énervé, rappelons humblement mais honnêtement que ça fait du bien de tout péter. Comme un exutoire, des vitrines des rues adjacentes aux Champs volaient en éclat hier encore, en fin d’après-midi, après une énième charge de la BAC qui n’en finissaient plus de balancer leurs grenades assourdissantes. Ca énerve les gros ≪boum≫ des grenades, ça énerve les yeux qui piquent et les gorgent qui brulent, ça énerve les coups de matraques des flics contre leurs boucliers, ça énerve de les voir, arrogants, qui ne risquent pas grand-chose à te canarder à distance avec leurs jouets préférés, et puis ça énerve d’assister impuissant à l’interpellation et au matraquage de tes camarades. Ca, c’était pour les causes immédiates de l’énervement. Et puis il y a le reste, tout aussi rageant, que vous connaissez bien.

Ensuite, il faut bien parler de gros sous. C’est judicieux de casser. Les assurances mettent la main à la poche pour indemniser les dégâts. Les propriétaires de commerces perdent gros quand ils sont obligés de fermer pour une semaine, de fermer les week-ends avant Noel, d’attendre la livraison de leur nouvelle marchandise. Et puis une fois la vitre brisée, les copains peuvent se dédommager un peu en se servant dans un tabac, dans un GoSport, ou dans un Optic2000. Peut-être que c’est cela le ruissellement. Et puis c’est quand même jouissif, poétique, caritatif, d’assister un samedi après-midi à des distributions de chemises à 200 balles. Des chemises de riches pour les pauvres. On comprend mieux pourquoi beaucoup aiment cette vision, et d’autres moins.

Enfin casser est écologique. Avec mon pavé, je participe à réduire l’afflux touristique : les consuméristes apeurés ne prendront pas l’avion pour venir dépenser leur fric en France dans des magasins de riches. Avec mon pavé, j’entrave la consommation : les magasins cassés sont des magasins fermés. Ils ne vendent plus ces merdes à déposer sous le sapin.

BLOQUER

Entraver la circulation des flux est une méthode très prisée de contestation, car elle a fait incontestablement ses preuves par le passé – de mai 68 à la neige de l’hiver 2017 - et continue de les faire aujourd’hui. On ne le dira jamais assez, mais le blocage libère du temps,non pas tant à ceux qui l’initient, qu’à ceux qu’il impacte. Explications. Toute la journée nous sommes empêtrés dans une succession de moments qu’il faut enchainer de la manière la plus productive possible, et plus notre journée est remplie, mieux elle est dépensée. Cette course est à l’origine d’une accélération. Pour faire plus de choses pendant mon temps éveillé, j’ai plusieurs options : 1)raccourcir le temps que je consacre à chaque tâche, 2) raccourcir les transitions entre les tâches, ou 3) optimiser les transitions entre ces tâches. Ainsi, à titre d’exemple, moi étudiant vais pouvoir choisir entre 1)passer quinze minutes de moins à apprendre mon cours, 2) emprunter une trottinette électrique pour rallier un centre universitaire à un autre, ou 3) faire mes achats et consulter mes mails sur mon smartphone pendant que je suis aux toilettes. Mais si arrivé à cet autre centre je suis bloqué, tout s’effondre dans mon emploi du temps : il n’est plus cette ligne imperturbable qui ressemble à celle de la veille ; ce à quoi j’avais prévu d’employer mon temps n’aura pas lieu, je me retrouve donc avec du temps vacant. Des vacances. Ce temps, que les bloqueurs m’ont généreusement rendu, a une triple vertu. Il ne me dessert pas (je ne comptabilise pas d’absence supplémentaire et ne manque pas de cours puisque tout cela est annulé), il s’agit de deux heures entières recouvrées dans ma journée (gain quantitatif), et ce temps n’est pas soumis à la temporalité compactée du capitalisme, mais à celle imprévisible et créative du bouleversement (gain qualitatif).

Des lors, cet écart temporel peut être employé à autre chose : la réflexion, l’action politique, la créativité, la discussion. C’est pourquoi il est souhaitable d’installer des canapés aux abords des blocus dans les facs, et d’aménager des parkings aux abords des blocus de ronds-points. Perturber ce temps, c’est aussi enrailler la circulation, la production. C’est pourquoi c’est aussi écologique. Les ventes dans les magasins physiques ont diminuéde 30 % depuis le début de l’agitation. En construisant une solide barricade, j’entrave la circulation des voitures et autres engins motorisés. La crainte d’être bloqués va en dissuader plus d’un de sortir sa bagnole, et donc de polluer. Idem lorsque je bloque un rond-point. En bloquant un centre commercial, j’entrave la consommation de masse à l’origine de la destruction de notre planète. Premier petit caillou dans la chaussure du productivisme. En bloquant un dépôt pétrolier, j’empêche son approvisionnement, j’empêche qu’il soit vide, j’empêche que le liquide soit brulé : c’est bon pour le climat.

Un syllogisme peut résumer notre propos. Bloquer est anti-économique. Or l’économie actuelle tue l’environnement. Donc bloquer sauve l’environnement.

Voici désormais une liste non-exhaustive des effets négatifs pour notre planète de la casse et du blocage, suivis de propositions de solutions.

  • le matériel détruit sera remplacé et les magasins ré-ouvriront → organisez l’occupation durable des locaux récupérés.
  • les feux rejettent du CO2 → préférez un démontage en règle (attention, cela amoindrit la portée insurrectionnelle de l’acte)
  • les lacrymogènes polluent (mais pour le coup, ce n’est pas nous qui l’envoyons dans l’air) → entravez le fonctionnement des usines produisant ce matériel polluant. ex. usine Alsetex à Precigne (Sarthe)
  • le matériel dégradé ne pourra pas être réutilisé, rarement recyclé → favorisez la distribution de cequi peut l’être , préférez un démontage méthodique pour récupérer les pièces qui peuvent l’être.
  • des denrées alimentaires peuvent se retrouver gâchées → organisez une opération d’auto-reduc’ en ouvrant l’accès des magasins alimentaires bloqués.
  • l’entreprise Amazon profite du blocage des magasins physiques → bloquez ses entrepôts.
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