Sur l’évacuation en cours de la ZAD

Par Patrick K. Dewdney

paru dans lundimatin#141, le 9 avril 2018

Patrick K. Dewdney est né en Angleterre en 1984, et réside en France depuis 21 ans. Il a publié son premier roman, « Neva », en 2007 suivi de « Perséphone Lunaire », son premier recueil de poésie en 2010. Il publie, en 2015, « Crocs » puis, en 2017, « Ecume ». Alors que l’expulsion de la ZAD a commencé dans la nuit de dimanche à lundi, il nous a fait parvenir ces réflexions sur l’État.

Amis républicains, étatistes, légalistes, votants,

C’est en votre nom, et en usant de la légitimité que vous lui avez conférée que l’état français intervient aujourd’hui à Nôtre-Dame-des-Landes, comme il bombarde ailleurs, comme il tue par intérêt.

Il s’agit aujourd’hui de rétablir « l’état de droit », celui que vous soutenez, même de façon incomplète, même un peu, même à reculons. Il s’agira toujours de cela : un état ne peut-être autre chose qu’une entreprise hégémonique, c’est la nature même de tout système.

Comprenez-bien que nos deux mondes sont irréconciliables.

Que ce matin, vos sympathies, vos regrets et votre indignation ne protègent pas les miens des coups, des gaz et des grenades, qui les chassent de chez eux. À l’état ira toujours « la raison d’état », « la violence légitime », « l’ordre civil ». Ce sont les enjeux mêmes de son existence. Ces enjeux écraseront toujours ce qui n’est pas conforme, ce qui dérange, ce qui est autre ou « marginal ».

Ne vous leurrez pas. Ce n’est pas une question de parti au pouvoir, de constitution ou même de Nation. Il s’agit d’une opposition naturelle et indépassable entre deux modes d’organisation, dont l’une ne tolère pas l’existence de l’autre. Dont l’une, indépendamment de ses mutations formelles, « démocratie » libérale, fascisme, communisme, monarchie, n’a jamais hésité à massacrer pour ne souffrir aucune remise en question, aucune concurrence. C’est au nom du bien-commun souhaité par ses partisans que toute alternative doit-être étouffée et que l’état de droit exige qu’on lui cède les moyens pour assurer cet étranglement. Ces moyens sont matériels : l’état a sa milice. Ces moyens sont aussi politiques : l’état a légitimité à déployer ces milices, puisque vous consentez à ce qu’il vous représente.

Si l’état était réellement ce bien commun qu’il professe, on remettrait des médailles à ceux qui se sont battus pendant quinze ans pour préserver un environnement unique, empêcher le bétonnage et le gaspillage des ressources publiques au bénéfice d’une multinationale. Mais voilà. Les choses étant ce qu’elles sont, et l’état étant ce qu’il est, la collectivité préfère les punir d’avoir eu raison. Car, aux yeux de l’institution, le résultat importe moins que ce qui lui a donné naissance. Même quand elle s’exerce pour le bien du plus grand nombre, il faut mater la rébellion. Quitte à passer outre « le plus sacré des devoirs » qu’on a inscrit dans sa propre constitution, il faut sauver la face.

Soyons clairs.
On ne valide pas l’existence d’une institution qui manie tant de pouvoir de coercition de manière anodine.

On ne remet pas partiellement sa voix à une organisation dotée d’une armée moderne, d’un arsenal de machines de mort et de répression.

On le soutient, ou on le combat, parce qu’une fois créé, une fois qu’il a rechargé ses batteries dans les urnes, le golem fera ce qu’il veut. Vous êtes aveugles de ne pas le voir, et fous de ne pas le croire.

Nous endurons vos monstres depuis trop longtemps.

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